Juillet et août, le TNN présentait « Les contes d’apéro », des balades dans les textes, tous les soirs à 19h, moins d’une heure, une plongée dans l’univers de la littérature. Voici le compte rendu de quelques unes de ces rencontres avec Marcel Aymé, La Fontaine, Giono, Hugo, Nucéra, Prévert, Maupassant, mais aussi du théâtre d’objets. Vous ne savez pas ce que c’est ? C’est un genre théâtral où des objets courants ne sont plus utilisés comme des accessoires ou des décors, évoquent un personnage ou un animal avec lequel l’acteur pourra dialoguer ou interagir lors de la représentation. Tiens ! Puisque nous en sommes au théâtre, ces Contes d’apéro ont commencé avec Goldoni et ont fini ave Molière. « Quoi de neuf ? Molière » (Sacha Guitry)
6 juillet 2020
Chic ! Cette année, il y aura le festival de Mouans Sartoux. Les mots contre les maux. A propos de mots, hier soir, devant le kiosque du TNN, la « bande annonce » du Goldoni joué fin mai au TNN, en prélude aux « contes d’apéro ». Des jeunes acteurs dynamiques, précis dans leur gestuelles, humour du texte et du jeu, un vrai moment de pré- théâtre, un « ante spectaclolo ».Ce soir, « Contes du chat perché », par Muriel Mayette.
7 juillet 2020
Donc, hier soir, « Contes d’apéro », Muriel Mayette, « Les contes du chat perché », de Marcel Aymé. On sent la gourmandise du mot, des mots. C’est le plaisir, le désir de l’oralité. Je reverrai la « bande annonce Goldoni », j’y ai pris tant de joie.
Rencontré Charles Berling, qui viendra lire Giono. Lui ai parlé de « Lapin rouge, lapin blanc », où le « jeu » était de découvrir le texte de Nassim Soleimanpour. Vu Frédéric de Goldfiem, qui fera en aout un « Conte d’apéro » sur Prévert.
16 juillet 2020
Hier, deux très beaux « contes d’apéro ». D’abord, «La table bleue », théâtre d’objets. Objets inanimés… Imbal Yomtovian nous raconte tout simplement la création du monde via ces objets qu’elle anime, et l’apparition sur mer et sur terre de la gent animale.
Puis Gérard Holtz avec des fables de La Fontaine, avec bien sûr des standards mais aussi des fables où tonton Jean s’adresse directement au genre humain : « La mort et le bûcheron » et « La jeune veuve ». Mais aussi il nous fait résonner –raisonner ?- les fables via l’accent, avec « Le renard et le corbeau » en niçois et « Le loup et l’agneau » en sabir, parler composite mêlé d’arabe, d’italien, d’espagnol et de français parlé en Afrique du Nord et dans le Levant. L’ouverture aux autres, le maître mot.
23 juillet 2020
Hier, « Contes d’apéro ». Pour la 3ème fois, vu « La table bleue » (voir 16 juillet). Je suis charmé par le créatif d’Inbal Yomtovian, son phrasé, son humour imaginatif, sa simplicité, cet art qu’elle possède de nous prendre par la main.
Puis Pierre Blain avec un voyage à l’intérieur de « L’homme qui plantait des arbres ». Dans ce texte, l’art de Giono est de nous faire croire à un récit rapporté, un reportage, quand il ne s’agit que d’une fiction. Nous voulons y croire autant que le narrateur. Ce conte, sa morale, lui donne un côté fable de La Fontaine. Pierre Blain est sobre, concentré et porté par le texte.
27 juillet 2020
Hier, « Contes d’apéro ». Un géant. Hugo. De la jeunesse niçoise du lecteur, Félicien Juttner, celui-ci gardait le souvenir que « Victor Hugo » était le nom du boulevard qui croisait l’avenue Jean Médecin. D’une certaine manière Hugo, c’est celui qui n’a jamais arrêté de « croiser » le fer. Comme dirait Cyrano dans la pièce éponyme : « Je me bats ! Je me bats ! Je me bats ! » A travers son voyage hugolien, le lecteur – pensionnaire du « Français » de 2010 à 2014- nous a rendu sensible qu’il n’y a pas « des » Hugo mais « un » Hugo unique, celui de l’épique. Chaque mot est une image, chaque phrase une séquence de cinéma : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. » C’est un découpage technique, une continuité dialoguée entre Hugo et sa fille.
Au fond, Félicien Juttner nous a rendu évident que Hugo, c’est « une force qui va. »
4 août 2020
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa : oui, je l’avoue, je n’ai jamais lu Louis Nucéra, et je n’en éprouve ni honte ni non-honte. Je me méfie – peut-être ai-je tort – des auteurs qui sont encensés dans des villes… dont ils sont natifs. Cela flaire son chauvinisme. Surtout que Nice, dans le localisme, applique le tri sélectif : il a fallu une exposition au Mamac en 1995 puis en 2016 pour s’apercevoir qu’Ernest Pignon Ernest était né à Nice en 1942.
3 août 2020, « contes d’apéro » : Nice Intime (hommage à Louis Nucéra). J’avoue que c’était plus les intervenants qui m’ont décidé à y aller, plus que l’auteur ; je pense que pour tout le reste du public, c’était le choix inverse. Clément Vieu, Florent Charvet, Christophe Servas et Marjolaine Alziary. Les deux premiers, de la compagnie OLEA, je les ai vu dans « Bar », de Claudio Scimone ; Marjolaine Alziary, violoncelliste – comédienne – à moins que cela ne soit l’inverse- j’avais pu apprécier son talent dans « Dante », de et avec Renato Giuliani.
C’était bien du Nucéra, mais comme le disait le programme, du Nucéra « intime » : des extraits de sa correspondance, ou plutôt ses correspondances, auxquelles avaient pu avoir accès les comédiens, grâce à la femme de l’écrivain, Suzanne Nucéra, Dans ses correspondances, Nice, ses auteurs favoris – surtout ceux qui apprécient Nice, l’amour… et le vélo. Efficacité et fantaisie chez nos quatre intervenants, balade nucérienne fraîche, à l’instar de cette petite heure « à la fraîche », avec en fond une petite brise…. Je viens te chanter la ballade, la ballade des acteurs heureux.
8 août 2020
7 juillet : « Vu Frédéric de Goldfiem, qui fera en aout un Conte d’apéro sur Prévert ».Cette rencontre entre Frédéric et Jacques, c’était hier. Frédéric est un humain magique. Ecole de la Comédie de St Etienne. Il possède son métier, mais va au-delà. Un silence de Goldfiem, c’est encore du Goldfiem, pour détourner la phrase de Guitry. Il nous entraine là où l’on ne l’y attend pas, peut-être là où il ne s’y attend pas. Il nous prévient tout de suite, pas question de faire un tem beau à Prévert. Et de Prévert, d’ailleurs, au début, pas un mot, pas une ligne, pas un vers ah, j’oubliais, Prévert n’est pas un poète, c’est lui qui le dit- pas un vers mais un verre, voire une bouteille – qui y a-t-il dedans ? On s’en fout. Pas du Prévert, mais Prévert. Fred cherche Jacques, sa dérision, sa déraison, son dézinglage des mots, son ironie, mais aussi se tendresse. Fred cherche Jacques et le trouve, à chaque instant à chaque paroles(s). Et puis Prévert dans le texte. Mais là, Fred devient notre complice, nous sommes avec lui en phrase, pardon en phase. Fred est humain, trop humain. Il nous embarque dans son « bateau ivre » prévertien. Cette petite heure commence, par « Les feuilles mortes », un électrophone, un 45 tours, et s’achève par « La chanson de Prévert », du collègue Serge, jouée sur un piano et chantée –accompagné de Fred- par une jeune femme, choisie dans le public. Choisie ? On veut bien le croire. Avec les acteurs, vous savez… « Oh je voudrais tant que tu te souvienne… » Oui Fred, on s’en souvient.
16 aout 2020
Hier, « Contes d’apéro ». Deux intervenants, un homme, une femme, le premier assis, la deuxième debout, mais tous les deux ont un point commun, et quel point : le théâtre. D’abord, Jean Florès, directeur du Théâtre de Grasse, scène conventionnée pour la danse et le cirque, pôle régional de développement culturel. Il avait choisi de lire des extraits du « Sel de la vie », de Françoise Héritier, anthropologue, qui a succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France. Elle dit de son œuvre Le sel de la vie, « Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements, et c’est de cela que j’ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie ». Ce journal, comme une lettre à un ami, Jean Flores nous emmène dans toutes les arcanes de ce texte, à la fois simple, évident et multiple.

Puis la maitresse des lieux, Muriel Mayette – Holtz, avec un conte de Maupassant, La parure : L’histoire se passe dans le Paris du xixe siècle, à une époque où se creuse l’écart entre les classes sociales en France. La nouvelle raconte la vie de Mathilde Loisel, malheureuse et insatisfaite du milieu modeste dans lequel elle évolue, et dont les choix qu’elle va faire dans l’espoir de s’élever au dessus de son rang vont l’entraîner dans sa propre chute, personnelle, financière et sociale. Comme toujours, chez Muriel Mayette, nous sommes dans l’enchantement du mot dit, mieux, la gourmandise du mot, le bonheur de la locution. Je suis sur que si Maupassant avait pu assister à la lecture, il se serait dit : Mais c’est moi qui ai écrit cela ? » Avec Muriel Mayette, on comprend ce que signifie : « servir un auteur ». On ne le défend pas, il se défend tout seul, on le sert.
22 août 2020
Puissant. C’est le mot qui me vient à l’esprit pour parler du «Conte d’apéro » d’hier soir. Et ce mot s’applique aussi bien à l’auteur qu’aux interprètes. L’auteur, c’est Charles Bukowski. Henry Charles Bukowski -1920 1994-, est un écrivain américain d’origine allemande, auteur de romans, de nouvelles et de poésies. Il est connu sous ses pseudonymes divers : Hank, Buk, Henry Chinaski, ce dernier étant celui de son alter ego dans ses nombreux romans autobiographiques. Il est l’auteur, en prose comme en vers, d’une œuvre poétique considérable.
Il puise la matière de ses livres dans sa propre existence : il décrit ses débuts difficiles, son alcoolisme, ses bagarres d’ivrognes. Ses personnages, à son image, sont des êtres désespérés, susceptibles d’accomplir à n’importe quel moment les actes les plus absurdes et les plus violents. Son originalité réside dans sa façon d’écrire les détails crus de la misère et de l’isolement pour atteindre une poésie paradoxale.
Les interprètes étaient Thierry Vincent et Elodie Tampon Lajariette, de la compagnie B.A.L. Ils avaient choisi des extraits de deux romans, « Souvenir d’un pas grand ‘chose » et « Le Postier ».
Souvenir d’un pas grand-chose, écrit à la première personne, raconte dans le style direct caractéristique de l’auteur, les premières années de son alter-ego, Henry Chinaski, son enfance et son adolescence durant les années de la Grande dépression jusqu’à son arrivée à l’âge d’homme., et l’enrôlement pour la guerre du meilleur ami de Chinaski.
Le Postier : Dans ce roman, l’auteur raconte la vie de son alter-ego Hank Chinaski alors qu’il travaillait à la poste des États-Unis. On y retrouve des thèmes habituels dans l’écriture de Bukowski comme le sentiment d’inutilité de travailler, le sexe, les paris hippiques, … On retrouve également de nombreuses scènes et personnages qui alimenteront les sujets de ces nouvelles dans d’autres ouvrages, comme son mariage avec une riche Texane, la rencontre de la femme avec qui il aura une fille.
Thierry Vincent, par sa gestique, par sa capacité vocale d’évocation du passage d’évolution d’une situation à une autre, nous fait toucher du doigt ce qui fait l’essence même d’un texte de Bukowski, l’oralité, c’est-à-dire qu’il est sonorité avant tout. En outre s’ajoute dans son dit, et cela passe aussi par sa gestuelle, une certaine distanciation, rassurez vous ni sociale ni physique. A ses cotés, le travail actoriel d’Elodie Tampon Lajariette se pace dans un contrepoint de celui de Thierry Vincent. Puissant, vous dis-je.
23 août 2020. Hier, la dernière des Contes d’apéro. Un feu d’artifice, pour nous rappeler que c’est l’art du comédien qui est au cœur du Théâtre. Et c’est le comédien Laurent Prevot qui nous l’a rappelé. Laurent Prevot, issu du conservatoire de Nice, je l’avais apprécié – le mot est faible- dans La Métamorphose. Ici il se sert – si j’ose ainsi m’exprimer – de « La jalousie du barbouillé », de Molière pour nous emmener dans l’enchantement que peut nous procurer une voix et un corps. « La jalousie du Barbouillé » est une farce non datée de Molière dans laquelle s’ébauche tous les grands thèmes de ses pièces futures. Le Barbouillé est marié avec Angélique. Mais il n’est pas satisfait de sa femme qui, dit-il, le fait enrager. Il demande au docteur son avis sur la façon de la punir….
En 45 minutes, Laurent Prevot visite la pièce de Molière (je n’ai pas dit l’horrible revisite) , toujours en énergie, dessine tous les personnages, contextualise, en profite, toujours dans le rythme, pour attire notre attention sur une particularité, mais tout ceci n’est qu’une farce, (« Le carnaval autorise cela », Le Malade Imaginaire, III 14), fait interagir des spectateurs, tout fait théâtre, un art de la métamorphose, bref un feu d’artifice, quelque part les trois coups d’une période théâtrale à venir. Que le spectacle commence !
Jacques Barbarin
Merci de cette magnifique gazette de ces précieux moments. Elle me redonne le sourire.