Cinéma / Mon Pays imaginaire de Patricio Guzmán

Témoin de l’Histoire (et de sa jeunesse interrompue) avec La Bataille du Chili (trilogie tournée entre 1972 et 1979), Patricio Guzmán est de nouveau témoin de l’Histoire qu’une autre jeunesse est en train d’écrire, 50 ans après, dans son pays de naissance !

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Mon Pays imaginaire – Patricio Guzmán L’Homme à la caméra – Crédit photo : Pyramide – Atacama Productions

En 2019, dans un entretien (1), Patricio Guzmán, exilé en France depuis 1973, déclarait : « Le cœur de tout ce que je fais, c’est la mémoire du coup d’Etat (de 1973) et ses conséquences sur la vie des Chiliens. Mon œuvre est la répétition incessante d’une même idée. J’essaie de changer les angles mais, au fond, tout tourne autour de la même idée obsédante : que serait devenu le Chili s’il n’y avait pas eu ce coup d’Etat ? ». A propos de La Cordillère des songes, sorti cette année-là, il souligne : «  (le film) se termine par une séquence où je raconte que ma mère m’avait appris qu’à la vue d’une étoile filante dans le ciel, je pouvais faire un vœu en mon for intérieur et que ce vœu deviendrait réalité. Dans cette séquence finale, je dis à voix haute que mon vœu est que le Chili retrouve son enfance et sa joie ».
Ce vœu a été exaucé. Au moment où le documentaire sortait dans les salles de cinéma de l’Hexagone en octobre 2019, les choses bougeaient au Chili… Par un curieux hasard, les premiers plans du film, prémonitoires, étaient tournés dans le métro de Santiago, la capitale chilienne… Ces premiers jours d’octobre 2019, en signe de protestation contre la 2e hausse du ticket en quelques mois, la goutte d’eau de trop, lycéens et étudiants sautent les tourniquets du métro et affrontent les policiers chargés d’intervenir. Au lieu de retomber, la contestation s’intensifie. Le soulèvement populaire va prendre de l’ampleur et gagner le pays. C’est une explosion sociale, conséquence des inégalités socio-économiques liées au système néolibéral, mis en place sous la dictature de Pinochet, et à la déconnexion de la classe politique vis-à-vis des problèmes quotidiens des Chiliens. Ce n’est plus la goutte d’eau mais les premières flammes selon la formule attribuée à Chris Marker : « Quand tu voudras filmer un incendie, il faudra être à l’endroit où se produit la première flamme ». Patricio Guzmán n’était pas sur place au moment de l’étincelle, mais il recevait des images d’amis Chiliens comme Pedro Salas (cameraman présent dans La Cordillère des songes). Malgré la sanglante répression et une interruption provoquée par le coronavirus, la contestation se poursuit.

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Mon Pays imaginaire – Patricio Guzmán – Crédit photo : Pyramide – Atacama Productions

Le réalisateur profite de l’accalmie de la pandémie pour enfin retrouver le Chili, sa terre natale : »Écrire sans savoir ce qui va se passer, c’est la chose la plus importante dans le cinéma documentaire. Essayer de s’imaginer l’avenir d’une situation qui n’en finit pas de se terminer… (…) s’ouvrir à une réalité, la filmer, et en être partie prenante à la fois. » Témoin de l’Histoire et de sa jeunesse interrompue avec La Bataille du Chili, qu’il a tourné entre 1972 et 1979, Patricio Guzmán est de nouveau témoin de l’Histoire qu’une autre jeunesse est en train d’écrire, 50 ans après ! Pourtant, en dépit de ce statut privilégié, il n’en profite pas pour se mettre en avant. De la pudeur ? De l’émotion ? Probablement les deux à la fois et également, peut-être, le souhait de n’être qu’un simple témoin anonyme se fondant dans la foule de milliers de manifestants. On comprend son émotion lorsqu’il a réentendu « les slogans de l’Unité Populaire d’Allende, c’est-à-dire d’écouter la même« bande son » qu’il y a 50 ans » avec notamment, pour les chansons, celles de Violeta Parra, Victor Jara ou de Quilapayun.
Si ce documentaire, classique dans sa réalisation, composé de films et de photos, d’images d’archives et d’entretiens, tisse inévitablement des liens avec le passé, il montre également la particularité de cette révolte marquée par la défiance envers les partis politiques et les institutions. Au fil du tournage s’est imposée l’idée de laisser la parole aux femmes, manifestantes, militantes, étudiantes, mères de famille, Indienne Mapuche, secouristes ou intellectuelles. De condition différente mais portant toutes la même indignation, le même colère (Patricio Guzman : « leurs opinions sont très claires, elles ont un discours très sincère et ce sont des battantes »).

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Mon Pays imaginaire – Patricio Guzmán – Chorégraphie des étudiantes – Crédit photo : Pyramide – Atacama Productions

Face à la contestation, le président Sebastian Pinera décrétera l’état d’urgence, instaurera le couvre-feu et fera appel à l’armée (26 manifestants tués et près de 2500 blessés. De nombreux cas de torture par la police ont été rapportés par les organisations de défense des droits humains). Néanmoins, il cédera et quittera le pouvoir. Une Assemblée constituante élue avec près de 80 % des voix, avec à sa tête Elisa Loncon, femme Mapuche, établie les bases d’une nouvelle constitution qui remplacera celle datant de Pinochet et toujours en vigueur. Le 19 décembre 2021, Gabriel Boric, 35 ans, ancien leader étudiant, est élu président du Chili face à la coalition droite/extrême-droite avec la promesse de lutter contre les inégalités…Clap de fin pour le documentaire. Le 4 septembre 2022, par 62 % des voix, les Chiliens ont refusé le projet de nouvelle Constitution qui leur était soumis par référendum. L’une des raisons : la désinformation des médias, toujours contrôlés par l’ancienne classe dirigeante. Une bataille de perdue ou l’illustration de cette citation « L’histoire est un perpétuel recommencement »  et fin d’un rêve ?
Dans un entretien accordé à BBC Mundo à la mi-octobre, Patricio Guzmán, semblait garder espoir : « Le rêve est toujours vivant et va devoir trouver un nouveau canal d’expression. Nous serons là pour le filmer. »

Mon Pays imaginaire de Patricio Guzmán (Documentaire – France/Chili – 2022 – 1h23 – Date de sortie : Mercredi 26 octobre 2022)

(1) Transfuge – n°132 – Octobre 2019

A voir également :
La bande annonce du film (Pyramide Distribution – 2022 –1mn43)
Patricio Guzman vous raconte son pays imaginaire (Le Monde Ibérique – VO – 2022 – 5mn36)
Chili, une mémoire de pierre ? Entretien avec Patricio Guzman (France Culture – Octobre 2019 – 34mn26)
Le site officiel de Patricio Guzman
Chili : l’espoir du changement – Le dessous des cartesArte – Août 2022 – 12mn)

Philippe Descottes

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