Avec Monsieur Hire en 1989, Patrice Leconte avait déjà adapté un roman de Georges Simenon. Cette fois, il a choisi d’adapter un Maigret. Ce retour à la fiction depuis 2014, marque également sa première collaboration avec Gérard Depardieu.

Suite à des projets qui n’ont pu aboutir, en dehors de sa participation à Salauds de pauvres, film à sketchs sorti en 2019, Patrice Leconte n’avait plus tourné de fiction depuis Une heure de tranquillité en 2014. Par le passé, il a eu l’occasion de « diriger » (…il n’aime pas le terme) Daniel Auteuil, Jean-Paul Belmondo, Michel Blanc, Christian Clavier, Alain Delon, Bernard Giraudeau, Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret, Jean Rochefort et bien d’autres acteurs français de renom, mais jamais Gérard Depardieu.
En 1989, le réalisateur avait déjà adapté un roman de Simenon, Monsieur Hire, passant aisément de la comédie au drame. Cette fois ils s’est inspiré de Maigret et la jeune morte paru en 1954 et qui n’avait jamais fait l’objet d’une adaptation au cinéma.
Une nuit, dans une rue de Paris, une jeune fille, Louise (Clara Antoons) est retrouvée morte, le corps lardé de coups de couteau, gisante dans une robe de soirée. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Le commissaire Maigret (Gérard Depardieu) est chargé de l’enquête. Il est amené à rencontrer la jeune Betty (Jade Labeste), qui ressemble étrangement à la victime. Elle et l’inconnue vont raviver le souvenir et le traumatisme d’un drame personnel…
Mondialement connu, Maigret n’était pourtant plus apparu au cinéma depuis 1968 (Maigret fait mouche, coproduction, franco-italo-allemande). Le dernier interprète français du célèbre commissaire était… Jean Gabin (Maigret voir rouge – 1963) ! Pour Patrice Leconte, le successeur ne pouvait être que Gérard Depardieu : « Qui d’autre que Depardieu ? Une fois le film terminé, c’est tellement évident qu’on se dit que personne d’autre ne pouvait jouer Maigret. Mais surtout ce qu’il apporte, son épaisseur… Je ne parle pas de son corps, mais de son épaisseur humaine, ses silences, ses douceurs, sa légèreté parfois, alors qu’il est tellement massif… »(Extrait entretien La Libre Belgique – 23 février 2022).

Ce n’est pas la première fois que l’acteur joue un flic. Il fut ainsi Mangin (Police de Maurice Pialat) et Maurice Lefranc directeur général de la P.J. (Mystère à Saint-Tropez une comédie à oublier de Nicolas Benamou). Depuis Pialat de l’eau a coulé sous les ponts (de la Seine et tout le long du Quai des Orfèvres), mais surtout les deux policiers n’ont pas grand-chose en commun. Maigret n’emploie pas les mêmes méthodes que Mangin, chez lui, ni coup de poing ni revolver. Cette fois, c‘est encore un autre Maigret que l’on découvre. Il peine à marcher, il a le souffle court. Son médecin lui a recommandé de cesser de fumer la pipe ! Il est laconique et n’a plus goût à rien, même pas à la blanquette de veau ou autres petits plats que lui prépare sa chère épouse (excellente Anne Loiret) ! Depardieu campe un Maigret taciturne, mélancolique, désabusé, voire déprimé, « Je ne crois en rien. J’évite même de penser » dit-il. Une interprétation pas très éloignée de cette description de Simenon : « Maigret, lourd et lent, donnait une sensation d’immobilité. Il était là comme une éponge à s’imprégner lentement de tout ce qui suintait autour de lui ». Maigret devient en même temps le miroir d’un Depardieu pathétique, usé, sur lequel le poids des années et de douleurs intérieures pèse de plus en plus, un colosse aux pieds d’argile. Lorsqu’un vieux brocanteur, M. Kaplan (joué par le regretté André Wilms) lui dit : « Quand on perd un enfant, on perd tout, il n’y a plus rien, vous savez ? », le commissaire répond : « Je sais, je sais Monsieur Kaplan», difficile de ne pas penser au drame vécu par l’acteur avec la disparition de son fils.

Avec Maigret, malgré des clins d’œil à Hitchcock, La Mort aux trousses (le personnage de Kaplan) et Sueurs Froides (la ressemblance de Betty avec la victime), même si l’intrigue est mince (l’inspecteur cherche davantage à identifier une victime qu’à confondre le coupable), on revoit des films policiers français des années 50 ou 60 (…avec Gabin cela va de soi – cf dossier), grâce notamment clair-obscur du directeur de la photo Yves Angelo. Mais on est aussi chez Chabrol avec une critique de la grande bourgeoise, qui n’est plus provinciale, mais parisienne. Un Paris que l’on identifie à peine, beaucoup de scènes étant tournées en studio : « (…) j’ai toujours eu la hantise des reconstitutions trop minutieuses, précise Patrice Leconte, avec des rues entières envahies de véhicules d’époque, car ce soin excessif accordé aux décors détourne l’attention du spectateur de l’essentiel. Certes, il s’agit des années 50, mais je voulais que le film soit très stylisé dans la mise en scène, la lumière, les accessoires, les costumes, avec des partis-pris de cadre et d’éclairage assez forts. Monsieur Hire devait être un film atemporel, et on s‘était amusés à brouiller les repères chronologiques. Cette fois, on était un peu plus tenus de dater le film précisément : il n’y a donc pas d’accessoires anachroniques, mais il n’y a pas de reconstitution obsessionnelle, sinon le réalisateur se transforme en gardien de musée » (extrait du dossier de presse).
Si Depardieu « en impose » à l’écran, il faut également souligner l’importance des personnages féminins, de beaux seconds rôles qui n’ont rien de… secondaires. Aux Clara Antoons, Jade Labeste et Anne Loiret déjà évoquées, on associera Mélanie Bernier (l’ambitieuse Jeanine) et Aurore Clément (une bourgeoise énigmatique).
Maigret de Patrice Leconte, avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Clara Antoons, Aurore Clément, André Wilms, Anne Loiret, Elizabeth Bourgine. (Drame/Policier – France/Belgique – 2022 – 1h28 – Date de sortie : 23 février 2022)
A voir également :
La bande annonce du film (SND – Janvier 2022 – 1mn37)
Entretien avec Patrice Leconte (Pascal Nègre – RFM – 21 février – 28mn12)
Story Classique – Patrice Leconte (OCS Géants – 14 février – 30mn48)
Maigret sur les écrans
Philippe Descottes
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