Cinéma / A plein temps d’Eric Gravel

Dans A plein temps, Eric Gravel, filme quelques heures du quotidien de Julie, une femme précarisée. Elle habite la grande banlieue et tous les jours elle prend les transports pour rejoindre son travail à Paris… Pour son interprétation, Laure Calamy a été récompensée à juste titre du Prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise 2021.

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A plein temps – Eric Gravel – Laure Calamy – Crédit photo Haut & Court

En 1973, Bernard (Jacques Higelin) et Marlène (Marthe Keller) cherchaient à fuir l’atmosphère polluée et bruyante de Paris. Après avoir visité bien des logements en banlieue, ils atterrissaient dans un appartement d’un grand ensemble. Comme tous les habitants ils se levaient à la même heure, prenaient le même train ou leur voiture pour effectuer, matin et soir, les mêmes 2 heures de trajet qui allaient les conduire à leur travail dans la capitale. C’était Elle court, elle court la banlieue de Gérard Pirès. 48 ans plus tard, elle court, elle court toujours la banlieue, ça n’a pas beaucoup changé… C’est la grande banlieue et déjà (un peu) la campagne. Julie (Laure Calamy) se démène seule pour élever ses deux enfants tout en travaillant comme femme de chambre dans un palace parisien. Elle se réveille avant l’aube. La course commence. Faire lever les gamins et leur faire prendre le petit déjeuner. Puis il faut courir les déposer en quatrième vitesse chez la voisine âgée et nounou, prendre au vol le train bondé, puis le métro et « marcher » jusqu’à son travail. Au boulot, pas de répit non plus. C’est encore la course contre la montre. Première femme de chambre (mais un salaire de misère), Julie doit gérer une équipe. Des gestes précis et des règles à respecter. Sa supérieure maintient une pression que sa hiérarchie lui fait subir également. Tout doit être parfait en un temps record. Le soir, c’est toujours la course, en sens inverse. Sur le fil du rasoir, femme au bord de la crise de nerf, Julie tient bon malgré tout. Mais pour combien de temps ? Elle ne reçoit pas la pension de son ex-époux, ses comptes sont dans le rouge, la nourrice ne veut plus s’occuper des enfants. Au travail, on lui reproche ses retards répétés. Une grève des transports est annoncée…

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A plein temps – Eric Gravel – Femme de chambre – Crédit photo Haut & Court

Pour son second long-métrage après Crash test Aglaé, Eric Gravel s’est inspiré d’une situation qu’il connaît : « À travers le prisme de cette femme, seule avec ses enfants, j’interroge nos rythmes de vies et nos combats quotidiens. Tout comme Julie, j’habite la campagne. J’ai voulu parler de mes voisins et de ces gens que je croise dans le train au quotidien et qui font le pari d’habiter loin de la capitale pour une meilleure qualité de vie. C’est un équilibre difficile à trouver et tous n’y parviennent pas. »
Au moment de l’écriture du scénario, le réalisateur n’avait pas de nom en tête pour interpréter Julie. Ce n’est qu’en y réfléchissant peu après que celui de Laure Calamy (Ava, Antoinette dans les Cévennes) s’est imposé. Ignorée par le cinéma pour les 1er rôles pendant longtemps, le choix de la comédienne, pétillante, énergique, « mélange de force et de fragilité » (dixit le dramaturge et metteur en scène Olivier Py qui l’a dirigée au théâtre), est une évidence. Filmée A plein temps, elle est de tous les plans et porte le film de bout en bout. Eric Gravel ne la lâche pas d’une semelle. Il précise : « Je souhaitais une caméra vivante, qui puisse détecter ses moindres gestes, ses courses, ses feintes et restituer son état d’esprit. Je voulais l’accompagner un peu comme dans un film d’action, être au plus près d’elle, avec une grande liberté de mouvement, du plus fluide au plus saccadé, en travelling ou en zoom. J’ai souvent restreint le champ de vision sur elle ».

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A plein temps – Laure Calamy – Crédit photo Haut & Court

De ce point de vue en découle un autre, Paris et les chambres d’hôtels sont filmées comme des endroits anxiogènes (la musique electro en souligne le caractère) : « le lieu urbain que je filme n’est pas vraiment Paris, cela aurait pu être n’importe quelle grande ville (…). Mon parti pris a été de le rendre plus froid, plus brut (…). J’ai également exploité ce parti pris dans les séquences qui se déroulent au palace (…), pour les chambres, (…) les teintes froides ont fini par s’imposer. C’était une façon de faire basculer ce lieu, à priori très chaleureux, du point de vue de ceux qui y travaillent. »
Bien plus qu’un exercice de style ou le récit (rythmé) de vingt-quatre heures (et plus) de la vie d’une femme seule, héroïne ordinaire, A plein temps, est un film à la portée sociale, « qui rend visibles les invisibles » (Laure Calamy), ces salarié.es précaires (des hommes mais aussi beaucoup de femmes) broyé.es par une monde du travail déshumanisé.
A la Mostra de Venise 2021, Laure Calamy a été récompensée par le Prix de la meilleure actrice dans la section Orizzonti. Éric Gravel a reçu le Prix du meilleur réalisateur.

A plein temps d’Eric Gravel, avec Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich. (Comédie dramatique/drame social – France – 2021 1h25 – Date de sortie :16 mars 2022).

La bande annonce du film (Haut & Court – 2020 -1mn42)
Laure Calamy, Eric Gravel – L’Entretien (Sens Critique – 18 mars 2022 – 7mn10)
A plein temps – Entretiens (Canal+ – 16 mars 2022 – 4mn52)

Philippe Descottes

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