Présenté à l’occasion d’une avant-première en mars dernier, Pas…de quartier de Paul Vecchiali sort dans les salles de Cinéma de l’Hexagone ce mercredi 27 avril.
Pas… de quartier, le titre claque comme un coup de fouet ou un coup de semonce, mais aussi comme le son particulièrement sec des claquettes, qui sert d’introduction avant même l’apparition du titre. Et ce n’est certainement pas un hasard : les claquettes sont à jamais liées, dans l’inconscient collectif, à Fred Astaire et au temps glorieux des comédies musicales américaines. Mais là, le premier carton nous avertit, nous sommes conviés à un musico-drame. Et dans la foulée, la bande-son enchaîne sur les éclairs et le tonnerre !
Musico-drame. Et si Paul Vecchiali se payait le luxe, pour ce 16ème film « Antidogma[1] » d’inventer un nouveau genre du cinéma !

Dans Pas… de quartier, Vecchiali va utiliser la chanson de toutes les manières possibles : spectacles, chansons a cappella, chansons avec accompagnement, dialogues, monologues et même voix off pour nous présenter les personnages, à la manière des intertitres dans les films muets.
Par exemple pour Adolphe, le personnage principal, (excellentissime Ugo Broussot) nous aurons droit à deux chansons en voix off. La première, côté cour en quelque sorte, nous présente Adolphe en bon fils dévoué à sa mère, avant même qu’il n’apparaisse à l’écran. La seconde, côté jardin nous conte ses tribulations de chanteur qui n’arrive pas à percer, sur un plan fixe du cabaret où il va tenter sa chance.
Il ne s’agit donc pas d’écouter ces chansons d’une oreille distraite, sous peine de passer à côté du personnage. Qu’on se le dise, les paroles des chansons font partie intégrante du scénario.
Entre ces deux chansons : la première scène entre le fils et sa mère, où d’emblée le ton est donné : le film sera presque entièrement chanté, Parlé/chanté par moments. Très peu de scènes relevant du dialogue parlé stricto sensu. Et elles n’en seront que plus significatives, placées à des moments- clés du récit.(cf la conversation entre Bernard et Alexandre sur l’homosexualité ou la confession de la mère).
Vecchiali joue avec l’aisance qu’on lui connaît de ces différences de style comme d’un outil supplémentaire de mise en scène pour nuancer son propos et être au plus vrai de ses personnages.
La première scène donne également le ton pour la couleur, avec d’étonnantes teintes pastels sur les murs qui peuvent virer du vert pâle au rouge en fonction des sentiments, La lumière, très chaude, a été concoctée par le fidèle « Botti » (Philippe Bottiglione), le chef opérateur attitré du cinéaste. Voilà pour le côté cour.
Côté jardin, ce sera la première chanson de cabaret, celle de l’audition qui va changer la vie d’Adolphe. Là aussi, le ton est donné tout de suite : on parle sexe, sans détour, les paroles sont crues, ouvertement gay, foisonnant de jeux de mots et de sous-entendus. Comme s’il fallait tout de suite frapper un grand coup, sans demie-mesure possible. Encore une fois: pas de quartier.
Le film a démarré depuis moins d’1/4h, tout semble en place pour suivre les péripéties d’Adolphe entre sa mère et son nouveau job, quand soudain, plan fixe sur l’hôtel de ville, nous pénétrons en plein dans une réunion, à mi-chemin entre association de quartier et conseil municipal.
Car Vecchiali n’est pas seulement un cinéaste de l’amour sous toutes ses formes, c’est aussi un artiste engagé vis à vis de son art et de son époque.

Les personnages ne flottent pas dans les limbes des sentiments, ils sont ancrés ici et maintenant. Pas d’échappatoire là non plus ou plutôt: pas de quartier.
À partir de là, le film va se développer sur plusieurs plans simultanément : la sphère privée où Adolphe se dévoile entre sa mère et son amant, le cabaret où l’artiste s’expose avec une conscience aiguë des responsabilités qui sont les siennes et la vie de la cité où l’ordre et le chaos semblent les deux faces d’une même médaille.
Avec sa malice habituelle, Vecchiali s’octroie d’ailleurs le rôle du maire de cette petite commune, pas si tranquille que ça.
Le film va aller crescendo sur ces 3 niveaux en même temps, avec une intensité dramatique qui ne faiblit à aucun moment, dans aucun des registres. L’habileté du metteur en scène à mener de front son triple attelage est proprement bluffante.
Progression fulgurante du sentiment amoureux, affirmation de plus en plus forte de l’engagement de l’artiste, montée en flèche concomitante de la bêtise et de l’intolérance qui s’enfoncent dans l’impasse de la violence.
Toutes les scènes fonctionnent comme des vases communicants et se renforcent les unes les autres.
À cela s’ajoute une ligne transversale qui parcourt tout le film, c’est le jeu du je ou du double, multiple, je, matérialisé par les masques et les travestissements. Le film commence par un masque chirurgical et se termine en tragédie sur les masques de Carnaval.
Mais avec ou sans masque, chacun ne dit pas forcément qui il est ou plutôt n’accepte pas forcément ce qu’il est.
À commencer par Anastasia, la mère en fauteuil roulant (Mona Heftre, si sensible, si juste) et pas du tout handicapée. Ou Alexandre, mal à l’aise au fond dans sa position de notable. Et surtout Christian, homophobe à force de ne pas assumer sa propre homosexualité.
Il est frappant de constater à quel point la caméra reste tendre vis à vis de tous ces personnages.
Si la dénonciation du fascisme est sans appel, Christian bien qu’instigateur du crime, a droit lui aussi au remord. Le film se termine d’ailleurs sur lui, démasqué, les lèvres fortement maquillées d’un rouge intense, capable enfin de dire la haine qui le dévore grâce à une ultime chanson . Le plan est d’une infinie délicatesse baigné par la lumière dorée du soleil levant sur la Méditerranée.
Musico-drame, mélodrame politique, concentré d’art cinématographique et de cinéphilie, « Pas… de quartier » est tout ça à la fois.
Il faudrait encore parler de la direction d’acteurs et des mille petits clins d’œil au cinéma et à la chanson (par exemple l’affiche d’Extase, le film avec Hedy Lamarr qui fit scandale en suggérant l’orgasme féminin, 1933 tout de même) ou la chanson De l’autre côté de la rue en hommage à Piaf…, Cabaret, bien sûr et Minelli, nécessairement, Jacques Demy, l’ami de toujours et tous ces films français des années 30 où l’on chantait, envers et contre tout).
Mais avec Pas… de quartier, il m’apparaît une autre parenté, une de ces correspondances entre l’univers de 2 artistes qui se jouent des époques et des frontières, c’est le nom de Fassbinder qui surgit soudain. Engagement total, indépendance viscérale, liberté de ton absolue, créativité tous azimuts et confiance radicale dans les moyens du cinéma. Que d’échos entre ces deux artistes.
RWF qui brûla sa vie par les deux bouts et Paul Vecchiali, 91 ans au compteur, mille vies embrassées avec la même fougue de, par et pour le Cinéma. J.Scoleri
Pas… de quartier de Paul Vecchiali. Avec Mona Heftre, Ugo Broussot, Franck Libert, Benjamin Barclay, Jérôme Soubeyrand, Marilyn Lattard, Marie-Christine Hervy (« Musicodrame » – France – 2021 – 90mn – Date de sortie : 27 avril 2022).
La bande annonce du film (Dialectik – 2022 – 2mn27)
[1] Antidogma ou comme le dit Vecchiali : « Une seule règle, pas de règle !». Un pied de nez à toutes les modes, à tous les formatages, à commencer par celui de l’argent et des relations de pouvoir. Antidogma ou la preuve de la liberté vecchialienne : 16 films à ce jour depuis 2005.