Cinéma / Tirailleurs de Mathieu Vadepied

Par le biais de la relation entre un père et son fils, le réalisateur Mathieu Vadepeid aborde dans Tirailleurs un épisode peu connu de l’Histoire de France et de la Première Guerre mondiale, celui des tirailleurs « sénégalais » arrachés à leur terre natale pour aller combattre en métropole contre un ennemi inconnu…

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Tirailleurs – Marie-Clémence David © 2022 – Unité – Korokoro – Gaumont – France 3 Cinéma – Mille Soleils – Sypossible Africa

En 1998, la veille de la remise de sa Légion d’honneur, mourait, dans un petit village du Sénégal, le dernier tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale (1914-1918). 200.000 tirailleurs “sénégalais” (mais venus de toute l’Afrique) ont combattu aux côtés des poilus. 30.000 sont morts sur les champs de bataille. C’est en lisant un article du Monde relatant cet événement que Mathieu Vadepied s’est senti investi d’une « mission » : raconter « ce qu’a pu être cette expérience pour des centaines de milliers de soldats enrôlés de force dans les colonies, afin de participer à une guerre à des milliers de kilomètres de chez eux, contre un ennemi inconnu. » Tirailleurs se situe donc en 1917. Bakary Diallo (Omar Sy), un paysan sénégalais, et son fils de 17 ans, Thierno (Alassane Diong) sont arrachés à leur village et à leur terre natale et enrôlés de force dans l’armée française. Ils sont envoyés en France, au front, près de Verdun.

CiaoViva Tirailleurs
Tirailleurs – Marie-Clémence David © 2022 – Unité – Korokoro – Gaumont – France 3 Cinéma – Mille Soleils – Sypossible Africa

En mai 2022, lors de la présentation du film à Cannes, en ouverure de la sélection Un Certain Regard, Omar Sy (également coproducteur) a repris cette formule d’un historien : « on n’a pas la même mémoire, mais on a la même histoire. » Sauf que le cinéma français a mis bien du temps avant de commencer à aborder le passé colonial (en dehors du cinéma colonial, mélange d’exotisme et de propagande) et a longtemps occulté cette mémoire. Tirailleurs fait écho, 16 ans après, à Indigènes de Rachid Bouchareb, présenté en compétition officielle à Cannes, sur des tirailleurs algériens (et marocains) pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le film de Mathieu Vadepi
ed repose sur la relation père-fils et l’idée de sacrifice, celui d’un père protecteur pour son fils (Omar Sy – qui parle peul – est parfaitement crédible sans pour autant voler la vedette à Alassane Diong (la révélation). Leurs rapports vont devenir conflictuels voire s’inverser. Bakary va tout tenter pour ramener son fils sain et sauf au village, mais celui-ci s’émancipe et devient un homme. Autre sacrifice, celui des Africains pour « la Patrie (peu) reconnaissante ». A la fois pour une raison budgétaire et par choix, Tirailleurs n’est pas un « film de guerre à grand spectacle ». Pour les scènes de combat, il fallait essayer : « d’imaginer, dans la fiction et la mise en scène, ce qu’un reporter de guerre aurait pu faire. Il y a quelque chose de cet ordre qui consiste à trouver une vérité, une authenticité dans une forme un peu brute, qui ne se regarde pas trop esthétiquement. » Si la Grande Guerre est bien présente à l’écran, on voit à peine l’ennemi, mais les obus éclatent, les balles sifflent, les ordres de la hiérarchie militaire et du haut-commandement sont toujours aussi stupides (prendre une tranchée ou une colline et la tenir ou, selon, la reprendre et… la tenir jusqu’à la prochaine contre-attaque), les pertes dans les rangs de cette chair à canon qui n’a rien demandé sont innombrables et inutiles.

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Tirailleurs – Marie-Clémence David © 2022 – Unité – Korokoro – Gaumont – France 3 Cinéma – Mille Soleils – Sypossible Africa

Le réalisateur rend parfaitement compte du quotidien de ces soldats formés à la va-vite, qui ne comprennent pas toujours le français (et donc les ordres reçus) ni-même entre-eux (certains sont peuls, d’autres wolofs), auxquels on fait des promesses qui ne seront jamais tenues (« Après la bataille vous ne serez plus des indigènes, vous serez des Français »).
« 
Que le film ait une forme esthétique est différent de chercher une forme esthétisante commente-t-il. Par exemple, on a choisi d’entrée de jeu de travailler sans projecteur, sans lumière. On a choisi de filmer le plus possible en plan séquence, caméra à l’épaule, plus réactive, plus sensible, qui s’adapte aux acteurs. Et pas une technique qui impose trop de contraintes et d’attente. Tout cela crée une esthétique où l’équilibre doit toujours être du côté de la sensibilité, de l’émotion, d’une forme de vérité, plutôt que d’un plaisir esthétique quasi fétichiste qui peut apparaitre dans les films « en costumes ». Et cet équilibre fragile illustre cette dimension du destin d’hommes pris dans la grande Histoire. »
Mathieu Vadepied et Omar Sy avaient déjà travaillé ensemble sur
Intouchables d’Olivier Nakache et Éric Todelano. Directeur de la photographie, il est ensuite passé à la réalisation d’un 1er long métrage, La Vie en grand (2015), et d’épisodes de la série d’Arte, En thérapie.

Tirailleurs de Mathieu Vadepied, avec Oma Sy, Alassane Diong, Oumar Sey, Jonas Bloquet, Bamar Kane (Drame – France, Sénégal – 2022 – 1h49 – Date de sortie : 04 janvier 2023).

Pour en savoir plus :
Extrait du film (Gaumont – 1mn08)
Rencontre avec Omar Sy (Télérama5mn25)
Les tirailleurs sénégalais : de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours d’Anthony Guyon (Edition Perrin – 2022 – 384 pages)
La longue marche des tirailleurs sénégalais ; de la Grande Guerre aux indépendances de Pierre Bouvier (Belin – 2018 – 264 pages).

Philippe Descottes

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Un commentaire

  1. L’initiative est importante et doit être évidemment saluée à juste titre. Le film de Vadepied réveille d’ailleurs le souvenir du téléfilm de Cazeneuve « la dette » qui traitait déjà de cette question mémorielle pour les soldats venus des colonies ayant combattus dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Pour autant, le film porté avec un engagement sans faille par Omar Sy n’est pas exempts de défauts. Cela tient à mon avis aux arcs scénaristiques choisis, à cette volonté farouche de restreindre le champ de la guerre à la relation père/fils, poussant quasiment jusqu’à une décontextualisation du conflit que vous mentionnez dans votre article : l’anonymat de l’ennemi en est une des caractéristiques, mais aussi le choix d’un Etat-major fictif avec ce général inconnu au bataillon. Cela en réduit l’ampleur et la perspective émotionnelle à mon sens.

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