Depuis ses premiers longs métrages, Marc Fitoussi est habitué à raconter des histoires de femmes. Dans Les Apparences, à la fois comédie grinçante (et cruelle) et thriller il nous fait découvrir le petit monde des expatriés français à Vienne. Il a confié le 1er rôle à Karin Viard. Excellente.
Au premier abord, pas de points communs entre Les Apparences et les précédents films réalisés par Marc Fitoussi : la comédie La Vie d’artiste, la comédie aigre-douce avec Copacabana, policière avec Pauline détective, ou romantique avec La Ritournelle, ou encore la comédie dramatique sociale dans Maman a tort. Cependant, tous racontent des histoires de femmes. Quant au genre, il aborde cette fois le thriller. En apparence toujours, car c’est également une comédie sociale et grinçante mais aussi un psychodrame. Après avoir dirigé Sandrine Kiberlain, Emilie Dequenne, Isabelle Huppert (et sa fille Lolita Chammah), Marilyne Canto, Audrey Lamy, Sabrina Ouazani, le réalisateur tourne pour la première fois avec Karin Viard qui, sans surprise, est excellente.
Les Apparences, une adaptation libre de Trahie de la romancière suédoise Karin Alvtegen, conduit le spectateur à Vienne aujourd’hui. Une fois passés les quelques clichés sur la capitale autrichienne (les palais, les calèches et… les « viennoiseries »!), il va pénétrer dans un univers clos, celui de la communauté française des expatriés. Henri Monlibert est un chef d’orchestre de réputation internationale. Il est à la tête de l’Opéra de Vienne. Eve, son épouse, dirige la médiathèque de l’Institut français. Ils ont un fils, le petit Malo, un enfant adopté, et ils ont tout pour être heureux. Ils sont cadres d’entreprises, diplomates, attachés d’ambassade, intellectuels ou professeurs, des privilégiés vivant dans l’opulence et qui n’ont que peu de considération pour le pays d’accueil. A de rares exceptions, les femmes de ce « vieux monde » n’ont pas la parole, cherchent le bon parti et se satisfont de leur rôle d’épouse. Ils/Elles sont « l’élite ». « Qui se ressemble s’assemble » (à un tel point que la ressemblance peut même être physique, comme celle entre Eve et son amie cancanière Clémence, interprétée par Pascal Arbillot) et tout ce petit monde se retrouve lors des réceptions, des inaugurations, des soirées et, bien entendu, au cours des dîners qu’ils organisent régulièrement entre eux. Néanmoins, un soir, Eve soupçonne son mari de la tromper… Elle a peur de perdre Henri mais aussi son statut social. Issue d’un milieu défavorisé (une image que lui a encore renvoyée sa mère à l’occasion de la visite qu’elle vient de leur rendre), elle redoute de redescendre en bas de l’échelle (petit détail qui en dit long, elle a rejeté son prénom, Evelyne, pour se faire appeler Eve :« C’est plus chic »). Elle va alors tout faire pour sauver les apparences. Une rencontre nocturne dans un bar va compliquer sa tâche…
Le nouveau film de Marc Fitoussi peut se voir et s’apprécier sans qu’il soit nécessaire de faire référence à d’autres œuvres cinématographiques, même si le réalisateur avait songé à Eaux Profondes de Patricia Highsmith avant de renoncer pour des problèmes de droits. Le lien le plus évident se fait avec le cinéma de Claude Charbol (décédé il y a tout juste dix ans, troublante coïncidence). Le cinéaste excellait dans l’étude de mœurs et dans la critique cinglante de la bourgeoisie, en particulier les notables de province dont il fustigeait l’hypocrisie et le mensonge. D’ailleurs, dans les films de Chabrol comme ici, il est question de repas : « (…) on ne ment pas la bouche pleine. Beaucoup d’aveux se font à table. Et les déclarations d’amour aussi » disait-il. Pourtant, il y une différence. Si le repas chabrolien est associé à la « bonne chère», les dîners mondains des Apparences (outre le saumon fumé, découpé en tranches en cuisine par la domestique, et les grands crus servis à table, on peut imaginer, qu’à l’occasion, caviar et homard figurent au menu) ne donnent lieu ni à des aveux ni à des déclarations d’amour. Au cœur de cette communauté « soudée et solidaire » les conversations sont sans intérêt et d’un ennui mortel ! Même Henri éprouve ce sentiment et fait la soupe à la grimace !
Si Marc Fitoussi prend pour cible les membres de cette classe/caste, il n’épargne (presque) personne pour autant. Pas plus Tina (Laetitia Dosch), la maîtresse (dans les deux sens…), que Jonas (Lucas Englander), le jeune homme francophile. L’un et l’autre mentent et cachent leur jeu. Madame Belin, une habituée de la bibliothèque, jouée par Evelyne Buyle (Maryvonne dans Louis la brocante), est le seul personnage qui fait preuve d’humanité et n’est pas antipathique. Egalement épinglés, les nouvelles technologies perçues comme des outils de manipulation.
Pour se glisser dans la peau d’Eve, il est difficile d’imaginer une autre actrice que Karin Viard laquelle est à la fois séductrice, diabolique et pathétique. Son personnage pourrait même être le prolongement de quelques rôles qu’elle a déjà pu tenir dans sa carrière cinématographique (La Nouvelle Eve… l’ouvrière puis la femme de ménage dans Ma part du gâteau, bibliothécaire et manipulatrice dans L’Amour est un crime parfait, la jalousie dans Jalouse, le déni dans Les Chatouilles…). Le choix de Benjamin Biolay semblait moins évident. L’auteur-compositeur et interprète est aussi acteur avec déjà une trentaine de films (ou téléfilms) à son actif. Néanmoins, avec Henri, on ne parvient pas à décoller son étiquette de « beau ténébreux ». En y regardant plus attentivement, peut-être que ce prestigieux chef d’orchestre, tout en étant conscient d’appartenir à ce milieu, ne veut plus se compromettre avec lui et préfère s’en détacher, toutefois sans le quitter. D’où son comportement de taiseux indolent… jusqu’au moment où les événements vont bouleverser la situation !
Pour en savoir plus, le mieux est d’aller voir Les Apparences au cinéma.
Les Apparences de Marc Fitoussi (Drame – France/Belgique – 2020 – 1h50).Avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander, Laetitia Dosch, Pascale Arbillot, Evelyne Buyle.
Voir : La bande annonce du film (SND – 2020 – 1mn42)
Philippe Descottes
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