Le cinéaste s’est illustré dès ses débuts, comme le peintre des sentiments et de la parole dont le titre de son dernier film décline admirablement, le dire et le faire qui y est au cœur. Avec toute l’ambigüité qui s’y glisse du marivaudage, du fantasme et du réel, des confidences et de la séduction, mais aussi du mensonge. Mauvaise foi et morale, en questions…

Depuis son premier long métrage Laissons Lucie faire ( 2000) le cinéma d’Emmanuel Mouret, à l’image des jeux de mots des titres de ses films ouvre , habilement à la mise en scène de la provocation des apparences qui s’y jouent. Celles dont la Lucie du couple en questions allait devoir faire face aux dérèglements inattendus, qui s’y installaient. Les actes et les mots révélateurs des comportements et des contradictions dont chacun n’assume pas toujours les répercussions sur l’autre – et ou – les autres . La thématique du Marivaudage et de la parole qui lui sert d’alibi , est le support via lequel le cinéaste construit ses récits où l’influence de la littérature du 18 ème siécle , est présente dans les dialogues où le comportement amoureux y est disséqué, sous toutes les formes. Ici , sa comédie de l’amour et ce qu’elle reflète de légèreté et de gravité réunies, où le rire et le burlesque s’insinuent subtilement au cœur des quiproquos. Avec le tumulte qui y résonne en blessures d’amour-propre douloureuses au cœur desquelles le sentiment de vengeance peut , parfois s’inscrire. Comme c’était le cas dans son précédent film : Mademoiselle de Joncquières d’après Diderot ( 2018 ) où Madame de la Pomeraye humiliée par le libertin marquis des Arcis…lui fera subir en retour , le même sort !. Ici , le cinéaste nous immerge en plein cœur d’un récit choral , où chacun des personnages empêtré dans les choses qu’il a « dites » , va devoir : « … se confronter à ses paroles : fera-t-il ce qu’il a dit ? , est-il vraiment celui qu’il prétend être ?, le suspense du cinéma peut être aussi crée par la parole , et c’est au spectateur de s’amuser à mesurer l’écart entre celles–ci et les actions qui suivront », relève le cinéaste . L’angle d’approche ainsi fixé , le spectateur en devient l’observateur privilégié de la complexité des personnages et de cette inconstance qui s’insinue entre le « dire et le faire », de la parole et des actes de chacun. La contradiction qui n’y a pas été confronté ? . Le cinéaste multiplie les érrances de chacun de ses personnages pris au piége , empêtré entre désir et volonté , entre le passage à l’acte et sa concrétisation. Celle dont on découvre justement, cette « indécision » chez Maxime ( Niels Schneider) le jeune traducteur qui se verrait bien en écrivain …mais qui préfère « écouter » les autres raconter… leurs histoires d’amour !. D’autant qu’il vient à peine de sortir d’une relation compliquée, et qu’il a besoin de faire un « break » …

En quête d’inspiration , il accepte la proposition de son cousin François ( Vincent Macaigne ) qui l’invite dans sa maison Provençale , où en l’absence provisoire de ce dernier pour rendez-vous d’affaires, il est accueilli par la femme enceinte de celui-ci , Daphné ( Camélia Jordana). Maxime lui confiera les raisons qui l’ont amené à accepter l’invitation . Celle-ci , subjuguée par son récit de déception amoureuse , se laissera à son tour , aller aux confidences … au cœur desquelles s’installe une certaine stimulation pour Maxime et son désir d’écrire . Les mots de Daphné – au fil de ces échanges empreints de complicité et d’intimité, et où le double désir… semble s’insinuer . Désir d’écrire et -ou- attraction de l’autre ? . Subtilement Emanuel Mouret y inscrit la dimension qui s’y joue . Celle du passage à l’acte , à la fois de la création artistique stimulée pour Maxime, mais aussi à celle de l’éveil amoureux … qui pourrait se concrétiser entre eux ? Le dilemme du dire et du faire , et de ce qu’ implique au delà du ressenti et des pulsions, le passage à la concrétisation, ouvrant au questionnement moral , qui le sous-tend . C’est sur ce point que le récit, dès lors , inscrit la dimension qui l’ouvre à une réflexion passionnante au cœur de laquelle la démarche cinématographique du cinéaste se fait l’écho . Celle de l’art et de la vie qui s’y conjuguent, en une sorte d’osmose , sachant que la plupart de ses héros à l’image de Maxime sont impliqués dans le domaine artistique. Gaspard est Professeur de littérature , David Documentariste , Louise s’adonne à la peinture et Daphné est monteuse de cinéma . Dans L’art d’Aimer ( 2011) Emmanuel Mouret introduisait la réflexion sur la fidélité et la durée des sentiments , dont on retrouve ici le questionnement de ses personnages confrontés à la séduction et au désir qui les mettent à l’épreuve . Ouvrant à celui , sur l’inconstance humaine évoquée , celle à laquelle les individus qui sont plongés dans les épreuves amoureuses difficiles , cherchent à s’en extraire ! . Une période difficile d’indécision , faite de maladresses , où le dilemme moral freine leurs profonds souhaits de vouloir changer de vie. La gravité et la mélancolie qui s’empare d’eux , face à ce « saut dans le vide« , vers l’inconnu d’une autre vie possible à envisager !. La conduite du récit sur ce point , est magnifique dans tout ce qu’elle met en jeu et révèle de chacun , de ses craintes et de ses obsessions ….

Alors, on vous laissera vous y projeter dans le sillage du cinéaste qui en multiplie et explore les désirs ou peurs ; de tout un chacun qui y est confronté . Ceux auxquels la construction du récit et des décalages temporels qui s’y inscrivent , renforcera encore l’impact de la « confusion » de chacun, sur les choix à faire . Ceux dont l’épilogue magnifique , renvoie l’écho des épreuves traversées . A l’image de ce qui est advenu et fait comme constat du ménage de Louise et de François , mais aussi de la place doublement inconfortable de Maxime au coeur du couple de son meilleur ami , Gaspard ( Guillaume Gouix) auquel il s’est sacrifié dans une sorte de repli intérieur douloureux … et jamais exprimé . Les conflits intimes qui s’installent au cœur des choix de chacun vont se jouer , en effet , dans une sorte de ressenti indirect, via les états- d’âme , désirs et intentions de chacun , mais ne se jouera pas en affrontements violents ouverts et directs. C’ est la belle idée du film qui offre , dès lors la dimension encore plus cruelle du vrai visage… que révèlent les non-dits des « bonnes intentions » de chacun !. Histoires d’amour et -ou – de sentiments , le récit du désir amoureux Emmanuel Mouret le conjugue dans le sillage de celles-ci , exprimées ou pas , dont le trio Maxime, Gaspard et Sandra empruntera la dynamique du triangle amoureux , le temps se chargeant de mettre à l’épreuve la durée du désir et des sentiments qui s’y jouent . Sandra ( épatante, Jenna Thiam ) qui finira par y trouver sa marge de manœuvre de liberté, refusant une certaine forme de soumission dont témoigne la scène de rupture avec Gaspard chassé de son appartement!. Tandis que les dégâts collatéraux n’épargneront pas non plus, le trio : François , Maxime et Daphné, Comme le souligne la mise à l’épreuve de la fidélité du couple François et Louise ( Emilie Dequenne) se désagrégeant au fil du temps, et finissant par se disloquer irrémédiablement , tous deux poussés , vers d’autres choix et horizons . Même si, dans ces circonstances certains y trouveront , comme François la possible ouverture à une nouvelle vie…offerte en sacrifice , comme preuve d’amour . Par contre , à l’image de Maxime et Daphné , trop réservés pour dévoiler leurs sentiments profonds, incapables de franchir le pas ce sera une autre affaire !. Elle qui résiste à Maxime , par peur de le séduire, le consoler ou l’inspirer ? , tandis que Maxime tergiverse attentiste irrésolu du choix à faire. Tous deux emprisonnés par leurs sentiments et désirs non dits . Daphné qui n’a jamais su déclarer son amour au cinéaste documentariste dont elle est la monteuse. Et Maxime qui tergiverse avec elle , comme il l’a fait avec Sandra … la poussant dans les bras de son meilleur ami !. Daphné et Maxime , se retrouvant tous deux , comme l’illustre la superbe scène finale , en fataliste héros malheureux . Par petites touches , Emmanuel Mouret remplit son récit de cette mélancolie des vies et destins inaboutis . Le casting parfait et en harmonie, en distille tous les » vibratos des émotions « , qu’accompagne une partition musicale où les notes de Schubert, Chopin, Debussy , Offenbach , Vivaldi , Mozart , Purcell ..se marient à celles d’Eric Satie , ou aux berceuses d’Aram Khatcahtourian et aux Spanish Dances d’Enrique Granados . Plaisir du langage littéraire et musical réunis, à celui de l’image . On Aime beaucoup, voilà une chose qu’on peut vous dire! …
(Etienne Ballérini )
LES CHOSE QU’ON DIT , LES CHOSES QU’ON FAIT d’Emmanuel Mouret.- 2020- durée : 122 minutes.
AVEC : Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Emilie Dequenne, Jenna Thiam, Guillaume Gouix, Julia Piaton, Jean-Baptiste Anoumon , Louis-Do de Lenqueseng , Claude Pommereau …
LIEN : Bande-Annonce du Film : Les Choses qu’on dit , Les Choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret . Pyramide Distribution .
Mouret à l’apogée de la valse des cœurs, jusqu’à l’acmé dans une gare où l’adagio de Barber prouve qu’il n’est pas fait que pour le ballet des hélicos de Platoon.
Très bel article.
[…] de la presse internationale ont donc remis un Lumière au meilleur… – Film : Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret – Mise en Scène : Maïwenn pour ADN – Scénario : Stéphane […]
[…] de voir Josep, Un Fils, L’Homme qui a vendu sa peau (avant-première), Deux, Eté 85, Les Choses qu’on dit les choses qu’ont fait, Slalom (avant-première à l’occasion de la Journée internationale des femmes) et Un pays […]
[…] Sellers, Orson Welles et Ursula Andress. Un James Bond non officiel. OCS Géants à 20h40 – Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret (Drame romantique – 2020 – 2h00). Daphné, enceinte de trois mois, est […]
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