Cinéma / UN PAYS QUI SE TIENT SAGE de David Dufresne

Manifestations et répression: ordre social et violence d’état . Les violences policières lors des manifestations des gilets jaunes décortiquées et analysées au scalpel au travers d’une démarche déontologique remarquable, multipliant points de vues et confrontations. Un débat essentiel et passionnant qui explore l’enjeu des démocraties tentées par la surenchère d’un « ordre » s’appuyant sur la violence légitime …

Une scène du film – crédit Photo : Le Bureau et Jour2fête Distribution

David Dufresne , journaliste, écrivain et cinéaste est connu pour son travail de documentariste exigeant , depuis son premier documentaire Quand la France s’embrase (2007 ) évoquant le mouvement des CPE et les émeutes de 2005. Il n’ a cessé d’interpeller sur les dérives démocratiques comme en témoignent ses nombreux ouvrages d’enquête et son travail sur le film Allô @Place_Beauvau, récompensé par le grand prix du jury des assises internationales du Journalisme . Dans la continuité il poursuit, ici,  son travail de journaliste documentariste, en interpellant sur l’enjeu démocratique du choix …de la « violence légitime » en question. Celui-ci souvent « pollué » par le monopole revendiqué par chacune des parties concernées !. La question posée , du comment éviter que celui-ci ne tourne en rond et se termine en une « joute » inutile et sans relief , à l’image de certains débats télévisés où , souvent chacun campe sur ses positions ?. La réponse et la superbe idée de David Dufresne est d’avoir fait son choix de points de vues confrontés à la réalité brute des images , auxquelles viennent s’ajouter les analyses de spécialistes éminents ( Historiens , juristes, politiques, syndicalistes, sociologues, policiers… hormis ceux de la haute hiérarchie policière qui n’a pas souhaité s’exprimer !). Celui-ci , lui permettant dit-il « de pétrir le  sujet …avec toutes les techniques narratives possibles, afin d’ouvrir le débat collectivement »…et  que le spectateur est ensuite invité à poursuivre. Précisant :« Nous avons plus que jamais besoin de débattre de la question de la police, de son rôle, de sa place dans la société . Tous les pays du monde y sont désormais confrontés …». Le dispositif mis en place destiné à confronter les protagonistes aux images, les analyser et ensuite  à instaurer un vrai dialogue : «  un policier face à une historienne … un rapporteur international confronté à un Black- bloc ». La compilation des images dont beaucoup parvenant de téléphones portables et toutes sourcées, le choix d’ intervenants spécialisés et des victimes des manifestations . Le poids de ces images amplifié par leur immédiateté de la mise en ligne sur les réseaux sociaux , obligeant à une autre analyse , approche et regard distancié . C’est par celui-ci que le travail du cinéaste est novateur par son approche et son dispositif de décryptage des documents sourcés… devenant documents, à charge . Violence proportionnée ..ou disproportionnée ? , et ou ,violence légitime ?… sur laquelle le film interpelle citant par ses intervenants, la phrase célèbre de Max Weber «  l’état détient le monopole de la violence légitime ». Le débat de fond, est posé . Le cinéaste en fait le cœur de son documentaire …

Une scène du film- Crédit Photo :Le Bureau , Jour2fête Distribution –

Son approche de ces moyens de communication modernes qui amplifient l’impact , est voulue , éminemment cinématographique et rejoint le concept de « caméra-oeil » révolutionnaire ( une caméra derrière chaque citoyen …) promu par Dziga Vertov, dont Godard avait repris l’idée dans la foulée des événements de 1968 , suivi plus tard par Brian De palma dans Redacted (2007) qui analysait lui aussi l’impact des images des  portables transmises via les réseaux internet lors de la guerre en Irak , par le soldats Américains . Au cœur du dispositif de David Dufresne , celle des violences policières décryptées et analysées y prennent, via le grand écran une dimension nouvelle avec le débat qui s’y instaure. Dont reflète admirablement  une séquence bouleversante,  au cours de laquelle  aux images succède le témoignage de cette assistante sociale et gilet jaune pacifique , victime lors d’une manifestation à Paris d’un violent coup de matraque à la nuque, et dont les mots  mettent  à mal, les clichés sur les violences des manifestants dont les médias se sont fait écho . Violence reprise et stigmatisée par le président de la république, lors d’un débat public: « ne parlez pas de répression, de violences policières , ces mots sont inacceptables dans un état de droit ! ». Et cette réponse qu’ajoute dans la foulée , un policier « nous ne sommes pas dans le même camp , madame !» s’adressant à une vielle dame qui l’interpelle sur ces violences ! ?. Alors,  où est la juste mesure « entre la légitimité de cette violence et l’usage de celle-ci  ? », relève un intervenant . Dans une autre séquence la question est posée du « principe d’égalité humanitaire » mis à mal par l’économie de marché , et celle aussi de la  « banalisation de la violence » qui engendre le constat  : « que se passe-t-il lorsqu’un des protagonistes,  ne respecte pas le deal ? …est-ce qu’il a toujours le droit d’exercer cette violence ? ». Terrifiante , cette image où un journaliste braqué par le fusil à bout portant d’un policier , crie : «  laissez –moi faire mon métier ! » , ce dernier continuant à avancer et à filmer … le policier qui  finira par baisser son arme et reculer . Mais , lorsque la juste mesure n’est pas respectée , la question est posée «  quel ordre protége les forces de l’ordre ? … qui a la légitimité pour le faire ? » . Intervenante et éminente spécialiste Monique Chemillier -Gendreau, donne une élément de réponse à la question sur « cette police Républicaine au service du peuple »… telle que l’avait voulue et  définie la Révolution Française dont notre constitution est l’héritière des droits de l’homme ( liberté , égalité fraternité  ). Et dont l’intervenante  dit que… la fonction a été dévoyée, par un certain Maréchal Pétain qui en fit une « Police Nationale » au service et aux ordre de l’état … avec le recul , ce qu’il est advenu de son rôle durant l’occupation, donne à réfléchir ! …

une scène du film : Crédit Photo : Le Bureau et Jour2fête Distribution-

Mais sur l’avenir de  notre démocratie,  le débat ouvert par le documentaire devrait servir de réflexion  à nos dirigeants … pouvant  rectifier le tir , y est-il spécifié . L e bilan des victimes des affrontement blessées gravement par les balles de défense ( mains arrachées , yeux éborgnés  …) devrait servir à ces derniers , comme le suggère le film à une remise en question, dont deux séquences emblématiques font état de la nécessité du : plus jamais ça !,  Celles du fast-food dans lequel des personnes  et des enfants se sont réfugiées afin  d’éviter   d’être prises au piège des violences d’une manifestation à laquelle elles ne participaient pas … et qui ont étés injustement et sévèrement matraquées sans raisons de dangerosité pour l’ordre public !. Scène  à laquelle , s’ajoute cette autre séquence des jeunes élèves de Mantes -la -Jolie, gardés en respect par la police et contraints de se tenir pendant trois heures : genou à terre et mains  sur la tête !. Séquence sur laquelle, un intervenant explique qu’elle est révélatrice d’un tournant dans la planification et l’amplification voulue par l’état de la répression avec intentions de soumission. Volonté évidente de faire passer le message : cette fois-ci,  ce n’est plus un manifestant qui utilise son portable , mais un CRS qui tient la caméra et dit : «  voilà une classe qui se tient sage ! » . C’est , dit l’intervenant : le symbole de la «  reprise en mains » par le pouvoir et l’état de droit évoqué plus haut par le président  qui dicte sa loi : de l’acceptable et de l’inacceptable ! . Le film intérroge, aussi, sur l’impunité dont ces actes disproportionnés ont étés  l’objet, relève encore un intervenant , actes  mis sous l’éteignoir de sanctions et poursuites  à l’encontre des auteurs ,  sous  pression du pouvoir. Le film interpelle aussi le spectateur sur la tentation de « dérive autoritaire », dont les démocraties occidentales confrontées aux violences policières pourraient emboîter le pas des arrestations préventives permettant de juguler les violences des manifestation de rues . Politique d’arrestations dont sont les chantres: la Chine et la  Russie de Poutine. celui-ci ayant profité de sa venue dans la capitale pour en faire état évoquant les manifestations des gilets jaunes  face à Emmanuel Macro, durant la conférence de presse . Sans devoir en passer par cette méthode , et devant le constat accablant des dérives qui ont abouti à dégrader de La France , le pays des droits de l’homme si fier de sa position de « respect » de ces droits . Celle -ci a été revue  à la baisse  en 2014 , puis en 2020  s’est encore dégradée…  au rang de mauvais élèves,  au classement mondial de l’indice des libertés humaines! Désormais des doutes et de réserves , sont émises sur le sujet : Liberté, égalité, fraternité , en berne ? . L’urgence est là , le constat implacable du documentaire qui  souligne:  «  quand on entrevoit la dureté de la crise qui s’installe , on comprend que la gestion par la force ne sera pas la solution. Il faut que chacun d’entre nous s’y intéresse, interpelle les pouvoirs publics, demande des comptes… », conclut David Dufresne . Il signe , un grand documentaire citoyen  indispensable , qu’il faut  voir absolument …

(Etienne Ballérini)

UN PAYS QUI SE TIENT SAGE de David Dufresne . 2020- durée : 1h 26.

PARTICIPANTS : Gwendal Leroy (Cariste) Patrice Philippe ( Chauffeur routier ), Alain Damasio ( Ecrivain), Fabien Jobard ( Sociologue ) Michel Forst ( Rapporteur Spécial Nations Unies), Bertrand Cavallier ( Général de Gendarmerie ) , Mathilde Larère ( Historienne ), Vanessa Codaccioni ( Historienne ), Patrice Ribeiro ( secrétaire synergie officiers) , Ludivine Bantigny ( Historienne ), Sébastien Roché ( Sociologue ) , Mélanie N’hoyé Gaham ( Travailleuse sociale ), Arié Alimi ( Avocat) , Vanessa langard ( Décoratrice ), Benoît Baret ( Secrétaire National : Alliance Police ), Manon Retourné ( Mère au Foyer ) , Taha Bouafs (Journaliste ) , Sébastien Maillet- Plombier ) , Rachida Sriti ( pshychopraticienne), Myriam Ayad ( mère au foyer ) , ety Romain Huët ( Etnographe ).

LIEN : Bande -Annonce du Film : UN PAYS QUI SE TIENT SAGE de David Dufresne – Jour2fête Distribution –

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4 commentaires

  1. Longtemps je me suis demandé ce que pouvait vouloir dire « une classe qui se tient bien sage ».J’ai fini par comprendre grâce aux « autorités » du MEN : c’est une classe soumise et corrompue.

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