Le Ray, des cressonnières aux HLM, ou une mutation tardive mais inéluctable !
Ami lecteur, lors de ma dernière relation je vous ai proposé de visiter le Parc Chambrun. Nous allons maintenant remonter un peu plus haut et nous intéresser au quartier du Ray. Tout d’abord, pourquoi cette appellation «Ray»?
Tout ce quartier nord de Nice se nomme ainsi ainsi mais on devrait plutôt écrire «Rai» qui en niçois désigne un ruisseau, un cours d’eau. Il faut dire que ce terroir a toujours été riche en sources diverses : Gorbellon, Fuon-Santa etc… qui actionnaient de nombreux moulins à huile et l’irrigation généreuse de ce site favorisait l’exploitation de cressonnières et de cultures maraîchères. Les Romains avaient même profité de cette richesse aqueuse pour la capter à l’aide d’un aqueduc au tracé sinueux qui alimentait en eau la ville de Cemelenum. Le point de départ se situait à la Fontaine de Mouraille, tout près de la place Fontaine du Temple. On en trouvait autrefois des traces tangibles disparues malheureusement depuis longtemps suite à l’urbanisation galopante des collines depuis les années 1960. Cet aqueduc rejoignait dans la ville romaine un autre provenant cette fois du vallon de Lombardie, sous le village de Falicon. Ces deux aqueducs n’étaient pas de trop pour alimenter la ville de Cemelenum et ses 20000 habitants, mais que ne faisaient pas les Romains! Quant aux Templiers, on ne peut vraiment pas affirmer qu’ils aient eu une commanderie ici mais que n’attribuons nous pas aux malheureux Templiers disparus tragiquement en 1314 !
L’histoire du Ray pourrait commencer au début du XVIIIeme où une chapelle paroissiale est érigée au milieu du quartier à proximité du centre administratif actuel.

Tout a commencé le 30 août 1716 où 53 chefs de maisons du quartier se réunissent sur la future place du quartier et prennent une décision qui va être à l’origine de la construction de la chapelle.
Le bal public annuel, très populaire, était sujet à de graves incivilités: indécences, ivresse, débauches avec des bagarres comme corollaire. Vous avez dit « rave-parties » ?
La résolution est prise d’ériger une grande croix de mission afin que la jeunesse turbulente se calme et renonce à ses excès. Il est décidé aussi d’élever en ce lieu une chapelle au vocable de l’Exaltation de la Sainte-Croix pour (re)christianiser ce terroir écarté. Cette chapelle sera publique et administrée par huit prieurs et un trésorier. Le projet est avalisé par le chanoine Raiberti curé de la Cathédrale et vicaire général du Chapitre. Le terrain où doit s’ériger le sanctuaire est offert par le Seigneur André Galléan, comte d’Ascros, de Toudon et de Tourrette-Revest.
Un prêtre est désigné pour diriger le culte et, en particulier enseigner le cathéchisme aux enfants du quartier avant ou après la messe. La petite histoire ne dit pas que tous les excès se sont calmés instantanément mais une belle toile du peintre Clément Roassal nous montre quand même un festin (gran dinà) au Ray sous un jour bien sympathique!
Les années passèrent et Nice libérée du carcan de ses fortifications rasées en 1706 par Louis XIV pouvait désormais s’étendre librement en tous sens et elle n’allait pas s’en priver. Comment et où s’étendre par contre ? Trois possibilités se présentent : la vallée du Var, la vallée du Paillon, la jolie campagne du Ray.
Pour l’époque, la vallée du Var était trop éloignée du centre de Nice, la vallée du Paillon était jugée trop venteuse, humide donc quelque peu insalubre, déjà occupée d’ailleurs par des industries diverses et bientôt par l’usine à gaz.
Il ne restait donc plus que le Ray, situé non loin de la Place Masséna (4km environ). Il fallait donc aménager ce quartier nord et en particulier y construire des voies carrossables ce seront plus tard les boulevards Auguste Raynaud (ouvert en 1934) et surtout le boulevard Gorbella (ouvert en 1930).
A partir de janvier 1900, les tramways électriques font leur apparition à Nice et une ligne dessert le quartier du Ray et même celui de Saint-Sylvestre.

En fin XIXeme siècle, c’est encore la campagne où certains nobles projettent de s’installer l’été pour fuir la chaleur littorale sans toutefois se déplacer trop loin. En 1875, le comte Michel de Falicon fait bâtir un véritable château entouré d’un vaste parc peuplé des plus belles essences et il baptisera cette thébaïde «La Prédiletta» («La Favorite» en italien). Le comte possédait un hôtel particulier à Nice, au Quai Saint-Jean-Baptiste et l’été arrivant tout le monde montait au Ray. Le domaine était entretenu en hiver par des métayers habitant sur place. Jusqu’à la Grande Guerre le quartier est majoritairement agricole mais bientôt les activité artisanales se développent: meuniers, forgerons, chaudronniers. Les riverains, pauvres pour la plupart vont se mettre au service des hivernants, les femmes en devenant laveuses, repasseuses, servantes, les hommes horticulteurs vendant leur production sur les différents marchés niçois. La grande tourmente arrive en 1914, une page se tourne à jamais.La propriété est réquisitionnée et devient hôpital militaire pour la durée de la guerre. La famille de Falicon garde le domaine jusqu’en 1930 puis celui-ci passe à la commune qui rasera le château vers 1960 pour édifier à la place une cité H.L.M. Seule survivra la villa abritant autrefois la conciergerie du domaine.L’ancienne église disparaîtra à la même époque laissant place à un centre administratif. A partir de 1960, le Bd Gorbella qui était resté plus de vingt ans sans constructions le bordant se peuple d’immeubles modernes desservis aujourd’hui par la ligne «1» du tramway niçois dont le centre de maintenance est situé au lieu-dit le Rouret, en bout de ligne.

En avril 1977, en haut de l’avenue, une ancienne ferme est encore miraculeusement debout et, tout près d’elle on voit quelques résurgences du Gorbellon, petit ruisseau venu des collines. Elle disparaîtra très vite et et cette partie du boulevard verra s’édifier des immeubles, un centre commercial et la grande tour de verre abritant le Centre Anima Nice-Gorbella (restauration, culture, activités ludiques, un syndicat de salariés). L’urbanisation galope désormais !
Un nouveau lieu de culte sera bâti au pied des grands ensembles, l’église Saint-Jean l’Evangéliste, baptisée «l’Eglise Nicoletti» (!) du nom de son maître d’œuvre. A défaut d’être une œuvre d’art impérissable, elle présente l’avantage de pouvoir accueillir plusieurs centaines de fidèles. Elle a été consacrée en 1978 par Mgr Mouisset (1909-1993) et se situe sur l’emplacement d’un ancien moulin à huile. L’autel du sanctuaire est d’ailleurs une ancienne meule ayant appartenu à ce defici disparu.

Incontournable dans le paysage, le stade du Ray, ou plutôt Léo-Lagrange du nom de ce Ministre des sports et des loisirs du Front Populaire à la fin des années 1930. Ce fut le siège de l’O.G.C.N. qui y tint la vedette et vécu une grande histoire jusqu’en septembre 2013 avec le déménagement vers l’Allianz Riviera, le bon vieux Ray avait vécu ! Il avait été inauguré le 30 janvier 1927, c’était à l’époque un grand pré ceinturé par une barrière, les premières tribunes ne seront construites qu’en 1947. On y disputera des rencontres mémorables dont nos anciens se rappellent avec nostalgie.
Pour finir il faut savoir que le célèbre musicien Gabriel Fauré (1845-1924) séjourna un temps dans le quartier dans la villa Mercedes, située avenue Cernuschi.Il tentait de se refaire ici une santé bien chancelante (il devenait sourd et aveugle). Le doux climat de la Cote d’Azur lui permit de poursuivre son œuvre musicale. Une rue de Nice, près de la Place Masséna perpétue son souvenir.
Ceci dit, ami lecteur, du Ray à Saint-Sylvestre il n’y avait que quelques tours de roues de tramway à la Belle Epoque. Nous irons donc la prochaine fois visiter ce quartier.
Sur ce, je vous dit à tous Buena anada ou Buen capedan (*) comme vous voulez.
(*) littéralement : «Bon passage du cap de l’an»
Yann Duvivier
Janvier 2021
Sources:
-Internet Wikipedia
–L’Eglise de Nice à travers ses trois cathédrales (pp.70-71) par Etienne Galléan (juin 1979)
– «Nice Quartiers», supplément N°30-Mars 2000
-Photos et CP anciennes : Yann Duvivier
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Bonjour,
Merci pour cet intéressant article, bien fourni. Dommage toutefois, il aurait gagné à être relu avant sa publication pour éviter quelques erreurs. Et attention à ne pas appeler « cemelenum » ce qui est en fait « Cemenelum ».
Merci pour ce récit détaillé de l’histoire du quartier de mon enfance. Petite question : j’ai entendu dire que le Comte de Falicon avait accepté de céder le parc à la ville à condition qu’elle y construise uniquement des logements sociaux ? Merci !
effectivement, la ville a construit des logements sociaux,appelés lorsque nous nous y sommes installés en 1962, Plans courants, pourquoi, mystère, mais une partie était effectivement louée à des personnes à revenus modestes, jusqu’en 1980, date à laquelle la ville a mis en vente la partie louée.
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