Comédien passé à la réalisation en 2016 avec Good luck Algéria, Farid Bentoumi signe avec Rouge, son second long métrage, un polar écologique, porté par Zita Hanrot et Sami Bouajila.

Rouge est le second long métrage réalisé par Farid Bentoumi après la comédie Good luck Algeria (2016). Avec le label Cannes 2020, il aurait du sortir à l’automne dernier avant d’être déprogrammé à cause du reconfinement et de la nouvelle fermeture des salles. Sans ce label il aurait peut-être pu faire partie en juillet de la nouvelle section du Festival de Cannes, Cinéma pour le climat qui ne présentait qu’une fiction pour six documentaires. Une sélection qui lui aurait peut-être donnée une meilleure visibilité. Il a été distribué au cœur de l’été, en plein « embouteillage des sorties » annoncé (« problème de riches » dixit Roselyne Bachelot) et des nouvelles contraintes imposées aux cinémas par le pass sanitaire…Pas simple de se frayer un chemin en cette période, surtout avec un(des) sujet(s) grave(s), mais pourtant bien actuel(s).
Avec Good luck Algeria le réalisateur s’inspirait de l’histoire vraie de son frère, Noureddine Maurice Bentoumi, qui a participé aux Jeux Olympiques d’hiver de 2006 à Turin. Pour Rouge, une autre histoire de famille dont Sami Bouajila (Un Fils) est à nouveau l’interprète principal, il a tiré son inspiration de l’engagement de ses parents (en particulier du vécu de son père, ouvrier et délégué syndical) et du scandale des boues rouges de l’usine d’alumines Alteo à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, qui a déversé ses déchets polluants dans la Méditerranée pendant des décennies (voir plus bas).

Après une expérience traumatisante à l’hôpital, Nour (Zita Hanrot, vue dans Fatima et L’ordre des médecins) est embauchée comme infirmière chez Arkalu, l’usine chimique où travaille depuis près de 30 ans son père, Slimane (Sami Bouajila), ouvrier et délégué syndical. Elle ne tarde par à relever plusieurs dysfonctionnements : mensonges sur le traitement des déchets, dossiers médicaux manquants ou trafiqués, accidents dissimulés, au moment où Emma (Céline Sallette), une journaliste indépendante, mène son enquête suite à une rumeur de pollution. Pour Slimane, faire des vagues conduira à la fermeture de l’usine et à des centaines de licenciements…
Rouge est proche de productions étasuniennes comme Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh (2000) ou, plus récemment, Dark waters de Todd Haynes, mais aussi du film gréco-français (presque passé inaperçue au moment de sa sortie il y a quelques semaines), Digger, de Georgis Grigorakis, et dans lequel un agriculteur s’oppose depuis des années à une compagnie minière qui veut s’approprier son terrain. Énième variation de la lutte du pot de terre contre le pot de fer (ou de David contre Goliath), le film de Farid Bentoumi, axé sur la question écologique aborde également, parfois succinctement, d’autres thèmes qui lui sont liés plus ou moins indirectement, comme la compromission des élus, quelque soit leur couleur politique, ou le désintérêt des ouvriers des partis de gauche au profit d’une extrême droite aux visées électoralistes, ainsi que la notion d’engagement et de sa transmission. Le titre suggère d’ailleurs quelques pistes avec cette couleur qui est celle des déchets toxiques, comme elle symbolise l’engagement syndical ou politique, la révolte, mais évoque aussi les blessures qui s’ouvrent ou peinent à se refermer, ou encore les liens du sang qui unissent une famille. Polar écologique (ou thriller environnemental) Rouge est surtout un drame social (et politique), qui rappelle le cinéma des frères Dardenne d’ailleurs coproducteurs et conseillers.
La réalité que découvre Nour (en même temps que le spectateur) va entraîner des rapports conflictuels avec son père (malgré leur profond amour filial). Va-t-elle se taire ou bien parler et le trahir ? La protection de l’environnement et le respect des normes sanitaires ont longtemps été antinomiques avec les intérêts économiques et la sacro-sainte « défense de l’emploi » invoquée dans les discours patronaux mais aussi syndicaux. Ces derniers temps la problématique a dérivé vers une une autre forme d’antagonisme qui oppose « fin du monde « et « fin de mois ». Le conflit fille/père se double d’un conflit générationnel, la jeune génération, plus responsable, agit et essaie de réparer les erreurs des aînés ou de les amener à le faire. Il est intéressant de noter que dans Digger, le père est attaché à la terre tandis que le fils, passionné de moto-cross, succombe aux sirènes de l’entreprise minière et en devient un salarié.

Le spectateur perçoit très rapidement le point de vue écologique du réalisateur. Cependant, celui-ci évite un traitement manichéen du sujet (le bien/le mal), ce qui différencie Rouge d’Erin Brockovich ou de Dark Waters. Il donne ainsi la parole aux différents protagonistes. Pour Farid Bentoumi : « On sait que pour ralentir le réchauffement climatique, c’est-à-dire pour survivre sur cette planète, on va devoir renoncer à certains avantages, à certaines habitudes de vie. Mais Rouge montre au spectateur que ces débats sont très compliqués (…). Si je présente mon film aux ouvriers de Gardanne qui risquent le chômage, je ne ferais pas le malin. Même si je suis d’accord avec Nour et que je pense qu’on ne peut plus continuer à balancer des matières toxiques dans la nature, supprimer 500 emplois, c’est terrible. À un moment, il faut se poser autour d’une table et réfléchir, ensemble, aux solutions les plus intelligentes. J’aime que les spectateurs sortent de mes films en se posant des questions, en débattant » (extrait du dossier de presse). Et de poursuivre : « Aujourd’hui, j’écris vraiment des films pour les comédiens. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est un cinéma de personnages. Proche de moi et du public. » Porté par Zita Hanrot et Sami Bouajila, sans faille, le film doit également beaucoup à la prestation des « seconds rôles », Céline Sallette et Olivier Gourmet.
Rouge de Farid Bentoumi (Drame -France/Belgique – 2020 – 1h28 – Date de sortie : 11 août 2021). Avec Zita Hanrot, Sami Bouajila, Céline Sallette, Olivier Gourmet, Thierry Rousset, Alka Balbir.
Voir également :
La bande annonce de Rouge (Ad vitam – 1mn48)
Rencontre avec Farid Bentoumi (Festival Atmosphères – Octobre 2020 – 47mn)
Mère française, père algérien : Farid Bentoumi (28 minutes/Arte – 11 août 2021- 9mn33)
Rejets en mer des effluents de l’usine de Gardanne (Parc national des Calanques)
Boues rouges, la mer empoisonnée (Thalassa – 2016 – 58mn)
Philippe Descottes