Impérissable souvenir . Je me souviens, c’était en septembre 2015. Fête de l’Huma. La Grande Scène. Juliette Gréco.Je ne sais pas, chère Juliette si « t’es toute nue sous ton pull »mais, c’est sûr, ya l’public qu’est maboul, quand soudain…

… tu dis : « La chanson, suivante, vu mon âge – t’avais 88 piges- je ne devrais pas la chanter, mais… » Et puis… « Déshabillez-moi ». Enfin, Juliette, ne vous déplaise…. C’est ta tournée d’adieu. et l’HD (l’Humanité Dimanche, le 15 Août 2015 ) t’interviewe :
HD. Pourquoi avoir entamé votre tournée d’adieux intitulée « Merci » ?
JULIETTE GRÉCO. Ce n’est pas « Adieu », c’est « Merci». Merci pour tout ce que vous m’avez donné, pour avoir fait de ma vie un rêve éveillé, des années de magie. Je vous ai donné tout ce que j’ai pu mais j’ai reçu beaucoup.
HD. Quel rapport entretenez-vous avec la scène ?
J. G. C’est ma patrie. Dans le monde entier, la scène est mon pays.
HD. Et pourtant, vous la quittez …
J. G. Il ne faut pas aller trop loin. Il vaut mieux partir avant d’avoir à partir. Il ne faut pas insister trop longtemps. Je fais ce métier depuis 65 ans. C’est déjà une longue vie. Ma tête, mon cœur, ma pensée, mon cerveau fonctionnent très bien. Mais j’ai un corps. Il ne faut pas qu’il faiblisse. Je préfère partir debout avant d’y être obligée…
En deux mots comme en quatre, Juliette Gréco, née en 1927, à Montpellier –comme votre serviteur -est notamment célèbre pour avoir été l’interprète d’auteurs tels que Queneau, Prévert, Léo Ferré, Boris Vian et Serge Gainsbourg.
Juliette Gréco est née d’un père d’origine corse, le commissaire de la police des jeux Gérard Gréco, et d’une mère bordelaise Juliette Lafeychine (1899-1978). Ses parents étant séparés, elle est élevée avec sa sœur aînée Charlotte à Bordeaux par ses grands-parents maternels. Leur mère les rejoint en 1933 et les emmène toutes les deux à Paris. La guerre ayant éclaté, la famille retourne dans le sud-ouest de la France, en Dordogne. Sa mère est arrêtée en 1943. Les deux sœurs s’enfuient par le premier train pour Paris mais sont suivies par un des agents de la Gestapo de Périgueux. Elles sont brutalement capturées cinq jours plus tard devant le café Pampam, Place de la Madeleine, et emmenées au siège de la Gestapo, où Charlotte est torturée, Juliette violemment battue, mais auparavant elle avait réussi, en se rendant aux toilettes, à jeter les documents compromettants que sa sœur, agent de liaison, transportait pour la Résistance. Elles sont emprisonnées à la maison d’arrêt de Fresnes. La mère et la sœur aînée sont déportées à Ravensbrück, où elles se retrouvent dans le même block que Denise Jacob, rejointes en février 1944 par Geneviève De Gaulle Anthonioz (fondatrice d’ATD Quart Monde). Elles en reviendront, après la libération du camp par l’Armée Rouge, le 30 avril 1945.

Juliette Gréco, c’est bien sûr St Germain des Prés. Elle habite alors, après la guerre, chez une amie de sa mère, Hélène Duc, prés de l’église St Sulpice. Le quartier Saint Germain des Prés est à deux pas de là et, en 1945, Juliette découvre le bouillonnement intellectuel de la rive gauche et la vie politique à travers les Jeunesses Communistes. Juliette décroche quelques rôles au théâtre (Victor ou les enfants au pouvoir en novembre 1946) et travaille sur une émission de radio consacrée à la poésie.
On pense souvent à la chanson en évoquant Juliette Greco. Mais c’est aussi le cinéma. Une quarantaine de films de 1948 à 2002. A ses débuts, le mélange des genres était mal vu : on était chanteuse Ou comédienne. Dirigée par Cocteau ( Oprhée ) , Duvivier ( Le Royame des cieux ) , Melville ( quand tu liras ma lettre ), Jean- Paul le Chanois ( Sans laisser d’adresse) , Jean Renoir ( Elena et les hommes ), Maurice Dugwson ( Lily Aime -Moi ) . ET elle est sollicitée aussi par les grands cinéastes Américains : John Huston ( Les Racines du Ciel ), Henry King ( Le Soliel se lève aussi ) , Otto Preminger ( Bonjjour tristesse ), Anatole Litvak ( La nuit des généraux ) , Richard Fleischer ( Drame dans un Miroir ). Et puis à la télévision Belphégor, le fantôme du Louvre, dit aussi tout simplement Belphégor, une série en quatre épisodes de 70 minutes, en noir et blanc, créée, écrite et dirigée par Claude Barma. Elle a été diffusée pour la première fois du 6 au 27 mars 1965 la première chaine de l’ORTF. L’audience – exceptionnelle pour l’époque – est de 10 millions de téléspectateurs pour une population française de 48 millions, dont seuls 40% possèdent un téléviseur !.

En 1949, disposant d’un riche répertoire (de Sartre à Boris Vian…), Juliette Gréco participe à la réouverture du cabaret Le bœuf sur le toit. Elle rencontre cette année-là Miles Davis dont elle tombe amoureuse. Il hésite à l’épouser, ce qui est impensable aux États-Unis (à l’époque, les unions entre Noirs et Blancs sont illégales dans de nombreux Etats Américains). Lui ne voulant pas lui imposer une vie aux Etats Unis en tant qu’épouse d’un Noir Américains, et elle ne voulant pas abandonner sa carrière en France, ils renoncent. Mais le racisme n’était pas inconnu en France, et le couple se verra refuser l’entrée dans de nombreux restaurants.
Elle n’avait pas peur d’avoir des opinions bien affirmée et de les clamer : en 1981 elle n’hésite pas à chanter dans le Chili de Pinochet et se fait expulser manu militari. Elle libère par les mots. Elle en finit avec la femme – objet, elle a un courage universel. Elle est à la fois très moderne dans ses interprétations, qui sont chacune comme une petite pièce de théâtre, et classique dans la présentation des chansons. Elle est d’une éternelle jeunesse, d’une énergie qui était sans bornes.
Au début des années 60 elle revient à la chanson et ne la quitte plus. Elle chante notamment Brel, Léo Ferré, Guy Béart, et aussi Gainsbourg, qui est alors un quasi inconnu. En 1965 elle se produit gratuitement dans les MJC de la banlieue parisienne, devant un public constitué d’étudiants et d’ouvriers. En 1968, elle inaugure la formule des concerts de 18 h 30 au Théâtre de la ville à Paris. Elle y interprète l’une de ses plus célèbres chansons, Déshabillez-moi.

Tout au long de ses soixante-dix ans de carrière, depuis sa première tournée au Brésil en 1950 jusqu’à la fin de sa carrière en 2016, Juliette Gréco s’est produite sur les scènes des plus grands opéras ou théâtre d’Europe (Espagne, Portugal, Italie, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Grande-Bretagne…). Après la Seconde Guerre mondiale, elle est d’ailleurs la première chanteuse française à se produire en Allemagne (notamment à la Philharmonie de Berlin où elle retourne régulièrement, de la seconde moitié des années 1960 jusqu’aux années 2000).
En 2014 le trompettiste Ibrahim Malouf l’invite dans le concert qu’il donne à l’Olympia et l’accompagne dans la reprise de La Javanaise.
En novembre 2015, sort L’Essentielle, une anthologie de ses chansons en 13 CD ainsi qu’une compilation intitulée Merci ! incluant la chanson inédite Merci, écrite par Christophe Miossec et composée par Gérard Jouannest.
Concernant sa tournée d’adieu en 2015, elle déclare dans un entretien au » Parisien » : « J’ai 88 ans, et je n’ai pas envie de monter sur scène en boitant. C’est une question de courtoisie, de dignité. […] J Dans tout ce que je chante et dans ma vie, je suis là quelque part. […] Les mots, c’est très grave, pour moi. […] Je ne peux pas mettre dans ma bouche des mots qui ne me plaisent pas. […] Je suis là pour servir. ( …) Et moi, mes Seigneurs, ce sont les écrivains et les musiciens. Je suis là pour servir, je suis interprète. […] C’est grave, une chanson. Ça va dans les oreilles de tout le monde, ça se promène dans la rue, ça traverse la mer, c’est important une chanson, ça accompagne votre vie… […]

Jean Paul Sartre écrit, au verso du 1er album vinyle paru en 1952 : « Gréco a des millions dans la gorge : des millions de poèmes qui ne sont pas encore écrits, dont on écrira quelques-uns. On fait des pièces pour certains acteurs, pourquoi ne ferait-on pas des poèmes pour une voix ? Elle donne des regrets aux prosateurs, des remords. Le travailleur de la plume qui trace sur le papier des signes ternes et noirs finit par oublier que les mots ont une beauté sensuelle. La voix de Gréco le leur rappelle. Douce lumière chaude, elle les frôle en allumant leurs feux. C’est grâce à elle, et pour voir mes mots devenir pierres précieuses, que j’ai écrit des chansons. Il est vrai qu’elle ne les chante pas mais il suffit, pour avoir droit à ma gratitude et à celle de tous, qu’elle chante les chansons des autres. »
Et cette voix là , le 23 septembre… elle nous a quittes à l’âge de 89 ans .
« Il n’y a plus d’après/A Saint-Germain-des-Prés/Plus d’après-demain/Plus d’après-midi/Il n’y a qu’aujourd’hui/Quand je te reverrai/A Saint-Germain-des-Prés/Ce n’sera plus toi/Ce n’sera plus moi/Il n’y a plus d’autrefois – Guy Béart, chanson écrite pour Juliette Greco.
« Passion, combat, amour et rigolade intense », disait Juliette Gréco pour résumer sa vie. Au revoir : R.I.P , Madame.
( Jacques Barbarin)
Magnifique hommage.
Je crois qu’avec le départ de Juliette Greco, il n’y a effectivement plus d’après à Saint Germain des Prés. 😢
[…] de programmation. Suite à la disparition de Michael Lonsdale et de Juliette Gréco certaines chaînes de télévision ont modifié leur programme. Ainsi dès ce vendredi soir, France […]
[…] guerre. Avec Peter O’Toole, Omar Sharif, Tom Courtenay, Donald Pleasence, Philippe Noiret et Juliette Greco. Ciné+Classic à 22h15 La Ciociara/La paysanne aux pieds nus de Vittorio de Sicca (1961 – 1h36). […]