Cinéma / PETIT VAMPIRE de Joann Sfar

Fatigué d’être prisonnier du «  cocon » du manoir de petits monstres depuis trois siècles, le petit vampire décide d’aller à la découverte du monde extérieur et d’en braver les dangers. Conte initiatique émancipateur de l’enfance, sur la quête de soi, de l’amitié, de l’amour, de la liberté de choix, sur l’innocence et le mal, ainsi qu’une réflexion sur la vie et la mort. La fantaisie, la poésie et la gravité au rendez- vous, c’est superbe !

Au centre (en bleu) Petit Vampire ,en compagnie de ses amis monstres complices – Crédit Photo: Studio Canal Distribution-

Voilà donc que Joann Sfar , après nous avoir offert sur grand écran l’adaptation très réussie de sa bande dessinée, Le Chat du Rabin (2011), y revient avec celle du Petit Vampire objet de nombreux albums et pour laquelle il lui a fallu, un long travail de six années pour la mener à bien. Au niveau du récit ( co-écrit avec Sandrina Jardel ) transposant les péripéties des trois albums ( la maison de la terreur, le serment des pirates et on ne joue pas avec la vie) , qui en racontent ses origines. Et aussi long travail nécessaire accompli avec son équipe, sur les images d’animation afin de leur offrir, la meilleure qualité graphique et visuelle possible . Et le résultat, au rendez-vous, est remarquable tant par la finesse des traits de l’animation, que par celle du récit et ses dialogues pétillants d’humour, auxquels répondent ceux de la gravité évoquée ci-dessus, qui frappent par l’habileté de l’approche avec laquelle la gravité et la violence , est l’objet d’un subtil dialogue instauré par le cinéaste. Joann Sfar dont l’œuvre dessinée est remplie d’éléments autobiographiques interpellant, par le biais de ses aventures enfantines sur les thématiques sociétales : la religion et la tolérance (Le Chat du rabbin ) mais aussi l’enfance et l’éducation , les vies cabossées orphelines , la rapport à la mort , le repli sur soi , le besoin d’amour et de reconnaissance et les rêves . Et puis il y a aussi la perception des autres et les étapes à franchir pour grandir et s’affranchir des carcans : «  quand on est enfant, on rêve d’avoir un destin exceptionnel », dit Joann Sfar. La dimension autobiographique elle est doublement présente ici, incarnée par le petit vampire et par la rencontre du petit Michel, tous deux prisonniers de leurs univers. Habile combinaison et confrontation qui irrigue le récit le cinéaste y déclinant avec humour , par le biais de la dualité de ses deux enfants héros, la diversité et la complexité de la quête de soi et sa nécessaire conquête libératrice. Celle dont la rencontre en forme de quête amicale éducatrice, se fera le reflet d’un échange et d’un partage protecteur , dont Michel se fera l’écho dans la scène où il est enfermé dans le sac avec ses nouveaux amis…et pleure de joie de se « sentir » accepté ! . Magnifique scène qui résume admirablement à la fois la curiosité de l’enfant , la soif d’apprendre de l’autre et d’être accepté dans sa nouvelle famille. Le dialogue et le « lien » entretenu par Joann Sfar et ses jeunes lecteurs, et ici, spectateurs à hauteur desquels il se glisse en confident , créant un lien émouvant. Il l’est d’autant plus, qu’il se démarque de certaines productions à la morale lénifiante et aseptisées , par une volonté d’ouverture et de compréhension non moralisatrice , mais citoyenne suscitant échanges, écoute, et tolérance…

A gauche  ( Martin ) présente a ses copains de classe , le cahier de correspondance avec Petit Vampire – Crédit Photo: Studio Canal Distribution-

Alors nous voici, dès la première séquence plongés dans cet univers « cabossé » dont notre petit vampire subira les conséquence des conflits adultes , l’ayant projeté dans cet espace mortifère dans lequel il se retrouvera confiné, en compagnie d’autres petits monstres. Et sous surveillance stricte et avec interdiction d’aller vers cet univers extérieur synonyme de tous les dangers !. Alors, au cœur de cette « bulle », on s’y organise en jeux et divertissements joyeux et divers qui permettent de passer le temps …mais au bout de Trois cent ans , ceux-ci deviennent insupportables ! . Et notre petit vampire , le plus jeune d’entr’eux qui y étouffe et souffre d’être maintenu bloqué dans cette enfance … sans avoir la possibilité d’aller à l’école et s’y faire des amis !. Le voilà en pleine période de révolte libératrice et bien décidé à braver l’interdit , il finira par gagner la complicité de ses amis chargés de le couvrir d’un alibi durant ses fugues- en compagnie de Fantomate,  son fidèle bouledogue impayable râleur …avec son accent Marseillais !- en quête d’une école et d’un ami. En trouvant une désertée hors heures de classe, il découvre le cahier d’un nommé Michel avec lequel il va entamer une dialogue écrit et une invitation d’échanges amicaux. Et voilà la curiosité de l’un stimulant celle de l’autre  qu’un lien très fort d’échanges et de partages s’installe  dont Joann Sfar, habille le vécu des deux nouveaux potes y glissant ses confidences autobiographiques . L’école de Martin évoque celle , refuge , où Joann Sfar y dessinait sur son cahier pour impressionner ses amis , comme l’est aussi , le vécu quotidien de Martin orphelin de mère ( Joann Sfar a perdu la sienne à l’âge de quatre ans… ) , vivant chez ses grands- parents, à Antibes. De la même manière que le vécu du petit vampire et le bestiaire de monstres qui l’entourent fait écho , par ses références cinématographiques à celles dans laquelle l’enfance du dessinateur a été baignée par les films fantastiques , d’épouvante et de monstres que son grand-père l’amenait voir au cinéma ! . Alors voilà, une amitié qui ne peut que devenir forte et indéfectible . Attisée encore un peu plus par l’interdit, mais surtout ce qu’il révèle du monde des adultes dont tous les deux cherchent à se libérer des carcans, auxquels  le conte initiatique du cinéaste va les ouvrir et les confronter à la découverte des éléments du réel dans lesquels ils sont enfermés . Ceux du drame qui a conduit le petit Vampire dans la monde des morts -vivants , et celui des vivants dans lequel Michel , y vit la douleur orpheline sous protection de grands parents engoncés dans leurs principes , et qui ne font que le fragiliser dans son  refuge entretenu du souvenir. Désormais réunis, petit vampire et Michel, vont pouvoir y trouver les enseignements et réponses leur permettant : détermination , vitalité et fantaisie en bandoulière, d’en conjurer le sort …

Dans la nuit d’azur antiboise, l’échappée nocturne de Petit Vampire et Martin – Crédit Photo : Studio canal Distribution.-

A cet égard la scène d’ouverture qui nous immerge par ses références dans la dimension dramatique d’un cinéma horrifique duquel l’enfance du cinéaste a été nourrie , offre par l’approche que Joann Sfar par son regard en renvoie aujourd’hui, en copain , à ses jeunes spectateurs la belle dimension du « dialogue » qu’ il y inscrit. Dont il souligne , dit-il la nécessité  : « … d’expliquer aux enfants que nous avons tous des familles cabossées », et donc de ne pas se laisser entraîner dans la résignation. La cheminement de son petit vampire bravant l’interdit pour s’ouvrir à l’autre monde et le comprendre, en est l’illustration . De la même manière que l’est , le va- et- vient,  des références cinématographiques où à celles du fantastique et de l’ horrifique, fait  écho,  celle joyeuse de Monstres et compagnie , dont le cinéaste s’amuse à décrypter la forme distanciée du rapport, style « commedia dell’arte » et du « Grand Guignol », qui s’y installe. C’est la belle idée du récit illustrant la confrontation de ces deux univers du petit Vampire et de Marcel , par laquelle le récit va rebondir , ravivé par la violence des conflits adultes mettant en évidence la réalité des enjeux auxquels le destin des enfant, est lié . Le nouveau combat qui s’y jouera et le mal qui s’y invite à nouveau , ravivant le conflit centenaire entre le Capitaine et le Gibbous . Le danger qui déstabilisera encore un peu plus, la communauté avec l’intrusion de ce nouveau méchant et son « dictat » de soumission envers la femme qui lui avait échappé « elle sera à moi , où elle ne sera pas ! »  . Nos deux héros et leurs amis monstres n’en reviennent pas : c’est intolérable !, disent-ils choqués . La vérité qui s’y révèle finira par leur ouvrir les yeux, et justifier leur quête libératrice . Enrobée par toutes ces références cinématographiques multiples via le ciné-club chargé de divertir le petit Vampire et ses potes . Où se côtoient , le Vampyr de Dreyer   ( 1932,) , le Frankenstein de James Whale (1931, Le masque de la mort Rouge de Roger Corman      ( 1964 ) , le Pandora d’Albert Lewin ( 1951 ) et les références au cinéma d’animation hier  ( Disney ) et d’aujourd’hui , et  la belle référence à Miyazaki et son Château ambulant  ( 2004) auquel renvoie- ici- le navire ambulant du capitaine , et aussi à Guillermo del Toro   ( Helleboy, La forme de l’eau  entre autres) dans l’approche semblable , sur le rapport à la monstruosité . Joann Sfar  y dynamise par celles-ci, au cœur de sa mise en scène riche en trouvailles stimulantes. Offrant et enrobant dès lors, le décor de la côte d’Azur et ses tonalités, leur espace magique sublimé aux escapades de petits Vampire et ses amis dans lequel , son conte initiatique s’inscrit . Au plaisir duquel on vous invite de vous y laisser envoûter . Et surtout on voudrait saluer, ici, l’animation Française dont la qualité et l’originalité ne cesse de se confirmer, comme en témoignent trois sorties très récentes sorties sur les écrans : Josep de Aurel , le Calamity de Rémi Chayé et ce Petit Vampire de Joann Sfar. Trois magnifiques œuvres dont vous retrouverez sur notre site, les critiques qui – nous l’espérons- vous donneront envie d’aller les découvrir au cinéma,  avec vos enfants .

( Etienne Ballérini )

PETIT VAMPIRE de Joann Sfar – 2020 – Durée : 1h20-

FILM D’ANIMATION : collaboration au scénario : Sandrina Jardel . Direction artistique : Antoine Delesvaux, Musique originale : Olivier Daviaud, Montage image : Benjamin Massoubre …

AVEC LES VOIX DE : Camille Cottin , Alex Lutz, Louise Lacoste , Jean -Paul Rouve, Quentin Faure , Vincent Vermignon …

LIEN : Bande -Annonce du film : PETIT VAMPIRE de Joan Sfar – Distribution Studio Canal.

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