Cinéma / La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov

La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov (le réalisateur de Leto) aura été l’un des chocs de la 74e édition du Festival de Cannes en juillet 2021. A découvrir malgré sa difficulté.

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La Fièvre de Petrov – © 2021 Hype Film, Logical Pictures, Bord Cadre Films, Bac Films

Chaque édition du Festival de Cannes présente son lot de films singuliers, lesquels vous captivent ou vous ennuient, vous intriguent ou vous perturbent, vous envoûtent ou vous endorment. La Fièvre de Pétrov, présenté en juillet dernier en Compétition officielle, en fait partie partie. Il coche pratiquement toutes les cases, celle de la léthargie en moins.
C’est déjà sur la Croisette qu’ont été découverts deux autres longs métrages du réalisateur et metteur en scène de théâtre et d’opéra
Kirill Serebrennikov, Le Disciple, à Un Certain Regard en 2016, et Leto en Compétition en 2018. Le premier suivait une adolescent en pleine crise mystique basculant dans le fanatisme, le second s’intéressait à un groupe rock underground dans la Leningrad de 1981, sous le pouvoir brejnévien.
Assigné à résidence en 2018 à la suite d’une accusation de détournements de fonds publics et du procès qui s’en est suivi, cette année il lui a été interdit de quitter la Russie et donc de venir présenter son film à Cannes.
La Fièvre de Pétrov est une adaptation d’un roman à succès de l’écrivain estonien Alexei Salnikov, Les Petrov, la grippe, etc. « (…) c‘était travailler avec un auteur incroyable, dont l’univers faisait écho en moi, comme j’espère en nous tous (…). C’était une tentative d’exprimer ce que la Russie est pour nous à travers l’empathie, le partage de nos souvenirs d’enfance, de nos peurs, de nos joies, en racontant au public ce qu’on aime et ce qu’on déteste, ce qui nous fait enrager, ce qu’on adore, en partageant notre solitude et nos rêves. (…) C’était pendant une période sombre de ma vie, et ce film m’a donné les moyens de me changer les idées et de me concentrer sur la source principale du bonheur. Il a même peut-être été, dans une certaine mesure, ma bouée de sauvetage. Tout ce contexte l’a rendu d’autant plus sincère et franc. »

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Petrova et Petrov – La Fièvre de Petrov © 2021 Hype Film, Logical Pictures, Bord Cadre Films, Bac Films

Dans la Russie post-soviétique, Petrov (Semyon Serzin), est à la fois auteur de bandes dessinées et mécanicien. Atteint d’une vilaine grippe, affaibli par une forte fièvre, il rentre chez lui en bus par un soir d’hiver… Le film semble s’inscrire dans le prolongement de Leto, même si l’on ignore dans quelle ville nous sommes. Mais il prend cependant, très rapidement, une autre route et même plusieurs. Petrov est obligé de descendre pour rejoindre un peloton d’exécution chargé de fusiller un groupe de femmes et d’hommes. Son ami Igor (Yuri Kolokolnikov), l’entraîne dans un périple alcoolisé. Dès lors, tout s’embrouille. Pour Petrov, mais aussi pour le spectateur. Sous l’emprise de la vodka, c’est le point de départ d’un voyage et de déambulations où se mélangent présent et passé (retour à la période soviétique), la réalité et le rêves, les hallucinations et les cauchemars. Petrova (Chulpan Khamatova), son épouse dont il est en train de se séparer, est bibliothécaire et anime un cercle de poètes. Soudain, elle est en proie à des pulsions meurtrières. Un ami écrivain du dessinateur se suicide devant lui. Un cadavre s’échappe de son cercueil. On croise une babouchka, la Fille des Neiges…
Difficile voire même impossible de distinguer ce qui est de l’ordre du « réel» et de ce qui appartient aux délires du cerveau de Pétrov. Mieux vaut renoncer à essayer d’assembler les pièces du puzzle, de cette métaphore d’un monde malade et sur la noirceur de la condition humaine. Si la recherche du sens à tout prix peut mettre le spectateur dans l’embarras, le travail sur la forme, l’aspect visuel, peut tout aussi bien le combler ou le décontenancer un peu plus. Malgré le risque,
Kirill Serebrennikov n’a pas imposé de limites à sa liberté créatrice, utilisant de longs plans séquences pour transposer les personnages d’un milieu à un autre ou d’une époque à une autre, mais aussi des maquettes et de l’animation, changeant d’échelles de plans, de format et passant de la couleur au noir et blanc. Il signe une œuvre baroque, surréaliste, insaisissable, qui brille par son inventivité formelle permanente. Une expérience cinématographique à tenter.

La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov. Avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuriy Borisov et Yulia Peresild (Russie/Allemagne/France/Suisse – Drame – 2021- 2h26 – Sortie le 1er décembre 2021).
Voir :
La bande annonce du film (Bac Films – 1mn33 – Vostf)
Conférence de presse (Festival de Cannes – Juillet 2021 – 43mn23)
Philippe Descottes

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