Cinéma/ LES CHOSES QU’ON DIT, LES CHOSES QU’ON FAIT d’Emmanuel Mouret

Le cinéaste s’est illustré dès ses débuts, comme le peintre des sentiments et de la parole dont le titre de son dernier film  décline admirablement, le dire et le faire qui y est au cœur. Avec toute l’ambigüité qui s’y glisse du marivaudage, du fantasme et du réel, des confidences et de la séduction, mais aussi du mensonge. Mauvaise foi et morale, en questions…

Maxime (Niels Schneider ) et François ( Guillaume  Gouix ) – Crédit Photos : Pyramide Distribution-

Depuis son premier long métrage Laissons Lucie faire ( 2000) le cinéma d’Emmanuel Mouret, à l’image des jeux de mots des titres de ses films ouvre ,  habilement à la mise en scène de la provocation des apparences qui s’y jouent. Celles dont la Lucie du couple en questions allait devoir faire face aux dérèglements inattendus, qui s’y installaient. Les actes et les mots révélateurs des comportements et des contradictions dont chacun n’assume pas toujours les répercussions sur l’autre – et ou – les autres . La thématique du Marivaudage et de la parole qui lui sert d’alibi , est le support via lequel le cinéaste construit ses récits où l’influence de la littérature du 18 ème siécle , est présente dans les dialogues  où le comportement amoureux y est disséqué, sous toutes les formes. Ici , sa comédie de l’amour et ce qu’elle reflète de légèreté et de gravité réunies,  où le rire et le burlesque s’insinuent subtilement au cœur des quiproquos.  Avec le  tumulte  qui y résonne en blessures d’amour-propre douloureuses au cœur desquelles le sentiment de vengeance peut , parfois s’inscrire. Comme c’était le cas dans son précédent film : Mademoiselle de Joncquières d’après Diderot ( 2018 ) où Madame de la Pomeraye humiliée par le libertin marquis des Arcis…lui fera subir en retour , le même sort !. Ici , le cinéaste nous immerge en plein cœur d’un récit choral , où chacun des personnages empêtré dans les choses qu’il a « dites » , va devoir : «  … se confronter à ses paroles : fera-t-il ce qu’il a dit ? , est-il vraiment celui qu’il prétend être ?, le suspense du cinéma peut être aussi crée par la parole , et c’est au spectateur de s’amuser à mesurer l’écart  entre celles–ci et les actions qui suivront », relève le cinéaste . L’angle d’approche ainsi fixé , le spectateur en devient l’observateur privilégié de la complexité des personnages  et de cette inconstance qui s’insinue entre le « dire et le faire », de la parole et des actes de chacun. La contradiction  qui n’y a pas été confronté ? . Le cinéaste multiplie les érrances de chacun de ses personnages pris au piége , empêtré entre désir et volonté , entre le passage à l’acte et sa concrétisation. Celle dont on découvre justement, cette « indécision » chez Maxime ( Niels Schneider) le jeune traducteur qui se verrait bien en écrivain …mais qui préfère « écouter » les autres raconter… leurs histoires d’amour !. D’autant qu’il vient à peine de sortir d’une relation compliquée,  et qu’il a besoin de faire un « break » …

François ( Vincent Macaigne ) et Daphné ( Camélia Jordana) – Crédit Photo : Pyramide Distribution-

En quête d’inspiration , il accepte la proposition de son cousin François ( Vincent Macaigne ) qui l’invite dans sa maison Provençale , où en l’absence provisoire de ce dernier pour rendez-vous d’affaires, il est accueilli par la femme enceinte de celui-ci , Daphné ( Camélia Jordana). Maxime lui confiera les raisons qui l’ont amené à accepter l’invitation . Celle-ci , subjuguée par son récit de déception amoureuse , se laissera à son tour , aller aux confidences … au cœur desquelles s’installe une certaine stimulation pour Maxime et son désir d’écrire . Les mots de Daphné – au fil de ces échanges empreints de complicité et d’intimité,  et où le double désir…  semble s’insinuer . Désir d’écrire et  -ou- attraction de l’autre ? . Subtilement  Emanuel Mouret y inscrit la  dimension  qui s’y joue . Celle du passage à l’acte , à la fois de la création artistique stimulée pour Maxime, mais aussi à celle de l’éveil amoureux … qui pourrait se concrétiser  entre eux ? Le dilemme du dire et du faire , et de ce qu’ implique au delà du ressenti  et  des pulsions, le  passage à la concrétisation, ouvrant au questionnement moral , qui le sous-tend . C’est sur ce point que le récit,  dès lors , inscrit la dimension qui l’ouvre à une réflexion passionnante au cœur de laquelle la démarche cinématographique du cinéaste se fait l’écho . Celle de l’art et de la vie qui s’y conjuguent, en une sorte d’osmose , sachant que  la plupart de ses héros à l’image de Maxime sont impliqués dans le domaine  artistique. Gaspard est Professeur de littérature ,  David Documentariste , Louise  s’adonne à la peinture  et Daphné est monteuse de cinéma . Dans L’art d’Aimer  ( 2011) Emmanuel Mouret introduisait la réflexion sur la fidélité et la durée des sentiments , dont on retrouve ici le questionnement de ses personnages confrontés à la séduction et au désir  qui les mettent à l’épreuve . Ouvrant à celui , sur l’inconstance humaine évoquée , celle à  laquelle les individus qui sont plongés dans les épreuves amoureuses difficiles , cherchent à s’en  extraire  ! . Une période difficile d’indécision , faite de maladresses , où le dilemme moral freine leurs  profonds souhaits   de vouloir changer de vie. La  gravité et la mélancolie qui s’empare  d’eux , face à ce  « saut dans le vide« ,  vers  l’inconnu d’une autre vie possible à envisager !. La conduite du récit sur ce point , est magnifique dans tout ce qu’elle met en jeu et révèle de chacun ,  de ses craintes  et de ses obsessions ….

de dos : Niels Schneider , Jenna Thiam et Guillaume Gouix – le trio au jeu du mensonge des gestes et des sentiments – Crédit Photo : Pyramide Distribution – 

Alors, on vous laissera vous y projeter dans le sillage du cinéaste qui en multiplie et explore les désirs  ou peurs ;  de tout un chacun qui y est confronté . Ceux  auxquels la construction du récit et des décalages temporels   qui s’y inscrivent , renforcera encore l’impact de la        «  confusion » de chacun,  sur les choix  à faire  . Ceux dont l’épilogue magnifique , renvoie l’écho des épreuves traversées . A  l’image de ce qui est advenu  et fait comme constat du ménage de Louise et de François , mais aussi  de la place  doublement  inconfortable de  Maxime  au  coeur du couple  de son meilleur ami , Gaspard ( Guillaume  Gouix)  auquel  il  s’est sacrifié  dans  une sorte de repli  intérieur douloureux …  et jamais exprimé . Les conflits  intimes qui s’installent au cœur des  choix  de chacun  vont  se jouer , en effet , dans une sorte   de ressenti indirect,  via les états- d’âme , désirs et intentions de chacun , mais ne se jouera pas en affrontements violents ouverts et directs. C’ est  la belle idée du film qui offre , dès lors  la dimension encore plus cruelle du  vrai visage… que  révèlent les  non-dits  des  « bonnes intentions  » de chacun !.   Histoires d’amour et -ou – de sentiments , le récit  du désir amoureux  Emmanuel Mouret  le   conjugue dans le sillage de celles-ci , exprimées ou pas , dont le trio Maxime, Gaspard et Sandra empruntera  la dynamique du triangle amoureux , le temps  se chargeant de mettre à l’épreuve la durée du désir  et des sentiments  qui s’y jouent . Sandra ( épatante, Jenna Thiam ) qui  finira par y trouver sa  marge de manœuvre  de liberté, refusant une certaine forme de soumission  dont témoigne  la scène de rupture avec Gaspard chassé de son appartement!. Tandis que les dégâts collatéraux n’épargneront pas non plus, le trio : François , Maxime et Daphné,   Comme le  souligne  la mise  à l’épreuve de la fidélité  du couple  François et Louise ( Emilie  Dequenne)   se  désagrégeant  au fil du temps,  et  finissant  par se disloquer irrémédiablement , tous deux  poussés , vers d’autres choix et horizons .  Même  si,  dans ces circonstances certains y trouveront ,  comme François la  possible ouverture à une nouvelle vie…offerte en sacrifice , comme preuve d’amour . Par contre , à l’image de Maxime et Daphné , trop réservés pour dévoiler leurs sentiments profonds, incapables de franchir le pas  ce sera une autre affaire !. Elle qui résiste à Maxime ,  par peur de le séduire, le consoler ou l’inspirer ? , tandis  que Maxime tergiverse attentiste  irrésolu du  choix  à faire.  Tous deux  emprisonnés   par leurs sentiments et  désirs  non dits  . Daphné qui n’a jamais su déclarer son amour au cinéaste   documentariste dont elle est la monteuse. Et Maxime  qui tergiverse   avec elle , comme il  l’a  fait avec Sandra … la poussant dans les bras de son meilleur ami !. Daphné  et Maxime , se retrouvant tous deux , comme l’illustre la superbe scène finale ,   en fataliste  héros malheureux .  Par petites touches , Emmanuel Mouret remplit son récit de cette mélancolie des vies et destins inaboutis . Le casting parfait et en harmonie, en distille tous les  » vibratos des émotions « , qu’accompagne une partition musicale où les notes de Schubert, Chopin, Debussy , Offenbach , Vivaldi , Mozart , Purcell ..se marient à celles d’Eric Satie , ou aux berceuses d’Aram Khatcahtourian et aux Spanish Dances d’Enrique Granados . Plaisir du langage littéraire et musical réunis, à celui de l’image . On Aime beaucoup, voilà une chose qu’on peut vous dire! …

(Etienne Ballérini )

LES CHOSE QU’ON DIT , LES CHOSES QU’ON FAIT d’Emmanuel Mouret.- 2020- durée : 122 minutes.

AVEC : Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Emilie Dequenne, Jenna Thiam, Guillaume Gouix, Julia Piaton, Jean-Baptiste Anoumon , Louis-Do de Lenqueseng , Claude Pommereau …

LIEN : Bande-Annonce du Film : Les Choses qu’on dit , Les Choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret . Pyramide Distribution .

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