Le décès de l’aïeul algérien porteur de l’héritage familial va déclencher un véritable tsunami des rancœurs, lesquelles se ravivent autour de sa dépouille où chacun revendique le privilège de son deuil. Un récit aux accents autobiographiques sur les origines et la transmission dont la dimension chorale décrit admirablement les enjeux, de l’intime et de l’universel, qui s’y jouent. Ceux d’une quête identitaire bouleversante en forme de plaidoyer libertaire bousculant les codes, dont le « test » du titre du film sera le révélateur…

Dans la séquence d’ouverture on découvre , Neige ( Maïwenn ) rendant visite en maison de retraite à son grand-père d’origine Algérienne , Emir ( Omar Marwan) avec lequel le lien affectif , est très puissant . Celui- ci, pilier d’une nombreuse famille au cœur de laquelle , au fil du temps des rapports de tensions se sont installées, il a été celui qui a préservé Neige des rapports on ne peut plus toxiques entretenus envers celle-ci par le duo parental . A cet égard les prodigieuses séquences à l’hôpital autour du grand-père mourant , où chacun jouant la partition de celui ( ou celle ) qui sera le plus affligé et attentionné . Mais c’est surtout autour du « choix » du cercueil et des modalités de l’enterrement « qui ressemble au grand-père », que la réalité va prendre sa vraie dimension . La querelle qui s’installe entre Neige et son frère va s’inscrire au cœur d’un ressenti générationnel dont chacun des membres du cercle familial, se fait tour à tour l’écho . Chacun s’appuyant sur ses souvenirs , à l’image du frère évoquant ceux de la jeunesse du grand-père , et Neige ceux du présent plus récent… les deux options englobant au bout du compte toute une vie et ce qu’elle renvoie comme enseignement et héritage au clan familial : « j’avais envie de filmer cette question là , car je trouve que c’est une étape essentielle au deuil : que va-t-on montrer du défunt au monde ? », explique -t-elle . Dès lors, autour des dissensions , affrontements et règlements de comptes qui vont se multiplier , la cinéaste va pouvoir explorer au cœur de ces retrouvailles familiales endeuillées, les multiples questionnements de société qui s’y révèlent. Explorant par le biais de toutes les générations ( enfants , petits enfants et arrière petits -enfants) concernées par la mort de l’aïeul , cette quête de soi au cœur de laquelle la symbolique de la mort va se répercuter en un obsessionnel désir de renaissance pour Neige faisant table rase , cherchant à se dépouiller des ces influences néfastes, afin de se reconstruire…

Le traumatisme du vécu de Neige qui va engendrer la détermination de sa quête, révèle au delà de son ressenti et besoin personnel , les éléments d’une autre fracture profonde : celle provoquées par la guerre d’Algérie restée vivace encore de nos jours des deux côtés de la Méditerranée . Le subtil traitement avec lequel la cinéaste l’évoque par la lecture des livres sur le pays de son grand-père, et son désir de demander la nationalité Algérienne en témoigne. A laquelle fera écho, la séquence du test ADN où la surprises des « possibles » , révèle et renvoie – avec humour – à un « mélange racial », génétique ! Difficile de s’y retrouver avec cette hérédité ( atavisme ) plurielle !. Au delà de cet habile clin d’œil pourfendeur du racisme, la cinéaste explore la réflexion sur la quête de soi ouverte à la multiplicité des « possibles », comme forme identitaire constructrice. Se libérant du débat qui n’en finit pas de diviser les spécialistes sur l’influence de l’inné (l’hérédité génétique) et sur l’acquis (éducation culturelle , expérience…). La cinéaste ouvre son récit -en même temps que son cœur – à une sorte de « tri » au centre duquel le rejet devient moteur d’un ressenti toxique auquel il lui faut désormais , en l’absence de son grand-père protecteur, trouver la voie libératrice à l’emprise. Et celle -ci passe aussi par la mise en scène qui s’y colle admirablement , jouant tour à tour avec la rythmique chorale où le réalisme et l’auto-fiction s’inscrivent pour se métamorphoser en décalages oniriques ou humoristiques, sans oublier cette volonté quelle que soit l’angle d’approche , de l’inscrire dans la dimension sociétale qui s’y joue. La mise en scène de la cinéaste l’ épouse admirablement au travers de sa direction d’acteurs et de l’émotion qui s’invite pour laisser place à un sorte de trêve au cœur de la cérémonie funèbre, où le langage universel de la musique et de la poésie, dans une même communion de douleur et tristesse, réunit le clan familial , autour de valeurs partagées en plaidoyer pour la tolérance . Superbe séquence où éclate la poésie rap de Kévin ( Dylan Robert ) et la chanson de Céline Dion en faveur de la laïcité…

Autour du deuil et de son ressenti par la communauté familiale, la superbe et belle idée du récit d’en renvoyer l’écho du questionnement identitaire à sa dimension universelle par la multiplicité des points de vues, est émotionnellement forte et efficace. Servie par une distribution en osmose, où chacun y apporte les fragments d’une note personnelle au cœur d’une synergie où écriture et improvisation se marient judicieusement . A l’image du personnage de l’ex de notre héroïne , François (Louis Garrel) dont l’humour en décalage et contrepoint, apporte une touche savoureuse au cœur du règlement de comptes familial ! La dimension autobiographique et chorale du récit s’en retrouvent dynamisées aussi , à la fois par les envolées oniriques (la scène des serpents ), ou par le lyrisme assumé de certaines scènes, faisant écho à la quête obsessionnelle libératrice de Neige . Celle dont l’inné et l’acquis de l’héritage culturel qui la submerge et la déstabilise, finit par instiller le rejet des figures paternelles (Alain Françon) et maternelles (Catherine Deneuve ) dont les conflits et la détestation s’inscrivent au cœur d’un quotidien insoutenable . Le rejet est inévitable , comme l’est également celui du père des enfants de Neige …toujours aux abonnés absents ! . Mais du trauma ressenti et de l’affrontement inévitable qui en découle, certains « non dits » peuvent enfin se libérer, comme en témoigne la magnifique et prodigieuse scène entre Neige et sa mère . Comme l’illustre également les points de vues divergents affichés lors de la séquence de l’enterrement du défunt aimé, où s’inscrit le questionnement sur le « souvenir laissé au monde ». Tandis que s’y ajoute en toile de fond, le ressenti d’un vécu douloureux du passé ( la guerre d’Algérie ) . Dès lors, Neige dans sa quête identitaire invite au cœur de son récit, le vécu et ressenti inter-générationnel d’un héritage, que chacun exprime en écho. C’est cette multiplicité qui fait la richesse de son film dont elle explique : « Qu’est-ce que veut dire être d’origine de tel ou tel pays ? En quoi cela se traduit-il ? Ça passe par quoi ? Par les connaissances de l’Histoire ? Par la pratique de la langue ? C’est tout ça qui m’intéresse et que j’ai voulu questionner dans le film » . Fiction et réalité se télescopent dans la scène finale ( séquence tournée « in vivo », avec un smartphone ) où l’on retrouve Neige en immersion au cœur de la foule de la manifestation à Alger. Au réalisme documentaire vient s’ajouter l’émotion brute du ressenti lorsque le drapeau du pays vient l’envelopper , ce pays où elle s’est rendue pour y obtenir son « passeport » algérien ! Les avatars du test ADN, les conflits du passé et du présent oubliés …tout est dit : au cœur de la fiction le présent qui surgit fait son œuvre et vous rattrape ! C’est superbe !
Note : A.D.N est sorti en salles trois jours avant le dernier confinement et la fermeture des salles le film revient cette semaine sur les écrans… ne le manquez surtout pas !
(Etienne Ballérini)
ADN de Maïwenn – 2020 – Durée : 1h24
Avec : Maïwenn , Fanny Ardant, Louis Garrel, Dylan Robert,Marine Vacth, Caroline Chaniolleau, Alain Françon, Henri-Noël Tabary , Florent Lacger, Omar Marwan
Bande annonce du film ADN – Distribution : Le Pacte.
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