Cinéma / Illusions Perdues de Xavier Giannoli

Présenté en compétition à la Mostra de Venise 2021, Illusions perdues est une adaptation du roman d’Honoré de Balzac. Xavier Giannoli et son coscénariste Jacques Fieschi n’ont gardé que la 2e des trois parties de l’œuvre, mais ils demeurent fidèles à l’esprit de l’œuvre. Un « film d’époque » en résonance avec la société actuelle. L’un des meilleurs longs métrages de 2021 !

Louise et Lucien – Illusions perdues – Xavier Giannoli – Crédit photo : Roger Arpajou /Curiosa Films – Gaumont – France 3 Cinéma – Gabriel Inc. – Umedia

Le hasard des sorties cinéma vient de mettre à l’honneur, en à peine un mois, Honoré de Balzac, avec Eugénie Grandet, de Marc Dugain, et, cette semaine Illusions Perdues de Xavier Giannoli. Curieusement, Illusions Perdues fait figure de parent pauvre en ce qui concerne les adaptations, tant au cinéma qu’à la télévision… Peut-être parce que, parmi les thèmes, il fait référence au « quatrième pouvoir » (la presse), expression qu’emploiera Balzac en 1840.
Xavier Giannoli avait une vingtaine d’années et était étudiant en Lettres à la Sorbonne à Paris (le quartier des cinémas) quand il a découvert le roman. Il aurait pu devenir journaliste (… comme Balzac) car la presse, il connaît. Son père l’a été et à dirigé
Elle et Télé 7 Jours, lui-même a fait un stage à L’Express, mais c’est le cinéma qui lui trottait dans la tête. « Tout revenait au cinéma, d’une manière ou d’une autre… déclare-t-il dans le dossier de presse. J’ai alors commencé à accumuler des notes, des références visuelles, des études de critiques marxistes ou au contraire d’esthètes réactionnaires, car les critiques de tous bords ont voulu récupérer Balzac. Et aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours vécu avec l’idée de faire un jour une adaptation cinématographique des Illusions. Mais pas question pour moi de colorier les images du roman, de plagier maladroitement le récit dans une adaptation académique. L’art se nourrit de ce qu’il brûle. Le cinéma est par nature la transfiguration d’une réalité ou d’un livre. Sinon à quoi bon ? ». D’où la volonté pour le cinéaste et son coscénariste, Jacques Fieschi, de ne pas se livrer à une adaptation littérale, de prendre des libertés prises par rapport à l’œuvre originale et ce choix de ne retenir que la deuxième partie, Un Grand homme de province à Paris. Dans le téléfilm de 1966 le réalisateur Maurice Cazeneuve avait retenu que les deux premières parties du roman qui en comporte trois, écrites entre 1837 et 1843 (Les deux poètes, Un grand homme de province à Paris, et Ève et David/Les souffrances de l’inventeur).
Le film nous emmène donc sous la Restauration (période qui s’est étendue de 1814 à 1830 marquée par le retour au pouvoir de la monarchie après la chute du Premier Empire), en province. Lucien Chardon (Benjamin Voisin, révélé au cinéma par
Eté85, il confirme son talent) travaille comme imprimeur, mais se rêve poète. Il fréquente la bonne société d’Angoulême et devient l’amant de Louise de Bargeton (Cécile de France). Afin d’éviter un scandale mais aussi pour y conquérir la gloire, il quitte sa province natale pour tenter sa chance à Paris, au bras de sa protectrice. En attendant d’être reconnu comme écrivain, il devient journaliste critique culturel grâce à l’aide d’Etienne Lousteau (Vincent Lacoste, cynique, mais drôle), provincial comme lui et écrivain repenti devenu rédacteur en chef d’une feuille de chou…

Lucien et Etienne – Louise et Lucien – Illusions perdues – Xavier Giannoli – Crédit photo : Roger Arpajou /Curiosa Films – Gaumont – France 3 Cinéma – Gabriel Inc. – Umedia

Dans la plupart des films de Xavier Giannoli il est question d’imposture et de croyance. L’escroc d’À l’origine (2008) fait croire qu’il va relancer la construction d’une autoroute et l’activité économique d’une région. Dans Marguerite (2015), celle-ci se prend pour une cantatrice alors qu’elle chante faux, et dans L’Apparition (2017) une jeune fille prétend avoir vu la Vierge. Les impostures et les imposteurs ne manquent pas dans Illusions perdues. A commencer par Lucien Chardon, devenu de Rubempré, qui s’arroge une particule à laquelle il ne peut prétendre, croit que son talent d’écrivain va lui apporter la gloire et lui permettre d’accéder à un rang qui restera de toute façon inaccessible pour un roturier.
Dans cette « bonne société parisienne », que le jeune homme naïf va découvrir, tous les coups sont permis, surtout les coups bas et les coups de poignard dans le dos. Elle est partie intégrante, à l’ère d’un nouveau capitalisme, d’un monde où tout s’achète et tout se vend, la presse comme la littérature, la politique comme les sentiments. Un monde corrompu (« 
Tout est pourri partout » dira Coralie, jeune amour de Lucien). La presse, qui affiche sa collusions avec le monde de la politique et des affaires, est libre… Libre d’écrire n’importe quoi. Il lui est même recommandé de le faire. Comme le déclare le rédacteur en chef Lousteau : « Mon métier c’est d’enrichir les actionnaires du journal », « Ce qu’on écrit n’a aucune importance. C’est oublié le jour même. Tout ça finit par emballer le poisson. ») puis, en conférence de rédaction « Notre ligne éditoriale sera simple : le journal tiendra pour vrai tout ce qui est probable ! ». Andoche Finot (Louis-Do de Lencquesaing), son patron, ne dit pas autre chose lors d’une cérémonie d’intronisation : « Au nom de la mauvaise foi, de la fausse rumeur et de l’annonce publicitaire, je te fais journaliste ». La forme plutôt que le fond, et la recherche du scandale. C’est bon pour les ventes et les dividendes des actionnaires. Tant pis pour l’information, tant pis pour ses idéaux, Lucien de Rubempré finira à son tour par tremper sa plume dans le fiel et le venin. « C’est un milieu et ce sont des gangsters. L’ambition de ces jeunes hommes qui voulaient écrire est dévoyée par le fracas de l’époque et l’obsession de l’argent » commente le réalisateur dans un entretien accordé au Figaro. Étranges similitudes avec la presse (les médias) d’aujourd’hui !

Coralie & Nathan – Illusions perdues – Xavier Giannoli – Crédit photo : Roger Arpajou /Curiosa Films – Gaumont – France 3 Cinéma – Gabriel Inc. – Umedia

En dehors des salles de rédaction enfumées et des « salons où l’on cause » (et persifle), Xavier Giannoli nous convie également au théâtre, sur la scène et dans ses coulisses où l’on s’attend à croiser Garance ou le mime Baptiste des Enfants du Paradis. Mais ce sera l’innocente Coralie (Salomé Dewaels, comédienne belge, une révélation) et sa copine actrice. Elles n’ont pas voix au chapitre, la « bonne société » ne daignant pas reconnaître leur talent. Il en va ainsi pour tous ces gueux de saltimbanques, dont la carrière dépend des réactions (applaudissements ou huées) de Singali (le dernier rôle de Jean-François Stévenin), le chef de claque, et de ses figurants disséminés dans le public.
Aux comédiens déjà cités il convient d’ajouter à cette brillante troupe, Jeanne Balibar (l’influente et venimeuse marquise d’Espard), Xavier Dolan (Nathan, écrivain talentueux, le « Meilleur ennemi » de Lucien, mais peut-être son ami le plus proche…),Gérard Depardieu (Dauriat, éditeur qui fait la pluie et le beau temps, ancien marchand de fruits et légumes, il est illettré mais sait très bien calculer !), André Marcon (le Baron du Chatelet, surnommé « la pintade », soupirant intéressé de Louise de Bargeton). Ils constituent une belle galerie de personnages, cruels et cyniques pour la plupart, dont les portraits défilent sans que l’on s’en rendent compte malgré la durée de 2h30, à la manière de caricatures de Daumier.
Autre qualité des
Illusions perdues est d’être un « film en costumes », historique, qui ne « sent pas la naphtaline », malgré le soin apporté à la reconstitution (les costumes, les décors auxquels il faut ajouter la lumière – et les ombres – du directeur de la photo Christophe Beaucarne), et se distingue par sa modernité : les parallèles entre l’époque balzacienne et le XXIe siècle sont nombreux, et pas seulement au niveau de la presse. A voir sans tarder !

Illusions perdues de Xavier Giannoli.Avec Benjamin Voisin, Cécile De France, Vincent Lacoste, Gérard Depardieu, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, Jean-François Stévenin, Salomé Dewaels (France – Drame – 2021 – 2h30 – Date de sortie en salle : 20 octobre 2021)

Voir :
La bande annonce du film (Gaumont – 2mn07)

Ecouter :
L’entretien audio avec Jacques Fieschi, coscénariste (Arte Mare/Bastia) Octobre 2021 – 7mn30). Nos Remerciements à Dominique Landron de RCFM France Bleu.
Lire :
Illusions perdues d’Honoré de Balzac (Gallica/BNF)
Balzac au cinéma (L’année balzacienne 2007/1 n°8)
Honoré de Balzac au cinéma (Ciné-Club de Caen)
Comment le cinéma est-il tombé amoureux d’Honoré de Balzac ? (France Inter – 13 octobre 2021)
Les journalistes d' »Illusions perdues » : un reflet réaliste de la presse du XIXe ? (France Inter – 19 octobre 2021)
Philippe Descottes

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