Cinéma / THE FATHER de Florian Zeller

Que de chemin parcouru par The Father, le 1er long métrage du dramaturge français Florian Zeller ! Remarqué au Festival de Sundance en janvier 2020, le film a été récompensé dans de nombreux festivals internationaux, malgré un contexte très particulier, avant de remporter deux Oscars, dont celui du Meilleur acteur pour Anthony Hopkins, bouleversant.

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Anthony (Anthony Hokins) – The Father – Photo Sean Gleason © New Zealand Trust Corporation as Trustee For Elarof Channel Fouf Television Corporation Trademark Father Limited F Comme Film Ciné @ Orange Studio 2020

The Father c’est avant tout, l’immense Anthony Hopkins (83 ans), qui est à la fois poignant, séduisant, drôle, attachant, bouleversant (notamment à la fin), mais qui est aussi violent, cruel. Sur quelques plans son personnage est même aussi effrayant (glaçant) que celui… d’Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux (qui lui a valu son 1er Oscar en 1992) ! Sa performance (mémorable), est d’un tel niveau qu’elle en est même troublante : le spectateur ne voit plus un comédien jouer un rôle mais un octogénaire en train de perdre la raison. L’explication peut venir de cette modification apportée par Florian Zeller. Le personnage ne se prénomme plus André, comme dans la pièce originale, mais Anthony : « (…) je ne voulais pas qu’Hopkins soit protégé par son rôle comme par une cuirasse. Je le voulais sans protection, face à la caméra, afin que le spectateur, et lui-même, soit conscient de sa propre mortalité. A la fin du tournage, il est revenu sur la question du prénom. Il pressentait que cela l’avait empêché de jouer un rôle… Sinon le sien.»(Extrait d’un entretien accordé au Monde – 24 avril 2021).
A ses côtés,
Olivia Colman (Oscar de la Meilleure actrice pour La Favorite), est convaincante et émouvante dans son personnage de fille aimante. Quant aux seconds rôles (comme le mari ou l’aide-soignante), ils ont la dure tâche d’être à la fois vraisemblables mais aussi des apparitions.

Dramaturge, metteur en scène, Florian Zeller est aussi écrivain français (il a remporté le prix Interallié en 2004 pour son 3e roman La Fascination du pire). En septembre 2012, Le Père, sa septième pièce, est créée au théâtre Hébertot avec Robert Hirsch dans le rôle principal. Elle sera jouée jusqu’en 2014 et remportera cette même année trois Molières avant d’être reprise en 2015 à la Comédie des Champs-Élysées, puis dans le monde entier. En 2018, à l’occasion de sa nouvelle pièce, Le Fils, Le Point écrira qu’il est « l’auteur français le plus joué dans le monde ». Avec le cinéma Florian Zeller n’en était resté qu’à la réalisation un court-métrage, Nos dernières frivolités, en 2008.

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Anne (Olivia Colman) – The Father – Photo Sean Gleason © New Zealand Trust Corporation as Trustee For Elarof Channel Fouf Television Corporation Trademark Father Limited F Comme Film Ciné @ Orange Studio 2020

Peut-être insatisfait par l’adaptation cinématographique de trois de ses œuvres, Une heure de tranquillité, de Patrice Leconte (d’après la pièce du même nom), et Floride, réalisé par Philippe Le Guay et interprété par Jean Rochefort (dont ce fut la dernière apparition au cinéma), déjà inspiré du Père, Amoureux de ma Femme de Daniel Auteuil (d’après sa pièce L’Envers du décor), l’homme de théâtre s’est lancé dans la réalisation de son premier long métrage en portant à l’écran Le Père, devenu The Father et donc réalisé en anglais. Il raconte à la fois la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony (Anthony Hopkins), dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux, et l’histoire d’Anne (Olivia Colman), sa fille, qui essaie de trouver sa place face à la maladie qui empire et à cette situation de plus en plus douloureuse. Une thématique (la démence sénile, la maladie d’Alzheimer) que le cinéma a déjà abordé avec des films comme, Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman, Still Alice de Richard Glatzer et Wash Westmoreland, Amour de Michael Haneke, ou encore, hasard du calendrier des sorties, Falling de Viggo Mortensen.

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 Florian Zeller et ses Comédiens – The Father – Photo Sean Gleason © New Zealand Trust Corporation as Trustee For Elarof Channel Fouf Television Corporation Trademark Father Limited F Comme Film Ciné @ Orange Studio 2020

Le choix de la langue anglaise, Florian Zeller le justifie le plus simplement : « Essentiellement parce que, lorsque j’ai commencé à rêver de ce film, c’est le visage d’Anthony Hopkins que je voyais. J’ai une admiration extrême pour lui, et j’étais convaincu qu’il serait extraordinaire dans ce rôle. C’est ça qui a décidé du reste» (extrait du dossier de presse). Mais il souhaitait également faire preuve d’une certaine loyauté envers Robert Hirsch, qui a créé le rôle au théâtre. Il lui paraissait impossible de confier le personnage à un comédien français. Si, sur un plan technique, le réalisateur a bénéficié du concours de professionnels ayant déjà « un certain bagage », à l’image du scénariste Christopher Hampton (Oscar du meilleur scénario adapté en 1988 pour Les Liaisons dangereuses, Prix spécial du jury à Cannes en 1995 pour Carrington dont il est également le réalisateur) ou du monteur Yorgos Lamprinos (César du meilleur montage pour Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, monteur du Capital de Constantin Costa-Gavras et d’Un divan à Tunis de Manele Labidi), se posait la question de comment transposer un texte écrit pour être joué sur les planches au cinéma et éviter le « théâtre filmé » ? La solution consiste à ajouter des scènes en extérieur. Ici, Florian Zeller a pris une décision inverse, qui pouvait s’avérer risquée, puisque le film se déroule presque entièrement dans un lieu clos, un seul espace, celui d’un appartement qui va connaître des transformations et qui devient en même temps un espace mental. D’où le soin que Florian Zeller porte également à la photo, signée Ben Smithard, et aux décors de Peter Francis… et son intérêt pour les cinéastes qui sont parvenus à filmer l’enfermement, comme Roman Polanski dans ses premiers films, ou, bien sûr, Michael Haneke dans Amour. A ces éléments de mise en scène s’ajoute la narration non-linéaire qui amène le spectateur à changer de statut. Au début, Anthony a des troubles de la mémoire. Il s’inquiète de ne plus voir Anna, laquelle, divorcée, va s’installer à Paris… Mais, très vite, « il y a quelque chose qui cloche ». Anne a-t-elle divorcé ? Envisage-t-elle réellement de quitter Londres pour s’installer à Paris ? L’homme qui prétend être le mari de sa fille est-il bien son gendre ? Imperceptiblement, des éléments du décor ont changé ou se retrouvent dans ce qui pourrait être un autre lieu. Cet appartement est-ce le sien ou celui d’Anne ?Un plan commence avec un personnage et se termine avec un autre, des scènes semblent montées sans respecter la chronologie… Le spectateur n’est plus le témoin de la dégénérescence d’Anthony, il devient actif. Désorienté, il va se demander, en même temps qu’Anthony perd de plus en plus ses repères, si c’est la réalité, des souvenirs ou des cauchemars. Où est le vrai ? Où est le faux ? Et le réalisateur d’évoquer une autre de ses références cinématographiques, David Lynch. « Son procédé narratif indique-t-il, s’assimile à un puzzle auquel on a l’impression qu’il manque toujours une pièce(. ..)» puis de préciser : « Le spectateur peut tenter de jouer avec les toutes les pièces (…) pour tenter de comprendre ce qui se passe. Mais aucune combinaison ne fonctionnera entièrement. Il y aura toujours des contradictions ou des incohérences. Il y aura toujours une pièce manquante à ce puzzle. »(extrait du dossier de presse).
The Father a été récompensé de deux Oscars : Meilleur scénario adapté et Meilleur acteur.

The Father de Florian Zeller (2020 – Royaume-Uni/France -Drame – 1h39). Avec Anthony Hopkins, Olivia Colman, Imogen Poots,Rufus Sewell, Olivia Williams.

– Voir la bande-annonce du film (UGC Distribution – Vostf)
Entretien avec Florian Zeller (France Culture – 24 mai 2021 – 27mn37)
Anthony Hopkins réagit après son Oscar et rend hommage à Chadwick Boseman (Le HuffPost – 26 avril 2021 – 1mn19).

Philippe Descottes

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