Armageddon Time, le huitième long métrage, de James Gray reprend des thèmes qui lui sont chers (la famille, la relation père-fils, la perte de l’innocence). Un récit d’apprentissage doublé d’une réflexion sur la société américaine. Son film le plus intimiste.

Après The Lost of Z et Ad Astra, le film d’aventure puis la science-fiction, James Gray (seulement 8 films en 28 ans depuis 1994 et Little Odessa) retrouve New-York pour la 6e fois. Avec Armageddon Time, il signe un film moins ambitieux (sur le plan budgétaire) et en partie autobiographique. A 53 ans, il revisite son enfance (…« Quand on commence à vieillir, on commence à regarder le passé »), comme l’ont fait d’autres cinéastes à un moment de leur carrière, récemment, Paolo Sorrentino (La Main de Dieu), Alfonso Cuarón (Roma), Kenneth Branagh (Belfast), Paul Thomas Anderson (Licorice Pizza), mais aussi, par le passé, Federico Fellini (Amarcord) ou encore Ingmar Bergman (Fanny et Alexandre).
Le début des années 1980 dans le quartier du Queens à New York. A l’école, Paul Graff (Michael Banks Repeta, une révélation), 11 ans, est plus doué pour le dessin que pour les études. Il fait les 400 coups avec son camarade Johnny (Jaylin Webb, autre révélation), noir, orphelin et tête de turc du professeur principal en raison de sa couleur de peau, avec lequel il partage les mêmes passions, la conquête spatiale et la musique. A la maison, ce n’est pas du goût des parents. Une bêtise de trop et Paul est envoyé dans un établissement privé…C’est pour lui la fin de l’enfance et de l’innocence et le glissement vers l’adolescence. La fin d’un monde, la découverte d’un autre, celui des adultes, la recherche de nouveaux repères, malgré cette relation privilégiée à laquelle il s’accroche avec le seul adulte qui s’intéresse vraiment à lui, Aaron, son grand-père (émouvant Anthony Hopkins).

Le titre est une variation de celui de la chanson de Willie Williams Armagideon Time, reprise par The Clash. Il fait référence également à Ronald Reagan, futur candidat à la présidentielle, qui avait déclaré que l’Amérique était menacée par l’Armageddon (la fin du/d’un monde)…
Des détails qui ont leur importance car, au récit d’apprentissage évoqué avec une certaine nostalgie, le réalisateur associe une réflexion sur la société américaine, marquée par la racisme et la lutte des classes, reposant sur l’individualisme, la méritocratie, l’élitisme. « Je suis obsédé par les classes sociales, l’injustice, la honte ressentie par ceux qui sont de condition modeste, et leur volonté incessante de s’y soustraire » déclarait-il déjà en 2009 dans un long entretien accordé à Télérama. Il fait un lien entre hier et aujourd’hui, l’ère Reagan, qui voit les Etats-Unis s’engager sur la voie du néolibéralisme, annonce le trumpisme. La famille Trump est d’ailleurs très présente dans le Queens et dans le film. Fred, promoteur immobilier (et père de Donald), siège au conseil d’administration du collège privé.
Hanté par son histoire familiale, James Gray passait jusqu’à présent par le cinéma de genre, polar ou film noir, aventures ou sf, pour aborder ses thèmes récurrents (la famille, la relation père-fils, la perte de l’innocence). On les retrouve dans Armageddon Time, mais cette fois son film est plus personnel et plus intimiste.
Armageddon Time de James Gray avec Michael Banks Repeta, Jaylin Webb, Anne Hathaway, Anthony Hopkins, Jeremy Strong (Drame – Etats-Unis – 1h55 – Date de sortie : 9 novembre 2022)
La bande annonce du film (Universal – 2022 – Vostf – 2mn18)
La conférence de presse (Festival de Cannes – Mai 2022 – Vo traduction simultanée – 34mn)
Entretien avec James Gray (Rebecca Manzoni -Totemic – France Inter – Novembre 2022 – Vo traduction simultanée – 27mn)
Philippe Descottes