Au cœur de la steppe Kazakhe, chargé d’une enquête sur une série de meurtres d’enfants , un jeune policier a reçu mission d’étouffer l’affaire. L’arrivée d’une journaliste déterminée va faire basculer les événements et les certitudes. Polar sombre et implacable où la corruption tous azimuts est passée au scalpel de l’absurde qui fait mouche. Un vrai régal !

Le cinéaste diplômé de l’Académie des arts de son pays en 2009 , admirateur du cinéma et de la littérature française dont il revendique l’influence , auteur de plusieurs longs métrages présentés et appréciés dans les festivals internationaux depuis 2011 , ses films n’ont pas toujours étés distribués dans nos salles , mais depuis la présentation dans la section Un Certain Regard en 2018 de son film La tendre indifférence du monde – 2018 , les choses ont évolué et on s’en félicite . Car son cinéma où, la cocktail des références aux genres western /polar , s’invitent en même temps que l’acuité d’un regard où poésie et absurde, dynamisent la noirceur du récit en un implacable réquisitoire auquel la séquence finale offre une final mortifère, magistral. Son récit vient compléter d’ailleurs le regard à l’humour plus distancié mais tout aussi fort de La femme des steppes , le flic et l’oeuf de Quanan Wang, sorti récemment sur les écrans (1) . Alors , nous voici à nouveau au cœur du décor de cette steppe immense , et ici , son champ de maïs dominé au loin par les montagnes enneigées . Au cœur de ce champ , un étrange va et vient en forme de jeu où s’y révèle, la découverte du cadavre d’un garçon , puis l’enquête rapide et l’arrestation d’un suspect qui sera conduit au poste de police isolé au cœur de la steppe. Interrogatoire musclé et rédaction express des prétendus aveux du coupable, mais la hiérarchie demande des explications sur un aveu si prompt conduit sans qu’on aie présenté au prétendu coupable de faire valoir ses droits et la possibilité d’être assisté d’un avocat ! Alerté par ses supérieurs, le chef du commissariat donne l’ordre : il va falloir changer la date du procès verbal pour rendre l’enquête crédible !. Ce sera fait par le secrétaire , mais voilà que le nouveau procès verbal , va se retrouver inutilisable, objet d’une malversation ?. En deux séquences, le doute s’installe et s’amplifie très rapidement en suivant les traces du policier chargé de l’affaire, Belzat ( Daniyar Alshinov ) dont on découvrira au fil des interrogatoires de celle-ci , les accommodements auxquels il a dû se plier au cœur d’un contexte général de corruption et de pressions dont il a fini par s’accommoder . Question de survie et d’impuissance face à la machine qui vous broie et vous entraîne dans son tourbillon ?. Le cinéaste y explore tous ces possibles : faiblesse, contradictions et comportements générés par le réflexe de survie , tentations et peurs y sont décryptées dans les formes multiples qui peuvent y conduire , et auxquelles
face à celles des personnages masculins, y apportera sa vision , le beau personnage féminin d’Ariana (Dinara Baktybayeva ) , la journaliste idéaliste …

A cet égard, au cœur de ce décor magnifiquement orchestré par le cinéaste et son opérateur à la photographie Aydar Sharipov , dont l’utilisation de la dramaturgie habille le récit , par la superbe inter-action qui s’y ‘installe entre la thématique du western et du polar , comme élément permettant d’offrir une perception dramatique originale de l’approche de la thématique commune de la vengeance et du » faire justice soi-même » , qui y est au cœur des deux genres .Ici , au centre du cheminement du policier Belzat qui va y être confronté par la succession des événements et les pressions subies qui vont l’y contraindre, mais également par les interventions de la journaliste qui obligent ce dernier à s’interroger sur son comportement … et dès lors, risquant de se mettre en danger . Le cinéaste en décrypte admirablement par son approche le dilemme , où l’absurde de situations s’en fait le révélateur par une forme de stylisation poétique qui s’y inscrit au cœur de laquelle la dramaturgie s’engouffre. A l’image de cette scène très forte où notre policer -confronté au contrat à devoir exécuter envers ce suspect idiot et naïf , Pukuar ( Teoman Khos ) choisi par les commanditaires, le policier s’y retrouve déstabilisé par les facéties de ce dernier !. Que faire ? . Par son choix de l’humour absurde sa mise en scène dynamise le récit par ces petites touches qui font mouche et en disent long sur une corruption rampante qui gangrène le pays . Et dès lors il suffit parfois d’une plan , comme en témoigne celui de ce panneau d’affichage où est apposé en grand, le slogan du chef de l’état « je m’occupe de vous … » , affiche déchirée et taguée de termes hostiles . Ou encore , ces séquences répétitives sur les véhicules de police tombant régulièrement en panne , qui sont régulièrement cailloutées … de la même manière qu’y sont décryptées , les multiples pressions et interventions de « contrats » monnayés par la mafia locale. Et que l’on doive fermer les yeux où faire pression sur les éventuels témoins . Bekzat qui a fini par se « couler dans le moule » et en connaît toutes les astuces, n’hésitera pas à utiliser et monnayer, lors de son enquête le silence d’un témoin trop bavard pouvant le mettre en danger vis à vis de ses supérieurs ou les pressions mafieuses. A cet égard, ces éléments qui ne cessent de dévoiler les dessous de l’enquête et freinent l’aboutissement , le scalpel du regard de l’absurde en dresse un réquisitoire accablant sur le déchaînement de violence qui s’y distille en sous-mains de tous bords. Une magnifique illustration qui trouve son prolongement dans l’intervention du personnage féminin de la journaliste Ariana en révélatrice , qui y exprime et symbolise la nécessité d’un changement …

Ce n’est pas un hasard si le cinéaste a choisi ce prénom de la journaliste idéaliste dont l’intervention se fait porte -parole de la mission de combattre la corruption . Ariana dit le cinéaste « c’est l’Ariane de la mythologie Grecque . Elle aide Bekzat à s’échapper du labyrinthe (…) c’est un personnage qui veut réformer le système ». L’idéalisme face à la barbarie et (ou ) à la violence des intérêts engendrant certaines dérives au cœur de l’enquête comme moteurs , et en questions la justice entravée sur le meurtre et le viol des enfants . Car c’est bien la culpabilité d’un ou (de plusieurs ) prédateurs d’enfants que l’on cherche à soustraire à celle-ci . Et dans la foulée y sera évoquée la Xénophobie par un témoin évoquant des meurtres commis ayant pour motif : « on ne veut pas qu’on nous dérange!» justifiant l’utilisation de la violence envers une communauté ( Kurde ) objet de pressions de toutes sortes , puis recours au meurtre « six exécutions » , contraignant celle-ci au but recherché : quitter la région ! . Violences , xénophobie : le droit du plus fort et la loi en questions à laquelle, lors d’une belle scène Adriana , fait référence et renvoie une citation de l’esprit des Lois de Montesquieu sur état et morale, à un chef mafieux!. Celui-ci furieux qui la gifle violemment ,puis la fera poursuivre et agresser par ses hommes la contraignant à quitter la région. A celle-ci d’ailleurs lui sera également fait le reproche : «… d’étrangère et de privilégiée cherchant à se faire valoir dans les médias …en enquêtant sur les dessous d’une affaire qui ne la concerne pas !.. » . Droite dans des bottes , elle ne renoncera pas, et reviendra avec des arguments permettant de lever le voile définitivement sur l’affaire, renvoyant cette fois-ci a ses adversaires son sourire satisfait , elle les interpelle « cette fois-ci êtes -vous prêts à collaborer? » fustigeant leurs comportements machistes et violents. le cinéaste relève « l’humour aide à neutraliser , les terrains minés », lui qui en a fait dans ses films, un complice d’écriture de ses récits et de son regard sur le monde . Ariana habillée à la manière d’un Flic des films Américains des années 1950 , y développe , elle, avec humour sa féminité combattante , complétée par le beau personnage de Pukuar désigné comme bouc-émissaire; et dont le magnifique détachement poétique déstabilisant et naïf (mais pas tant que ça!), en surplus des superbes dessins qui en disent long sur l’affaire , ajoute au constat, sur le réflexe d’exclusion sociétale dont sont l’objet , ces dérangeants hors normes : » simple d’esprit , espiègle et créatif » , indésirables qui ne se fondent pas dans le moule !. . A Dard, Dark Man est un superbe film, où satire et poésie , comme chez Kaurismäki ou Elia Suleiman, sont au centre d’une vision du monde. Ne le manquez surtout pas, c’est un vrai régal !..
(Etienne Ballérini)
A DARK, DARK MAN de Adilkhan Yerzhanov – 2020 – durée : 1h 50 –
AVEC : Daniyar Alshinov, Dinara Baktybayeva , Teoman Khos,
LIEN : Bande-Annonce du Film : A DARK, DARK MAN de Adilkhan Yerzhanov- Arizona Films Distribution –
(1) La femme des Steppes , Le flic et L »oeuf de Quanan Wang , Voir critique sur notre site .