Vendredi 17 juin, Jean-Louis Trintignant s’est éteint « paisiblement, de vieillesse, entouré de ses proches », à Collias, Du côté d’Uzès, dans le Gard

Jean-Louis Trintignant aurait pu devenir réalisateur… Né en 1930 à Piolenc, pas très loin d’Orange, il « monte à Paris » à 20 ans après avoir fait du droit et s’inscrit à l’’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (L’IDHEC, l’ancêtre de la FEMIS). Pourtant, ce n’est que bien plus tard qu’il passera à la réalisation avec deux films anticonformistes, Une journée bien remplie (1972) et Le Maitre-nageur (1979) . « Ce n’était pas mon truc déclara-t-il. Il me manquait des qualités pour devenir un bon metteur en scène de ciné. Je n’ai pas l’esprit meneur d’hommes. Je crois que si on est metteur en scène on est obligé d’avoir cet esprit » (1). En parallèle, il suit aussi les cours de comédie de Charles Dullin, puis ceux de Tania Balachova. En 1949, étudiant à Aix-en-Provence, il avait vu le comédien dans sa dernière représentation de L’Avare. Il avait eu aussi l’occasion de voir jouer Jules César de William Shakespeare dans les arènes de Nîmes. Il devient donc comédien, d’abord sur les planches, puis au cinéma. Le théâtre va l’aider à surmonter sa timidité maladive et à effacer son accent méridional. En 1956, il tourne sous la direction de Roger Vadim Et Dieu… créa la femme, le film qui allait faire de Brigitte Bardot à la fois un mythe et un sex-symbol mondial et le révéler. Mais sa carrière naissante est interrompue pendant deux ans par son service militaire et la Guerre d’Algérie. Engagé politiquement, il ne veut pas la faire. En 2012, il se déclarait anarchiste : « J’ai été sympathisant communiste, je vendais L’Huma. Aujourd’hui, je ne lis plus de journaux, à part L’Equipe… Je suis plutôt socialiste. Voire anarchiste. Les trois poètes que je dis au théâtre sont des anarchistes. L’idée de l’anarchie me plaît beaucoup, même si je sais qu’on ne sauvera pas le monde avec elle. « Y en pas un sur cent et pourtant ils existent ! », comme disait Léo Ferré. »(2)
C’est le cinéma qui le relance à partir de 1959, avec notamment Le Combat dans l’île d’Alain Cavalier (1962) qu’il a connu à l’IDHEC, et Le Fanfaron de Dino Risi (1962), dont il partage l’affiche avec Vittorio Gassman. En Italie, Jean-Louis Trintignant aura également tourné avec Valerio Zurlini, Bernardo Bertolucci, Luigi Comencini et Ettore Scola. Pour Sergio Corbucci, il sera Silence le justicier muet de son western Le Grand Silence (1968). Mais c’est l’année 1966 qui aura été une autre étape importante dans sa carrière avec Un Homme et une Femme de Claude Lelouch, « petit film fauché » qui remportera le Grand Prix du Festival international du Film de Cannes (la plus haute récompense à l’époque, avant le retour de la Palme d’or), puis l’Oscar du meilleur film étranger. « Pour la première fois, je me suis senti inventif, je me suis dit : “Ah, je suis pas mal quand même.” » dira-t-il modestement. Jean-Louis Duroc, son personnage, était médecin dans le scénario original. Claude Lelouch en fit un pilote de course… Neveu des coureurs automobiles Maurice et Louis Trintignant, Jean-Louis Trintignant était passionné de sport automobile et lui-même pilote (circuit et rallye) et participera à plusieurs compétitions au cours des années 1970/80. Sa 3e épouse, Mariane Hoepfner, a été pilote de rallye.

Sa carrière lancée, on le verra aussi bien dans des films commerciaux que dans le cinéma d’auteur. Du jeune premier ou du gendre idéal, il endossera également les habits de personnages plus complexes et ambigus, éloignés de ce qu’il est en réalité, même si… : « C’est difficile parce que je crois qu’un acteur de cinéma n’a pas le droit de composer en même temps… C’est-à-dire qu’on ne peut pas prendre un personnage qui vous est étranger. Il faut mettre à l’intérieur d’un personnage des choses qu’on a en soi. Pour jouer des personnages différents et en même temps les habiter profondément, il faut avoir, dans la vie, une gamme assez étendue. » (3). Sa prestation dans le rôle d’un juge déterminé dans Z de Costa-Gavra lui vaut le Prix d’interprétation à Cannes en 1969.
En 1970, pendant le tournage à Rome du Conformiste de Bernardo Bertolucci, lui et Nadine Trintignant (qu’il a épousé après avoir divorcé de Stéphane Audran) vivent un drame terrible avec la mort à 10 mois de leur petite fille Pauline. C’est à Nice qu’il interprète l’inspecteur Carella chargé d’enquêter sur une série de meurtres dans Sans mobile apparent de Philippe Labro (1971).

En 1977, il fait une pause et ne tourne que deux films, dont Repérages de Michel Soutter. Peu après le tournage il déclare : « J’avais décidé de couper un petit peu. Le monde du cinéma est un monde un peu clos et si on reste entre nous on perd le sens des vrais problèmes et le goût du public. J’ai voulu me plonger dans une vie tout à fait différente. Un acteur doit se recharger comme une batterie. Je me recharge. Je n’ai pas de manque du tout. Je me recharge pour mieux recommencer » (4). Dans les années années 1980, il est encore à l’affiche de près de 30 films, mais il se retire peu à peu des plateaux de cinéma (11 films seulement dans les années 1990), pour revenir et se consacrer à ses premières amours, le théâtre et la poésie, notamment avec sa fille aînée et complice, Marie. Il vit désormais à Uzès dans le Gard. En 1996 il acquiert le Domaine viticole Rouge Garance (… en hommage à Arletty).
Sa vie est marquée par un nouveau drame, la mort tragique de Marie en 2003, victime de violences conjugales. A Mireille Dumas , deux ans plus tard, il confie : « Après le drame de Marie, je suis resté six mois dans un fauteuil, les yeux dans le vague, sans bouger… je me suis dit : « bon, si c’est pour continuer comme ça il faut arrêter de vivre » et puis, il y a une autre solution, c’est d’essayer de vivre encore » (5). Il ne renonce pas à la scène. Apollinaire, Desnos, Prévert, Vian et Jules Renard lui apportent un temps le salut, mais il se retire complètement du cinéma. « Je n’ai plus envie de faire du cinéma. Cela ne me plaît plus, même si je suis très fier d’avoir tourné dans Amour, avec Michael Haneke. Je pense que mon vrai métier, c’est le théâtre. Des films peuvent se faire sans comédiens, pas une pièce. On court après le cinéma, par vanité, pour le prestige. Par cupidité aussi : on y gagne huit fois plus que sur les planches ! » (2)
Il travaillera très peu avec les représentants de la Nouvelle Vague, Claude Chabrol (Les Biches), Eric Rohmer (Ma Nuit chez Maud), François Truffaut (son dernier film, Vivement Dimanche), mais quatre fois sous la direction d’Alain Robe-Grillet, chef de file du Nouveau Roman, quatre fois également avec Nadine Trintignant et six avec Claude Lelouch.
Parmi ses partenaires à l’écran, il aura donné la réplique à Brigitte Bardot, Romy Schneider, Anouk Aimé, Fanny Ardant, François Fabian, Stéphane Audran, Carla Gravina, Monica Vitti, Laura Morante, Jacqueline Bisset, Dominique Sanda, Laura Antonelli, Ann-Margret, Jean Seberg…
Malgré Under fire de Roger Spotisswoode, il n’est pas tenté par une carrière outre-Atlantique et refusera d’ailleurs un rôle dans Rencontre du 3e Type et Apocalypse now. Néanmoins, pour Shining, Stanley Kubrick demandera à ce qu’il double Jack Nicholson pour la voix française...
Avec la perte de Marie dont il ne se remet pas et la maladie (un cancer)… il parle souvent de suicide et de la mort : « Je n’ai pas vraiment d’autre ambition. Je vais essayer de la réussir. Ne pas finir sous perfusion, dans un hôpital, mais mourir en bonne santé. En cela, je suis suicidaire. Si un moment, c’est irréversible, ce n’est pas la peine d’attendre… Ce serait dégradant... » (2)

Et puis Michael Haneke parvient à le convaincre de revenir au cinéma et de jouer dans Amour, avec Emmanuelle Riva. Un drame sur la vieillesse, la maladie et la mort. Le film remporte la Palme d’or au Festival de Cannes 2012. Fait rarissime, le Jury attribue une mention spéciale aux deux acteurs. Amour obtient également le César du meilleur film et l’Oscar du meilleur film étranger. Jean-Louis Trintignant est récompensé par l’European Award du meilleur interprète 2012 et le César du meilleur acteur en 2013. Il tourne à nouveau pour Haneke dans Happy End (2017), avant d’accepter de tourner pour Claude Lelouch « une suite » d’Un Homme et une Femme, avec Anouk Aimée, Les Plus Belles Années d’une vie (2019).

En mai 2018, il est sur la scène du théâtre des Célestins à Lyon avec Trintignant/Mille/Piazzolla, spectacle poétique et musical (musique d’Astor Piazzolla, direction musicale Daniel Mille),
Sa dernière apparition sur scène remonte à mars 2021 lors de la cérémonie des César. Il avait cité la chanson de Georges Brassens, Marquise avant de nommer les espoirs masculins et féminins.
A l’occasion de la parution en 2015 de Jean-Louis Trintignant L’Inconformiste, la biographie que lui a consacré Vincent Quivy, la romancière et essayiste Garbiella Trujillo écrivait : « (…) une voix reconnaissable entre toutes (…), un charme involontaire, une belle gueule imparfaite, moins charismatique que celle de Delon, mais plus discrète que celle de Jean-Pierre Marielle : bien plus distingué que Belmondo, plus mystérieux que Jean Rochefort et Jean-Claude Brialy, plus serein que Jean-Pierre Léaud, Jean-Louis Trintignant, c’est l’idole masculine la plus consensuelle et défendable de notre siècle, celui dont on peut admirer l’élégance, la timidité et la réserve légendaires, et le courage devant l’adversité » (6).
RIP Monsieur Trintignant :o(
A écouter :
Jean-Louis Trintignant, A voix nue (Radio France/France Culture – 5 entretiens – Juillet 2004) (1)
Jean-Louis Trintignant lit Prévert Vian Desnos :
Etranges Etrangers de Jacques Prévert (3mn)
Le Déserteur de Boris Vian (2mn)
Les Quatre Sans Cou de Robert Desnos (1mn35)
A voir :
Jean-Louis Trintignant – Entretien à propos d’Amour de Michael Haneke (RTS – 20 décembre 2012 – 4mn07)
Jean-Louis et Marie Trintignant, une véritable complicité (INA/Antenne 2 – 1985 /France2 – 2001 – 6mn26)
Jean-Louis Trintignant (Christian Defaye – Spécial Cinéma – RTS – Octobre 1977 – 46mn) (4)
Jean-Louis Trintignant (Mireille Dumas – Vie Privée Vie Publique – Novembre 2005 – 19mn06) (5)
A lire :
Jean-Louis Trintignant Entretien (Télérama – Octobre 2012) (2)
Jean-Louis Trintignant, l’élégance d’aimer de Gabriella Trujillo (Marianne – 18 septembre 2015) (6)
Jean-Louis Trintignant l’Inconformiste (Vincent Quivy – Biographie – Edition du Seuil – 2015)
Jean-Louis Trintignant – Du côté d’Uzès (Entretiens avec André Asseo – Le Cherche-Midi – 2012)
Sa filmographie
Philippe Descottes
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