Jean-Pierre Bacri a été emporté à 69 ans par cette « longue maladie » implacable qui ne lui a pas laissé un peu plus de temps pour lui permettre de faire encore un bout du chemin de sa vie avec ce public des salles obscures, à qui il va tellement manquer. En ces temps sombres de pandémie qui a fermé les portes des salles de cinéma , son public aurait aimé le retrouver sur les écrans toujours aussi râleur pour le voir fustiger, cette sombre période. Mais , aussi , nous donner envie avec son grand cœur l’envie de et rebondir afin nous redonner l’espoir et ce « sens de la fête » dont son personnage emblématique de Max dans le film cité est, à l’évidence symbolique du lien indéfectible qu’il a su tisser avec le public au fil d’une carrière exemplaire.

Jean-Pierre Bacri est né en Algérie à Castiglione en 1951, issu d’une famille juive modeste. C’est son père, facteur de son métier, qui lui fera découvrir le cinéma. En effet, ce dernier afin d’arrondir les fins de mois travaillait le week-end comme « ouvreur » dans une salle de cinéma de la ville , où il emmenait son fils y voir et découvrir les films de l’époque . Et c’est ensuite de l’autre coté de la Méditerranée , à Cannes la Ville du grand Festival de cinéma où la famille Bacri émigre et s’installe , il y fera des études au lycée Carnot envisageant de se destiner à l’enseignement. Mais c’est vers Paris au début des années 1970 qu’il décide , après sa vingtième année d’aller y chercher sa voie .. . et qu’il va voir s’ouvrir les portes des cours d’art dramatique (dont le Cours Simon ) qui vont le révéler à ce qui deviendra sa passion : l’écriture et le métier de comédien. Des années de travail passionné qui se concrétisent par des débuts sur les planches et très vite , au menu , des grandes pièces du répertoire : Lorenzaccio d’Alfred De Musset , Ruy Blas de Victor Hugo et le Don Juan de Molière , toutes les trois mises en scène par jean-Pierre Bouvier . C’est aussi la découverte des grands textes qui lui a donné l’envie et le goût de l’écriture auquel il s’adonnera ( ses premiers essais : Tout Simplement (1977) , Le timbre (1978 ) qui vont lui permettre de poursuivre et compléter son parcours sur la scène théâtrale avec par exemple en 1981 sa pièce Le grain de Sable qui sera mise en scène par le fidèle, Jean-Pierre Bouvier. Mais aussi plus tard celle de Cuisine et dépendances (co-écrite avec Agnés Jaoui) mise en scène au théâtre La Bruyère en 1991 avant son adaptation au Cinéma (1993 ) . Sur la scène théâtrale qui s’ouvre désormais à son talent , Jean-Pierre Bacri triomphera aussi dans Batailles de Jean- Michel Ribes et Roland Topor ( 1983) , dans l’Anniversaire d’Arold Pinter Mis en scène par Jan- Michel Ribes en 1987 . Ou encore, dans Schweyk dans la Deuxième Guerre Mondiale de Bertold Brecht mis en scène par Jean-Louis Martielli (2005 ) , et aussi en 2016 dans Les Femmes savantes de Molière mise en scène par Catherine Hiegel.

Et le prolongement naturel vers le cinéma , désormais se fera en parallèle et en complément, inaugurant une filmographie qui , de ses débuts avec Le Toubib (1979) signé Pierre Granier -Deferre , et jusqu’à ce jour , compte plus de 50 longs métrages de cinéma , quelques courts métrages et des dramatiques pour la télévision . Une carrière riche et remplie et succès et de nombreuses récompenses méritées pour le comédien dont la présence aura marqué la scène artistque Française depuis ses débuts dans les années 1970. Une présence sur les écrans , au cours de laquelle entre le public et le grand comédien qu’il a été , s’est crée un lien unique . Celui auquel son personnage de « râleur » qui a marqué les esprits. Il est de ces grands comédiens qui ont réussi à se construire , par la subtilité et le choix d’une caractéristique du personnage , à créer ce « lien » si rare avec le public. Comme le firent par exemple des comédiens, comme Peter Falk avec son personnage de Columbo avec sa dégaine et ses tics . Ou comme Peter Sellers , en homme-catastrophe aussi à l’aise en Docteur Folamour chez Kubrick , que chez Blake Edwards dans La party . Comme eux et d’autres , Jean -Pierre Bacri est devenu ce comédien et personnage identifiable et chaleureux dans lequel le public aime se retrouver et dont il sait reconnaître au travers le « jeu de rôle » , la bouleversante humanité et son regard aigu sur une société dont il fustige les travers. C’est sans doute- et sûrement- parce qu’il avait ce « goût des autres » comme le souligne dans son hommage Gilles Jacob l’ancien président du Festival de Cannes : « … il n’était pas méprisant , mais il était exaspéré par la bêtise humaine… » . C’est ce « ressenti » là que le public avait avec lui , en partage. C’est pour cette raison que ses « répliques culte » font, depuis son décès la « une » de la presse…

Au cinéma, Jean-Pierre Bacri a construit depuis ses débuts une filmographie au cœur de laquelle son personnage interpelle et invite à la réflexion a laquelle , son association avec Agnès Jaoui à l’écriture et à la mise en scène , ont contribué à nous offrir une sorte « d’état des lieux » sur l’évolution des mœurs et de la société Française de ces dernières décennies. Et son personnage ainsi construit il a d’ailleurs, dans les film avec différents réalisateurs avec lesquels il a tourné , travaillé à en parfaire et en compléter le portrait. Il le dessine en tâtonnant par petits traits dès ses premiers et seconds rôles chez les cinéastes qui l’ont fait débuter ( Alexandre Arcady, Diane Kurys , Claude Pinauteau, Jean-Pierre Mocky …) et notamment chez Luc Besson dans Subway ( 1995 ) se faisant remarquer par sa composition en inspecteur Batman , qui lui vaut la nomination au César du meilleur second rôle . Ses prestations se peaufinant par la suite encore avec Cuisine et dépendances adapté au Cinéma et qui remporte un succès d’estime . Suivi par les rencontres avec Cédric Klapisch (Un air de famille -1996) , en chef de famille au cœur des règlements de comptes familiaux , puis en agent de football du PSGFC dans la comédie sarcastique d’Alain Chabat (Didier – 1995), que complète la rencontre avec Alain Resnais ( Smoking, No Smoking – 1993 – et On Connaît la chanson -1997) avec son « jeu d’apparences », où il brille. En 2000 dans Kennedy et Moi de Sam Karman en écrivain désabusé tenté par le suicide , il y joue une partition admirable qui lui vaut la nomination au César du meilleur comédien. Désormais c’est aussi le duo-gagnant Bacri-Jaoui , qui va être au cœur des deux décennies riches qui suivront . L’osmose créative qui accompagne leur travail est d’une richesse et d’une qualité exceptionnelle d’écriture et de mise en scène , que viendra couronner le succès public dans les salles , qui sera suivi par les récompenses communes nationales et internationales ( dont le Prix du cinéma Européen du meilleur scénario pour Le goût des autres , en 2000, celui du César du Meilleur scénario original en 2001, et en 2004 , c’est le Prix du scénario au Festival de Cannes pour Comme une image ) . Parlez-moi de la pluie (2008) et Au Bout du conte ( 2013 ) viendront compléter une série de films où, justement celui-ci s’invite comme réponse parfois, à l’amertume. Mais la gravité reprendra vite ses droits avec La vie très privée de Monsieur Sim ( 2015 ) de Michel Leclerc où en chômeur quitté par sa femme , et en quête désespérée d’un nouvel emploi Jean-Pierre Bacri, y est bouleversant …
Avec Le sens de la Fête ( 2017 ) Olivier Nakache et Eric Toledano lui offriront la même année, le remède à la déprime, avec un magnifique rôle d’organisateur de mariages qui contre vents et marées , le cœur sur la main , va tout faire pour sauver la cérémonie qui menace de sombrer pour ses tourtereaux protégés . Puis avec Place Publique ( 2018 ) c’est l’univers et le monde de la télévision et des médias Parisiens qui vont se retrouver sur la sellette. Agnès Jaoui aux commandes en productrice face à son ex… Jean -Pierre Bacri en animateur de Télé , le cocktail devient explosif !. Et tout ce remue ménage festif dans la nouvelle demeure provinciale , finira par s’attirer les foudres des voisins . Un superbe film choral dont le couple Bacri-Jaoui a souvent eu le secret . Mais ce sera le dernier « duo » du couple à l’écran qui nous attriste profondément, car Jean- Pierre est désormais en route pour le Paradis des artistes qui va l’accueillir … comme il le mérite !. A ses amis , ses proches , à sa compagne et complice , nous adressons nos pensées émues…
R.I.P Monsieur le Grand Saltimbanque.
(Etienne Ballérini & Philippe Descottes)
A voir également :
– Un air de famille de Cédric Klapisch. Entretien avec le réalisateur et Jean-Pierre Bacri (Faxculture -Archives de la RTS – 1996 – 9mn)
– Molière du Comédien – 29e Nuit des Molières 2017 (France Télévision)
– Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, les secrets de leur collaboration (Story Movies – OCS – 6mn)
– Portrait et interview de Jean-Pierre Bacri (Entrée Libre – 2017 – 6mn)
– Jean-Pierre Bacri en 10 répliques (Le Monde – 2020 – 2mn45)
– Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri – Rencontre avec le public (FNAC 2018 – 5mn)
– Cuisine et dépendances de Philippe Muyl (extrait – 0mn48)
– Place publique d’Agnès Jaoui (Bande annonce – Pathé Gaumont – 2018 – 2mn).
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