En deux films : Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider ( 2017 ), la cinéaste Chinoise, qui vit en Amérique, s’est imposée comme une des valeurs sûres de la jeune génération. Comme le confirme son troisième long métrage Nomadland , superbe immersion au cœur de l’Amérique des laissés pour compte, qui a été couronné par le Lion d’Or au Festival de Venise 2020 et trois Oscars…
C’est son regard aigu et sans fioritures empreint d’une proximité bienveillante sur les individus qui nous avait frappés à la vision de son premier long métrage :Les chansons que mes frères m’ont apprises , situé dans une réserve indienne dont le récit nous avait bluffés ! Il s’y imposait déjà la thématique de la marginalité, de la précarité et du combat pour la survie vers lequel le jeune héros va s’engager afin d’aider sa famille et une communauté qu’il devra quitter. Espoirs et désillusions, déracinement et destinées brisées seront également scrutées dans The Rider portrait sensible d’un jeune cow-boy, as du rodéo. On retrouve aussi l’exploration de la thématique dans Nomadland adapté du remarquable livre d’investigation de la journaliste Américaine Jessica Bruder , qui, pour conduire son enquête sur le quotidien de ces populations de laissés pour compte, s’est immergée « incognito » s’engageant dans des emplois précaires ( chez Amazon …ou à la récolte des betteraves en Alaska ) pour y vivre et explorer le « vécu » quotidien de ceux qui ont perdu leurs maisons et dont les vies ont été bouleversées . Ceux de Zones ou villes abandonnées où règne le chômage , hommes et femmes sans perspectives contraints de quitter leurs « home » emportant avec elles les seuls biens qui leurs restent, contraints de tirer un trait sur leur passé , qui ont choisi de prendre le large et sillonner les routes dans leurs « Van » , en quête d’emplois précaires . Devenus travailleurs nomades qui n’ont pas d’autre choix, tout emploi … fut-ce-t-il de quelques jours , est bon à prendre ! Et l’on accepte même d’être exploités afin d’en augmenter le maigre salaire … qui est celui de la survie ! C’est au travers de son héroïne , Fern (Frances McDormand) que la cinéaste va nous immerger au cœur d’un quotidien dont on va découvrir , par le biais de ses rencontres , où le constat réaliste se retrouve au cœur des confidences qui en dévoilent admirablement les blessures de ceux dont elle partage désormais le même Vécu . Comme eux en effet, elle a connu dans son état du Nevada et de la ville ouvrière d’Empire dont l’entreprise spécialisée dans les plaques de plâtre a fermé , la descente au enfers de la perte d’emploi qu’accentuera encore son récent veuvage . Alors , prenant son courage à deux mains , elle décide de laisser derrière elle le passé douloureux et va prendre la route vers l’ouest et le chemin de l’emploi , alternant les emplois précaires , partageant le quotidien et les confidences de ces travailleurs nomades de l’Amérique d’aujourd’hui …
A la quête de refuge dans les champs de fortune – Crédit Photo : The Searchlight Pictures .
Le choix de la cinéaste , étant d’en faire les nouveaux héros en quête d’une dignité dont le « voyage » sur les routes dévient une quête libertaire dont les échos renvoient par l’itinéraire et son cheminement, à une nouvelle conquête du territoire faisant fi des difficultés et de l’exploitation dont ils sont l’objet . Celle-ci , trouvant dans les espaces d’une nature qu’ils investissent et dont ils découvrent les multiples vertus , les raisons et motifs d’une reconquête d’une certaine dignité comme témoigne par exemple ces retrouvailles collectives sur les lieux de travail au cœur desquelles ils réussissent en solidaires à rendre « vivable » l’exploitation subie !. Et que prolonge surtout ces soirées de « veillées nocturnes », où les langues se délient par ce qu’ils savent que ceux qui les écoutent sont attentifs, et surtout , ne se font pas juges, ni inquisiteurs. Et puis cette communauté qui se rencontre et s’est choisie une « même route » , un même horizon d’espoir n’est pas dans le calcul, ni dans les faux-semblants . Elle est sincère et se rend de multiples services quand il s’agit de dépanner quelqu’un en rade avec son « van » , ou bien quand il s’agit de respecter et prendre soin de l’intérêt général auquel fait écho la belle leçon ( éviter le gaspillage de l’eau …) du respect dû à la nature . Comme le soulignent les superbes séquences au cœur des multiples espaces parcourus ( Dacota , Nébraska …) par Fern et ses amis de rencontre qui les traversent. Ils sont suivis et enveloppés par une mise en image qui les magnifie empreinte de poésie scrutant ces âmes déracinées s’approprient l’immensité dans laquelle ils s’immergent en résonance communiant avec les lieux ( la baignade dans la rivière ) ou les animaux. Car cette terre qu’ils habitent , en parias ou déracinés , après tout est aussi la leur !. Cela renvoie admirablement en écho à la réflexion sur le constat induisant chez eux un désir de remise en question aussi d’une civilisation dont, aujourd’hui les valeurs consuméristes qui broient leurs vies , sont de plus en plus contestées .Comme en témoignent les nombreuses et bouleversantes séquences séquences où – Fern- à l’écoute ,comme l’est aussi la réalisatrice- toutes deux répercutant les témoignages accablants de ces « nomades » exploités recueillis par la journaliste . En effet au cœur de son adaptation et de sa fiction, la cinéaste fidèle à sa démarche a choisi d’inclure la plupart des personnages du livre , et , afin d’en rendre la perception encore plus authentique pour les spectateurs, son choix s’est porté comme ce fut le cas pour ses deux premiers films, sur des non-comédiens , « issus de la vie réelle » , dit-elle . Et le résultat, une fois encore est magique et époustouflant de réalisme !. D’autant que Frances McDomand comme la journaliste du livre s’est elle aussi immergée dans ces « jobs » successifs tout au long du tournage. S’imprégnant du vécu « intime » au cœur tous ces lieux où l’exploitation éhontée du travail sévit : Restaurants , cafétérias , emplois saisonniers ( la récolte des betteraves… ), ou chez Amazon et le travail à la chaîne pour l’emballage des paquets des fêtes de Noël…
Dans le froid de la nuit des gens du voyage – Crédit Photo : The Searchlight Pictures.
Dès lors , le constat qui est fait d’une réalité prend tout son sens pour Fern , à l’écoute des témoignages poignants et accablants qui disent les espoirs déçus et les douleurs intimes , mais aussi cette volonté de s’accrocher et s’en sortir . Dans le rôle de Fern, Frances McDomand qui est à l’origine du projet production et d’adaptation du livre , s’est investie totalement dans celui-ci , ayant choisi la réalisatrice dont elle avait aimé les deux premiers films. Le résultat d’un travail en « osmose », est de toutes les images et fait mouche . La comédienne égérie des Frères Coen et deux fois oscarisée : meilleur rôle ( pour Fargo / 1997 , et pour Three Bilboards , les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh / 2018) ), en immense comédienne , elle est ici bouleversante et y fait une interprétation de très haute haute volée . Attentive et à l’écoute de tous les personnages et de leurs témoignages dont elle valorise la portée . Ils sont tous émouvants et bouleversants à l’image par exemple de celui de Swankie (Charlaine Swankie ) malade qui se sait condamné …et en attente de sa mort . Ou celui de Bob Wells et son campement d’accueil des routards qui a tiré un trait sur ses rêves et pleure son fils. Ou encore Dave ( David Strathairn ) et sa famille accueillante et tolérante qu’il retrouve, dont le possible d’une liaison avec Fern finira par s’envoler . La vie n’est pas un long fleuve tranquille, et comme le laisse entendre encore Bob Wells , il faut se réinventer et se réapproprier les espaces, afin de créer une autre existence hors des schémas et en revendiquer l’authenticité , comme une espérance hors des chemins tracés et balisés qui emprisonnent. Un film à inscrire sans hésiter sur vos agendas et vous précipiter le voir … c’est un très grand film !
(Etienne Balélrini )
NOMADLAND de Chloé Zhao – 2020 – Durée : 1h 47.
AVEC- Frances McDormand , David Strathairn, Gau DeForest, Douglas G.Soul, Charlène Swankie …
BANDE-ANNONCE du Film NOMADLAND de Chloé Zhao – Distribution ; The Walt Disney Company .
« Car cette terre qu’ils habitent , en parias ou déracinés , après tout est aussi la leur ! »
Voilà qui fait écho à Woody Guthrie me semble-t-il ?
« This land is your land, this land is my land
From California to the New York Island
From the Redwood Forest to the Gulf Stream waters
This land was made for you and me. »
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