Donc première pièce de la première programmation de Muriel Mayette-Holtz, je dirais intra-muros. Les parents terribles de Cocteau. Comment commencer ?
Et si on commençait par le commencement ?
Bon. Je vais quand même pas vous dire qui était Cocteau. Avant de vous parler des Parents terribles (1938) laissez moi vous dire que le 3 janvier 1939 à la suite de la 9e représentation, le Conseil municipal de Paris, propriétaire du Théâtre des Ambassadeurs, interdit la représentation de la pièce l’accusant de mettre en scène l’évocation d’un inceste. Elle sera reprise au Théâtre des Bouffes Parisiens mais en octobre 1941 elle est à nouveau interdite à la suite des pressions de la presse collaborationniste y voyant un « déprimant spectacle, tableau d’une famille française où le proxénétisme, l’ordure morale, la prostitution la plus basse nous sont représentés comme l’image même de nos mœurs » (in Je suis partout)
Qui est-ce qui affolait cet ordre moral ? Georges, père doux et rêveur, est entièrement dominé par les caprices de sa femme, Yvonne, une diabétique victime de malaises fréquents. Avec Michel, leur fils adoré, les parents vivent au crochet de Léonie, qui a autrefois été la fiancée de Georges qui lui a préféré sa sœur. Ces quatre personnes habitent ensemble jusqu’au jour où survient Madeleine, la maîtresse de Georges et la nouvelle amante du fils.

On comprend mieux (sic) ce qu’écrivait Brasillach , qui se gausse de la foule des snobs ou des fanatiques venus applaudir au spectacle de sa propre « pourriture » et achève son éreintement par une injure : « Si le mot ‘’ordure’’ a un sens, il convient de l’appliquer sans distinction à l’œuvre et à son auteur. »
Le metteur, Christophe Perton, est né en 1964à Lyon où il fonde sa compagnie en 1987. Dès les premières années il s’investit dans la découverte des écritures contemporaines, les commandes de traduction de textes inédits et les commandes d’écriture. En janvier 2001, il est nommé à la codirection de la Comédie de Valence qui devient à cette occasion Centre Dramatique National Drôme Ardèche.
Connaissez-vous le tableau de Dali Gala soulevant la peau de l’eau pour y voir le chien nu ? En apparence, à lire le résumé de la pièce, nous sommes dans une sorte de forme de théâtre de vaudeville ? Mais un vaudeville sulfureux. Car une fois que nous avons soulevé la peau de l’eau, que nous avons franchi le théâtre des apparences, nous nous trouvons dans la tragédie antique, c’est-à-dire que les liens qui unissent et désunissent les personnages leurs définissent un destin, on pourrait même parler de polysémie.
La scénographie de Christophe Perton est ce que j’appellerai « frontale ». En milieu de scène, un lit, indiquant et le lieu et la chambre : le lieu, c’est celui du pouvoir, la chambre, c’est celle des secrets. Ce n’est pas l’antichambre racinienne, c’est le lieu où se décide, se dessine toutes les stratégies. Autre élément pertinent : les lumières (Éric Soyer) et leurs corollaires, les ombres, ombre des situations, ombre des personnalités.
Changement de problématique dans l’appartement de Madeleine, la maîtresse et du père et du fils (la révélation d’un beau conflit œdipien en perspective) : là les lumières sont je dirai neutres, mais cette neutralité est signifiante, s’opposant à la lecture des situations des lumières de « la chambre ».

Car Cocteau fait exploser en plein vol le modèle familial bourgeois et ses valeurs conservatrices. Yvonne, la mère, couve son fils, l’aime plus que de raison jusqu’à rêver d’en faire son amant, assouvissant ainsi l’Œdipe. Mais en s’empoisonnant à la fin, elle est aussi Médée. Georges, le père, est l’amant de Madeleine, la petite amie de son fils. Georges est Thésée, son épouse, amoureuse de son fils, est Phèdre ; Michel, le fils adoré, est Hyppolyte. Et dans cette « roulotte »* – et le terme roulotte est associé métaphoriquement au théâtre, qui va de lieu en lieu, d’instants en instants- Léonie, la tante, amoureuse de son beau frère Georges, ordonne la tragédie. « Tu as semé du linge sale, et tu récoltes », dit-elle. Quelle famille !
Pour la première pièce de sa première mandature, Muriel Mayette-Holtz, nous montre ce qu’elle est d’abord, une comédienne. Elle est metteur en scène, dirige des institutions – Le « Français », la Villa Médicis, le TNN- mais elle nous présente d’abord ce par quoi elle a commencé : les planches de théâtre. Ses deux prédécesseurs ont commencé à Nice par leur métier de metteur en scène, « Peer Gynt » pour Irina Brook, « L’avare » pour Daniel Benoin. Muriel Mayette a voulu « commencer par le commencement », il sera temps de la voir comme metteur en scène. Et sur scène c’est un feu d’artifice, on la sent portée, transportée par la folie « coctalienne » de son personnage.
Charles Berling, compose le personnage de Georges comme dépassé par les événements entre sa femme et la révélation du triangle amoureux découvrant –par opportunité ou par hasard ?- que lui et son fils sont amants de la même femme, Madeleine. Variation œdipienne, accentué par le fait que c’est le fils de Charles, Emile Berling, qui interprète Michel. Hasard ou nécessité ? Dans le rôle de Léonie, Maria de Madeiros existe fortement et donne à son personnage cette dimension de passeur, de go-between, d’intercesseur, à l’instar du coryphée dans la tragédie grecque.

A propos des personnages, de facto, chaque rôle est un protagoniste, c’est-à-dire, dans le théâtre grec antique, celui qui joue le rôle du personnage principal : j’entends par là que la pièce peut se lire, se voir, en prenant pour angle de lecture n’importe lequel des rôles, c’est le spectateur qui choisit son axe de lecture via le personnage auquel il peut le plus s’assimiler. Catharsis ?
Les Parents terribles nous permettent de pénétrer dans l’univers coctalien en même temps –comme dirait l’autre- complexe et limpide, et de mieux connaître celui de Christophe Perton, dont nous avions vu déjà en 2012 Souterrainblues de Peter Handke.
Jacques Barbarin
*En effet, en février 1938, date de la fin de l’écriture de la pièce, elle s’intitulait alors : La Roulotte ou la Maison dans la lune, deux titres qui viennent directement des propos des personnages pour illustrer l’incurie des uns, l’irréalisme des autres
Avec Muriel Mayette-Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Emile Berling, Lola Créton
Scénographie Christophe Perton Réalisation des décors Diacosmie – Opéra Nice Côte d’Azur, Atelier du TNN Réalisation des masques Cécile Welger-Barelli
Tournée :
Théâtre Liberté, Toulon du 7 au 10 octobre
Théâtre du Gymnase, Marseille du 15 au 17 octobre
Le Granit, Belfort les 3 et 4 novembre
Théâtre de Bourg-en-Bresse les 6 et 7 novembre
Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains le 10 novembre
Le Radiant, Caluire-et-Cuire du 12 au 14 novembre
Théâtre du Montansier, Versailles les 17 et 18 novembre
Théâtre d’Auxerre les 20 et 21 novembre
La Comédie de Picardie, Amiens du 24 au 27 novembre
Le Cado, Orléans du 14 au 30 janvier 2021
Théâtre de Liège, Belgique du 2 au 6 février
Photos : Vincent Bérenger