Avec Michel-Ange, Andrei Konchalovski s’intéresse à un épisode de la vie du sculpteur, peintre et poète, prisonnier de ses engagements. Une réflexion sur les rapports entre l’artiste et le pouvoir ainsi qu’une magnifique fresque cinématographique.

Michel-Ange n’est par une biographie de Michelangelo di Lodovico Buonarroti sculpteur, peintre et poète. Comme l’annonce un carton au tout début, le film ne se concentre que sur une partie de sa vie et démarre en 1512. Michelangelo Buonarroti sort de l’éprouvant chantier de la chapelle Sixtine (que l’on voit à peine) commandé par le pape Jules II, chef de la famille Della Rovere. La mort soudaine de ce dernier met la loyauté du sculpteur à rude épreuve. Il s’est engagé à finir le tombeau en marbre du défunt, mais le nouveau souverain pontife, Léon X, de la famille rivale des Médicis, lui ordonne de réaliser la façade de la basilique San Lorenzo…

Il y a plus de cinquante ans, coauteur avec Andrei Tarkovski du scénario d’Andrei Roublev, Andrei Konchalovski, petit fils du peintre Piotr Konchalovski, s’était déjà intéressé à la peinture avec le portrait du peintre d’icônes : « …je l’ai vu comme une suite, précise-t-il, en particulier dans les rapports entre l’artiste et le pouvoir. Il y a un lien en Roublev et Michel-Ange. Cependant ce fut plus facile d’écrire sur le premier car on ne sait pas grand chose sur sa vie alors que Michel-Ange a fait l’objet de beaucoup de documentation (…). Je me suis posé des questions sur ce qu’il fallait évoquer ou pas (…). Il y a (…) le problème de la liberté : est-il nécessaire d’être libre pour créer des chefs-d’œuvre ? Roublev aussi bien que Michel-Ange devaient affronter la censure. Pour le premier c’était l’église orthodoxe, et pour le second l’inquisition ». Une réflexion qui renvoie au propre vécu de Konchalovski, censuré sous Brejnev avec Le Bonheur d’Assia (1966), exilé aux Etats-Unis et confronté au jeu des studios, puis de retour en Russie (ex-URSS) au moment de la chute du communisme. « Nous les artistes, ne sommes pas le pouvoir, nous sommes ses serviteurs parce que nous avons besoin d’argent. Plutôt que d’être des prophètes, nous sommes les jongleurs dans le cirque » poursuit le cinéaste russe (ndlr : son frère, Nikita Mikhalkov, et lui sont cependant dans une situation privilégiée par rapport à d’autres réalisateurs).

Dès les première images, on est frappé par leur format, presque carré (un 4/3 qui fut longtemps celui de la télévision. La RAI est également coproductrice du film), qui différencie déjà le film d’un autre long métrage consacré à Michel-Ange, L’Extase et l’agonie de Carol Reed (1965), une adaptation hollywoodienne dans laquelle Charlton Heston était Michel-Ange et Rex Harrison Jules II. Dans Michel-Ange, à plusieurs reprises, tout au long du film, un personnage filmé de dos en amorce, un éclairage partiel ou des éléments du décor voire un bloc de marbre, vont encore resserrer le cadre, pour ne se concentrer que sur Michel-Ange lui-même, ou l’isoler, comme pris en étau par ses engagements entre deux puissantes familles. Le réalisateur a évité de mythifier son sujet pour s’approcher au plus près de la réalité historique d’une époque, la Renaissance. Ainsi, comme symbolique de ce choix, son Michel-Ange, génie tourmenté, interprété avec brio par Alberto Testone, acteur italien peu connu dont la ressemblance avec l’artiste est saisissante (cf portrait de Daniele da Volterra) est un homme en guenilles, crasseux, alcoolique, attiré par l’argent. Si Andrei Konchalovski indique : « Je ne voulais pas que les spectateurs remarquent les costumes à l’écran ou que leurs yeux soient attirés par leur beauté. Ils devaient au contraire se fondre dans le cadre. », il ne choisit pas pour autant d’aller à l’essentiel et d’éliminer les détails. Il n’en est rien. Ils sont abondants et aucun élément n’en éclipse un autre. Chacun d’entre eux contribue à créer une magnifique fresque historique cinématographique. Outre l’énorme travail de recherche et de documentation entrepris par Konchalovski, il y a aussi celui de toute l’équipe technique, impressionnant. Au directeur de la photographie Aleksander Simonov (chef opérateur sur ses deux précédents films, Les Nuits blanches du facteur et Paradis, l’un et l’autre Lion d’argent à la Mostra de Venise) déjà évoqué, il faut associer Maurizio Sabatini, le chef décorateur, chargé de recréer avec précision les rues, les places, les tavernes, les maisons privées ou les résidences de la noblesse, Dmitry Andreev, chef costumier, ainsi que les coiffeurs et maquilleurs qui se sont inspirés de dessins, de gravures et de vêtements d’époque. Le spectateur pénètre ainsi au cœur de tableaux vivants de la Renaissance, dans les palais luxueux de Florence ou de Rome, mais aussi dans les rues sales et puantes…
Dans un entretien, Andrei Konchalovski a (malicieusement) déclaré : « Si tu y crois, alors ce sera la réalité, si tu n’y crois pas, ce ne le sera pas ». On y croit.;o)
Michel-Ange d’Andreï Konchalovski (Drame historique – Russie/Italie – 2020 – 2h09). Avec Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello.
Voir également :
– La bande annonce du film (UFO Distribution – 2019 – 1mn37 – VOstf)
– La rétrospective Andrei Konchalovsky à la Cinémathèque française
– Les extraits d’entretiens proviennent du livre Andreï Konchalovsky ni dissident, ni partisan, ni courtisan de Michel Ciment (Actes Sud – 2019)
– Sélection de peintures de Michel-Ange sur Eternels éclairs
– Une visite virtuelle de la Chapelle Sixtine.
Philippe Descottes
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