Je me souviens de… Jean-François Stévenin

Jean-François Stévenin s’est éteint le 27 juillet à l’hôpital de Neuilly-Sur-Seine. Il avait 77 ans.

CiaoViva - JF Stévenin - PasseMontagne - Crédit photo Acacias- Le Pacte
JF Stévenin & J Villeret – Passe Montagne – Crédit photo Acacias- Le Pacte

Je me souviens… que Jean-François Stévenin est né dans le Jura, à Lons-Le-Saulnier, le 23 avril 1944.
Je me souviens qu’il a fait HEC et qu’en 1966, à l’occasion d’un stage à Cuba, sur le tournage d’un film sur la production laitière, il découvre un plateau de cinéma.
Il ne songe pas à devenir acteur, mais il veut faire du cinéma… n’importe quoi dans le métier. Il s’en confie à une inconnue dans la
file d’attente d’un concert de Jimi Hendrix. L’inconnue c’était Elisabeth Rappeneau, qui travaillait comme scripte, pour Alain Cavalier et Jean-Pierre Melville notamment. Justement Alain Cavalier préparait La Chamade (1968), d’après le roman de Françoise Sagan, avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli. Jean-François Stévenin débute comme assistant et fait de la figuration.
Je me souviens qu’il a d’abord travaillé comme assistant réalisateur pour François Truffaut et Jacques Rivette. Et puis ce fut le déclic :
« Pendant dix ans, j’étais assistant, je n’avais jamais pensé à jouer. J’étais un peu apparu dans La Nuit américaine de Truffaut. Mais sans m’en apercevoir, comme tous les techniciens du film. Et dans Out One, de Jacques Rivette, où Juliet Berto avait dit: »C’est drôle, l’assistant ressemble à Brando, pourquoi il ne jouerait pas Marlon? La scène a été gardée au montage. Petite étincelle, j’étais très étonné qu’ils ne la jettent pas.» (1)

Je me souviens qu’il avait déjà travaillé avec François Truffaut pour L’enfant sauvage (1970), Une belle fille comme moi (1972) et La Nuit américaine (1973), avant de faire L’argent de poche en 1975 où il joue Monsieur Richet, l’instituteur, le rôle qui lance sa carrière d’acteur définitivement.

Comme François Truffaut, Jacques Rivette, René Féret, Alexandre Arcady, Bertrand Blier, Eric Rochant, Laetitia Masson, Ursula Meier, Robert Enrico, Philippe Ramos, Pascal Kané ou Jean-Pierre Mocky ont fait de nouveau appel à lui après une première collaboration.

Je me souviens également qu’il a tourné sous la direction d’André Téchiné, de Paul Vecchiali, de Catherine Breillat, de Luc Béraud, de Claude Faraldo, d’Yves Boisset, de Jacques Demy, de Jean-Luc Godard, de Juliet Berto, de Jean-Loup Hubert, de Marion Vernoux, mais aussi de Patrick Grandperret et de Patrick Bouchitey, ou encore de… John Huston, Marco Ferreri, Jim Jarmusch, Werner Schroeter, d’Agnieszka Holland ou de Raoul Ruiz !

« Son visage rond et ses yeux bleus perçants (ont fait) rapidement de lui une figure familière du cinéma français », qu’il s’agisse du cinéma d’auteur ou d’un cinéma plus populaire. Il est ainsi au générique des deux volets de La Révolution Française de Robert Enrico et Richard T.Heffron (1989), du Bossu de Philippe de Broca (&997) ou du Pacte des Loups de Christophe Gans (2000). Il a même été l’archétype du Français moyen en interprétant Robert Bidochon dans l‘adaptation de la bd de Christian Binet par Serger Korber (1996).

A la télévision, il a débuté sa carrière dès 1976. Ces dernières années, il a été notamment Virgile Berto, le gardian d’une manade camarguaise, dans la série de neuf téléfilms Le Camarguais, de 2002 à 2005, et a joué dans plusieurs épisodes de la série Falco (2013/2015).

CiaoViva - JF Stévenin - DoubleMessieurs6_ © Acacias - Le Pacte
Y. Afonso & J-F Stévenin – Double Messieurs © Acacias – Le Pacte

Je me souviens que Jean-François Stévenin est passé derrière la caméra en 1977 avec Passe-montagne, tourné… dans le Jura. Un film dont il est également le scénariste (avec Elisabeth Rappeneau) et dont il partage l’affiche avec Jacques Villeret. Un architecte tombe en panne de voiture sur l’autoroute et se lie d’amitié avec un garagiste bizarre et rêveur… Près de 10 ans plus tard, direction Grenoble où il réalise son second long métrage, Double-messieurs (1986) où deux vieux copains de colonie de vacances (Stévenin et Yves Afonso) partent à la recherche d’un autre « copain » souffre-douleur de leur enfance. Il faudra attendre 15 ans avant de découvrir Mischka, son troisième film en tant que réalisateur (2001) et prétexte a une nouvelle aventure aux rencontres improbables, celle de Mischka (Jean-Paul Roussillon),un papy abandonné sur une aire d’autoroute puis pris en charge par un infirmier, une adolescente et une Gitane rockeuse (Rona Hartner). Jean-François Stévenin retrouve Yves Afonso et est entouré de sa femme Claire et ses enfants Salomé et Pierre (ses deux autres enfants, Sagamore et Robinson, sont eux aussi acteurs). Il fait aussi tourner, dans son propre rôle, son idole : Johnny Hallyday.

Ses trois films ont failli pourtant disparaître car les copies en 35 mm argentique étaient en très mauvais état. C’est avec le soutien du CNC qu’ils ont pu être restaurés et transférés en version numérique.

Jean-François Stévenin avait songé adapter Le Meunier hurlant, d’Arto Paasilinna et  Nord, de Louis-Ferdinand Céline. Ce dernier projet intitulé La Fée dans le rétro, n’a pu voir le jour.
Je me souviens qu’en 2018 Agnès Varda lui a remis un prix Jean-Vigo d’honneur, une récompense qui distingue l’indépendance d’esprit, la qualité et l’originalité d’un cinéaste.

Jean-François Stévenin acteur, c’est une filmographie impressionnante de plus de 200 titres (cinéma et télévisons). Certains films ne sont pas encore sortis dans les salles. C’est le cas d’Illusions perdues d’après Honoré de Balzac, de Xavier Giannoli, Sélectionné en compétition officielle à la Mostra de Venise de septembre et  annoncé dans les cinémas pour le 20 octobre prochain.

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R Hartner, JF Stévenin, JP Roussillon -Mischka© Acacias – Le Pacte

Je me souviens des propos de Jean-François Stévenin…

Sur le métier d’acteur :«  (…) je n’avais aucune expérience donc je me suis appuyé sur les gestes. Je me suis aussi aperçu que John Wayne n’était jamais debout comme un con, il fallait qu’il ait une Winchester à la main ou qu’il prépare un café avec la Winchester posée à côté de lui. Newman, Montgomery Clift, Marlon Brando, ils s’appuient tous sur des gestes. » (2)

Sur John Cassavetes« Quand j’ai vu ses films, je me suis dit “J’ai un cousin”, ça me parlait à tous les plans. Les personnages, l’amour qui ruisselle, Love StreamsOn aime absolument tous les personnages, même le pire salopard de la Mafia. La vie, c’est ni noir ni blanc, c’est gris, c’est lumineux. » (2)

John Cassavetes et Faces : « Je me suis pris ses films dans la figure, comme le concert d’Hendrix. J’ai vu Faces à la Cinémathèque, dans une copie non sous-titrée, alors que je comprends pas un mot d’anglais, et j’ai été transporté… C’est-à-dire que j’ai vraiment cru que les mecs avaient fait le film en deux ou trois nuits, avec dix bouteilles de scotch et trente kilos de spaghettis, dans la folie, alors que le tournage et le montage ont duré des années et que rien n’était improvisé… » (3)

Sur un tournage, « coup de foudre collectif » :« On tombe amoureux des acteurs d’une façon ou d’une autre, mais on est aussi amoureux du chef électricien. C’est tellement dur et dérisoire de faire un film que j’ai envie de prendre tout le monde dans mes bras. » Et après le tournage ? « Le coup de foudre s’arrête et tout le monde tombe malade. » (2)

Sur Jean-François Stévenin réalisateur :« Mes films ne sont pas directement autobiographiques au départ, mais ils le deviennent parce que je les nourris de mes frustrations et de mes rêvasseries, de toutes mes traînasseries. Ma théorie, c’est qu’il suffit de descendre dans la rue, de choper les dix premières personnes qui passent, de les investir et de les faire se raconter : ça fait un film, c’est sûr » (3)

Passe-montagne :« (…) c’est toutes mes frustrations d’adolescent par rapport à mes copains un peu voyous qui faisaient ce qu’ils voulaient. J’avais une éducation rigoureuse, je ne pouvais pas me sauver la nuit et je me suis vengé en faisant ce film : le garage, le cambouis, une Porsche sous une bâche, la frontière suisse pas loin. » (2)

Ses trois films :« Sur mes trois films, j’ai toujours dû mimer tous les mouvements au cadreur, celui de la caméra et celui des acteurs, c’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas le temps de travailler avec les comédiens.

Mais il ne faut surtout pas que ça se voie, il ne s’agit pas d’étaler une virtuosité de caméra genre course-poursuite, même si ce sont des plans hyper-compliqués à régler, impossibles sans Steadycam, avec le cadreur qui respire avec les acteurs. Sur Passe-montagne et Double messieurs, je n’avais évidemment pas de Steadycam, alors, grosse galère… De toute façon, un tournage, c’est l’art des contraintes… Mais si Mischka était une suite de plans-séquences comme ça, il ferait trois heures vingt au lieu de deux heures. Au montage, on commence à démantibuler les plans, à les dégraisser. » (3)

Quelque chose me dit que ses potes, Jacques, Yves, Jean-Paul, Johnny l’attendent déjà…

(1) Cité par Anne Diatkine (Libération – 23 février 2000)

(2) Cité par Murielle Joudet (Le Monde – 19 avril 2018)

(3) Entretien avec Serge Kaganski et Frédéric Bonnaud (Les Inrockuptibles – 2002)

Pour en savoir plus :

Jean-François Stévenin, 3 films (Les Acacias/Le Pacte)

Présentation de La Nuit Américaine (Cinémathèque française – 7 novembre 2014 – 9mn42)

La bande annonce de La Nuit Américaine (Warner Bros – 2mn39)
Quizz Cinéma : Jean-François Stévenin (e-cinéma – 5mn23 – 9 avril 2018)
Jean-François Stévenin (Festival Cinémondes – 8mn34 – 10 juin 2018)
Une journée avec Jean-François Stévenin (INA – Compartiment cœur/France 3 – 18mn16 – 23 décembre 1989)
Les belles échappées de Jean-François Stévenin (Plan Large – France Culture – Audio – 1h -21 avril 2018)

Filmographie (Unifrance)

Sa biofilmographie (Cineressoures/BIFI/La Cinémathèque française)
Philippe Descottes

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