Amis Lecteurs, je vous convie cette fois à découvrir un curieux tramway qui fut le premier à traction électrique avant la mise en service, en janvier 1900, de rames plus modernes. Le moteur de ce tout premier tramway, roulant sur une voie de 60cm de largeur, était alimenté par l’intermédiaire de batteries très lourdes à l’époque qui nécessitaient des recharges fréquentes, surtout pour affronter la montée du Bd de Cimiez avec ses pentes à 60%. En effet, ce moyen de transport avait été imaginé essentiellement pour desservir le nouveau Jardin Zoologique et d’Acclimatation de Cimiez créé par une excentrique mondaine, une certaine Léa d’Ascot (née Emilie Victorine Girad et comédienne aux Bouffes Parisiens) et son époux le non moins sulfureux «Comte» Gabriel Tripier de Lagrange qui n’était pas plus Comte que je suis évêque !
Les rames, partant de la rue Hôtel-des-Postes, rejoignaient le Bd Carabacel et entamaient alors la rude montée du Bd de Cimiez, passaient devant les Arènes, continuaient vers l’actuelle place du Commandant Jérôme, puis aboutissaient enfin au terminus de Cap-de-Croix situé au niveau de l’actuelle avenue Sainte-Colette.

Le nouveau zoo était situé là avec ses nombreuses attractions: animaux exotiques, restaurant, casino. A cet endroit se situait le dépôt des machines (Photo 2) et, après la pénible montée, il fallait recharger les batteries à plat. La retour vers le centre ville était évidemment plus aisé mais très dangereux tout de même, les pentes sévères rencontrées cette fois-ci en sens inverse pouvant occasionner des dérives* non maîtrisables surtout par temps pluvieux. Il fallait savoir jouer habilement des freins !
Pour mémoire, les 24 et 25 novembre 1940 deux graves accidents survenus coup sur coup lors de la descente avec des motrices modernes firent quatre morts et des blessés. Cela amènera la Compagnie T.N.L.(Tramway de Nice Littoral) à supprimer momentanément la desserte tramway qui, assurée par des voitures à chevaux dans un premier temps, ne sera rétablie qu’en mai 1942 avec la mise en service des premiers trolleybus (ligne 15), véhicules sur pneus alimentés électriquement par une double ligne de contact aérienne par l’intermédiaire de deux perches.
Ce « tramway-pagode » était en fait un matériel d’occasion récupéré de la Foire de Lyon (1894). Les voitures étaient curieusement habillées et décorées, ce qui pouvait justifier leur appellation de « tramways-pagodes»

On dit même que certaines voitures étaient surmontées d’une effigie grimaçante de dragon pour faire plus asiatique ! Lea d’Ascot avait beaucoup d’imagination !
Ces rames pesantes et sous-motorisées avaient de la peine à gravir les pentes abruptes du Bd de Cimiez et ce pittoresque tramway était surnommé «La Limace de S.M. Biasini» par dérision ! Le célèbre architecte niçois Sébastien-Marcel Biasini était considéré comme le roi de Cimiez et n’a sans doute pas été pour rien dans la décoration de ces tramways hors du commun.
Sur le terrain de la Foire de Lyon la pente de la voie était quasi nulle, mais ici c’était une tout autre affaire et la vitesse moyenne ne devait pas excéder les 20km/h. L’exploitation, peu fiable, était perturbée par de nombreux incidents de parcours et pannes diverses. On disait même que, pour alléger les convois à la montée, les passagers étaient parfois invités à descendre et …à pousser, le cas échéant !

Dans ces conditions, l’exploitation ne durera pas longtemps, d’autant plus qu’en janvier 1900 les nouvelles motrices à voie métrique (l’écartement des rails est de 1 000mm), à traction électrique par fil de contact aérien, sont mises en service par la T.N.L. La desserte de Cimiez et de Rimiez est dorénavant exploitée par ces nouveaux matériels performants. Sur la Photo 3 on voit une de ces rames modernes à l’arrêt devant l’entrée du parc zoologique qui, à ce moment, n’en a plus pour longtemps à vivre.
En effet, suite au décès du Comte de Lagrange en 1893, le Jardin d’Acclimatation, mal géré par son épouse, va péricliter et, en novembre 1906, cette affaire commerciale, autrefois prospère, est déclarée en faillite par la Justice. Les aides financières sollicitées par la Comtesse auprès de la mairie ayant été refusées, c’est la ruine. Le 20 de ce me mois, Lea d’Ascot est retrouvée morte dans le salon de sa villa, un pistolet à côté du corps. L’enquête diligentée par la police et la justice ne parviendront pas à faire la pleine lumière sur ce drame : assassinat (elle n’avait pas que des amis) ou suicide ? La deuxième hypothèse paraît la plus vraisemblable. Triste fin en tout cas.
(*) Pour un engin roulant sur rails, la dérive était un phénomène survenant à la suite d’une pluie avec dépôt de feuilles d’arbres sur la bande de roulement du rail. Dès lors un freinage énergique en descente devenait inefficace et, les roues même bloquées continuaient à glisser sur la voie et l’engin devenait incontrôlable, augmentant sa vitesse jusqu’à l’arrivée sur une courbe un peu serrée qui le faisait alors dérailler.
(**)Une magnifique photo due à Adolphe de Rochemonteix, originaire du Cantal, de pas- sage sur la Côte d’Azur et en particulier à Nice à la fin du XIX ème s. Il appréciait les sites de la région et les fixait sur la plaque photographique, un vrai reporter.
Sources :
– Archives départementales des A.M. (photos).
– Carte postale: collection Y.Duvivier
Yann Duvivier, Septembre2022.
Oh ! quel plaisir – Merci de ce merveilleux article que je vais garder dans mes archives niçoises. Encore MERCI