Cinéma / HONEYLAND de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov

Dans un village de Macédoine du Nord, une femme perpétue la tradition de la récolte du miel, en totale communion avec les abeilles. Autour de son vécu quotidien , les auteurs nous offrent un documentaire aussi passionnant qu’édifiant , sur le rapport à la préservation nécessaire de l’espèce menacée par les pesticides de l’agriculture moderne…

Hatidze ( Hatidze Muratova ) la femme aux abeilles – Crédit Photo : KMBO Distribution-

Elle s’appelle Hatidze et elle est née en 1964 , elle vit dans une région désertique de la Macédoine du Nord , elle est une des dernières héritières d’apiculteurs traditionnels dont elle perpétue l’héritage familial entretenu depuis des siècle. Les auteurs l’ont rencontrée lors des repérages du projet de documentaire pour lequel ils ont étés sollicités par l’Association Nature conservation Project en Macédoine. Lors de ceux-ci , confrontés à ces nids d’abeilles à même les rochers et cherchant la réponse , intrigués «. .. qui s’occupe de ces trous, qui les marque de cette manière ?…c’est ce qui nous a conduits à Hatidze » , explique-t-ils. Dans la scène d’ouverture, on la voit marcher à flanc de ravin dans la montagne pour s’en aller visiter et s’occuper des nids d’abeilles à même les rochers, leur habitat naturel. Aussitôt fascinés par ce qu’ Hatidze représentait comme héritage ancestral du rapport à la nature, ils ont décidé de raconter son histoire qui leur semblait être emblématique, du travail pour lequel on les avait sollicités : explorer le rapport de l’homme avec la nature , et à la biodiversité. Rapport auquel justement, de ce que cette région isolée et presque hors du temps, renvoie, comme écho au présent : «  L’histoire d’Hatidze est un microcosme, qui montre à une échelle plus large à quel point la nature et l’humanité sont intimement liées, et combien nous risquons de perdre si nous décidons d’ignorer ce lien fondamental », expliquent les cinéastes. Et au cœur de cette zone aride, sans route, ni électricité et désertée désormais par la population, Hatidze y vit seule avec sa vieille mère paralysée et aveugle  dans des conditions très précaires d’une une cabane délabrée. Son quotidien y est rythmé par le soins à sa mère ( Nazife)  , s’occuper des abeilles, de la récolte du miel qu’elle va vendre, au marche de la ville Skopjé , à Vingt kilomètres de là. Vente lui procurant l’argent aux divers achats  du nécessaire quotidien,   dont elle monnaie le tarif de son miel, arguant: « le mien , il est totalement naturel …et pas trafiqué comme certains qui y ajoutent du sucre ! » , dit-elle . Les cinéastes, tous deux documentaristes de formation , auteur de courts métrages de fiction et documentaires sur les sujets environnementaux, se sont associés pour leur premier long métrage en commun pour lequel ils se sont immergés pendant trois ans , dans le cadre de cette région difficile, et y gagner la confiance des habitants pour décrire le vécu quotidien, avec un réalisme sans fards . Le résultat est époustouflant de naturel dont le montage des 400 heures de rushes , restitue admirablement à la fois leur vécu, leur rapport avec la nature et les enjeux environnementaux qui s’y jouent. Ceux, auxquels l’arrivée , inattendue en cours de tournage de cette famille Turque s’installant sur les lieux, va leur permettre de prolonger et d’enrichir , via le descriptif d’une autre approche dont ils sont le reflet, la réflexion sur le constat qui s’en dégage et se mue, en fable emblématique …

Hatidze ( Hatidze Muratova)  aux soins de ses abelles – Crédit Photo , KMBO Distribution –

En effet , ce regard plongé au cœur du vécu quotidien d’ Hatidze, les auteurs qui en captent les moindres détails, nous entraînant avec eux dans le constat d’une incroyable harmonie qui s’y distille. Comme l’illustre ces magnifiques séquences où l’on voit Hatidze sans protection aucune, communier avec les abeilles, les caresser et les respecter en leur laissant cette fameuse « part de miel » qui leur servira à se nourrir et passer l’hiver. La notion du         « partage  équitable » est pour elle.. un chose naturelle .! . Les auteurs adoptent une approche bienveillante, cherchant à comprendre les choix d’ Hatidze qui va se confier et s’ouvrir à leur regard -caméra scrutateur et curieux, auquel elle s’offre . Comme l’illustrent les magnifiques scènes des rapports  avec sa mère : les soins attentifs bien sûr pour celle-ci vieille et handicapée , mais aussi évoquer le passé familial,  celui d’Hatidze  et son quotidien du rapport à la nature , le tout vécu « comme un devoir » . Alors, lorsque Hatidze se confie et se dévoile , osant enfin poser la question qui la turlupine depuis longtemps, elle qui aurait aimé fonder famille,  finira par demander à sa mère : si les prétendants qui se sont présentés jadis ont refusé parce qu’elle ne leur convenait pas… ou si , c’est un refus familial qu’ils ont essuyé ! . La séquence est prodigieuse de naturel , étonnante !. La réponse on vous la laisse découvrir …qui ne peut rien désormais changer au quotidien,  qui est devenu le sien . Celui d’une solitude et d’un sacrifice dans lequel elle s’est immergée, rempli d’un amour soignant envers sa mère , amour trouvant aussi écho dans celui porté à la nature qui l’entoure. La symbolique de la ruche qui fonctionne comme une famille, avec les ouvrières protectrices de la maison et de la reine dont elles prennent soin . Hatidze est devenue elle aussi l’ouvrière protectrice de la reine -mère … de la ruche familiale ! . Comme le souligne la coréalisatrice Tamara Kotevska «  …ce lien symbolique entre entre les animaux et les humains n’est pas nouveau, ce qui est fascinant c’est qu’Hatidze en soit totalement consciente ( …) lorsqu’on voit le niveau de conscience de cette femme , on se sent très humbles et on en vient à comprendre que ce savoir,  il faut juste se le rappeler. Nous espérons que l’histoire d’Hatidze pourra provoquer chez les gens un changement de comportement et de point de vue », dit -elle …

Hatidze en compagnie de l’un des enfants d’Hussein , son voisin Turc qui vient de s’installer au village  – Crédit Photo , KMBO Distribution –

A cet égard , l’arrivée inattendue de la famille Turque dans le village qui a bouleversé le tournage et l’a prolongé se transformant en aubaine, pour les cinéastes qui ont utilisé cette opportunité leur permettant d’explorer les nouveaux rapports qui vont s’instaurer entre Hatidze et la famille d’Hussein et ses nombreux enfants … qu’il faut nourrir . Ce dernier arrivé avec un cheptel de vaches, va aussi vouloir s’orienter vers la production du miel . Hatidze est accueillante et se réjouit de la présence des enfant qui égaient son quotidien , se mêlent à leurs jeux , leur donnant petits conseils pour s’occuper du cheptel et les initiant au rapport avec la nature . Elle n’est pas avare non plus de conseils envers Hussein en ce qui concerne les animaux et les abeilles . Mais ce dernier inexpérimenté et qui fera à sa façon , poussé qu’il est par un ami intéressé par la production du miel en grande quantité qu’il pourrait vendre un bon prix !. Toute la famille d’Hussein dès lors sollicitée au travail dans la confusion pour les soins au cheptel, comme à celui des ruches , qui va dégénérer dans l’absurde . Les bêtes mal entretenues et soignées seront victime de maladies. Tandis que le ruches manipulées sans protection, les piqures d’abeilles sèment le désordre … et cette production de miel qui va comme elle peut , et sera entièrement utilisée pour la vente !. Hatidze qui verra celui gardé pour la nourriture des siennes, accaparé par celles du voisin qui en ont été, privées ! . Elle l’avait pourtant mis en garde., alors les tensions montent : « tu n’aurais pas dû faire ça ! » , et le conflit s’installe . Etonnantes séquences d’une Hatidze qui déchante au constat de l’harmonie espérée, avec le voisin . Ce dernier face , à l’harmonie environnementale dans laquelle s’inscrit Hatideze , n’a pensé qu’au résultat : «  cherchant à prospérer personnellement , sans songer à l’impact que cela peut avoir…», il en est ainsi du système de profit capitaliste …dont il a en quelque sorte reproduit le modèle !. Le do-réalisateur, Lubjo Stefanov, expliquant que l’arrivée de cette famille , son installation au village et son mode de fonctionnement jusqu’au conflit évoqué … rien de tout cela n’était prévu , et tout s’est déroulé devant leurs yeux !. De fait , cet imprévu s’est révélé une aubaine
permettant de prolonger le portrait d’Hatidze «  la femme aux abeilles » , de cette dimension nouvelle , l’ouvrant au delà du contexte et du conflit de voisinage de village, à des enjeux planétaires, à dimension Universelle :« … à mon avis , cela va même au delà de la politique, celà concerne même des choses bien plus élémentaires, plus fondamentales : un mode de penser, un mode de vie… », dit-il . Ne manquez pas ce magnifique documentaire d’une richesse inouïe , autant pour ses images splendides , que pour son regard sur les personnages et son questionnement qui nous interpelle intimement par le biais du magnifique personnage d’Hatidze , sur l’avenir plus que jamais en points d’interrogations de notre planète. Honeyland a été couronné entre autres par le Grand Prix du Jury au Festival de Sundance 2019 , et nommé   ( meilleur film étranger et meilleur documentaire ) aux Oscars . Ne le manquez surtout pas !….

(Etienne Ballérini)

HONEYLAND de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov – 2020- Durée:1 h 26-AVEC : Hatidze Muratova, Nazife Muratova, Safet Javorac , Hussein Sam, Ljutvie Sam et tous leurs enfants…

LIEN : Bande Annonce officielle  du Film : Honeyland – KMBO Distribution.

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