Dans l’immensité de la steppe Mongole, la découverte du meurtre d’une femme. Au cœur de l’intrigue policière dynamitée subtilement par les surprises et l’humour d’une réflexion empreinte de poésie et de gravité sur les drames et les passions humaines. Le beau personnage de la bergère, s’y fait porteur de l’espoir des libertés par la fulgurance des images, d’une mise en scène époustouflante !
A cet égard , nous voici embarqués d’emblée dans la nuit de la steppe mongole, avec cette voiture faisant son chemin sur la piste, y croisant de temps à autre des chevaux en liberté et autres animaux sauvages surgissant soudain sous la lumière des phares. Mais la vraie surprise viendra un peu plus tard, avec cet autre obstacle y révélant ce corps sans vie d’une femme gisant sur le sol dans la froide nuit. L’arrêt brusque du véhicule pour l’éviter, les occupants inquiets faisant demi-tour. La longue scène dans la nuit qui se termine par le « choc » de la découverte du corps meurtri, tranche avec l’odyssée nocturne dans laquelle on s’était laissé porté en compagnie des occupants du véhicule habitués à de telles sorties nocturnes, bavardant allègrement de leurs expériences de la chasse. Le choc scandé par un trou noir de silence , que va animer l’arrivée de la police sur les lieux, par le traitement ironique de la scène faisant écho à la découverte tragique nocturne. Des policiers qui vont se retrouver empêtrés dans les ennuis successifs dont la panne de leur véhicule, les contraignant à retourner en ville… pour aller y chercher l’équipe scientifique devant procéder aux analyses ! Laissant sur place un jeune policier récemment recruté et inexpérimenté pour surveiller le cadavre et éviter qu’il ne devienne la proie des loups ! Laissé seul dans l’immensité et le froid , tentant d’y échapper en rythmant ses exercices physiques par le sonorités musicales endiablés , tempérés ensuite par la pause nécessaire et langoureuse esquissée sur le Love me tender d’Elvis Presley ! Décalage saisissant , en attendant l’arrivée de la bergère à dos de chameau , soupe chaude et fusil en bandoulière chargée de le soutenir, elle qui a l’habitude de sentir le danger et protéger son troupeau la nuit, du loup rôdeur!. Elle le rejoint donc, et voilà le cadre esquissé , porté par une mise en images où, les silhouettes humaines se dessinent d’emblée, en minuscules petites formes filmées de loin au cœur de l’immensité du la steppe sous le soleil couchant , en forme de petite fourmilière humaine, s’agitant et s’activant au cœur du paysage et mettant en place la protection du corps . Magnifique idée de récit et de mise en scène , qui , insensiblement va se muer en approche pour venir y sonder l’intimité de chacun des protagonistes y prenant part, en une superbe exploration intime qui se prolongera tout au long des événements . Celle qui va nous révéler leurs personnalités , les drames vécus et la violence ressentie , en même temps que l’isolement , la solitude et les espérances qui se révèlent. Celles auxquelles la référence à ces œufs fossilisés des dinosaures d’hier, dont la Mongolie est le territoire principal de la découverte à laquelle le récit fait écho, à un emblématique héritage millénaire , s’y perpétuant …

Celui-ci , prolongeant en forme de fable moderne , le récit du cinéaste et son approche stylistique empreinte des apparences d’un univers mutique , au cœur de l’immensité d’un paysage et de son cadre , où les vibrations humaines finissent par transparaître , et y révéler leur véritable nature et ressentis . Finissant par faire fondre la glace et le froid qui les entoure, pour réveiller cette vie qui y sommeillait et qui pourrait finir par éclore en bouillonnement d’autant plus ardent , qu’il est resté , si longtemps enfoui dans le silences, que son éclosion en devient une éruption … quasiment volcanique!. Celle à laquelle , l’œuf du titre orignal fait écho à la dimension voulue par le cinéaste : « montrer le rapport profond de l’homme avec la nature », distillée par une mise en image ( signée Aymerik Pilarski ) époustouflante de beauté et d’originalité des cadrages , admirablement immergée dans l’environnement et ses esapces pour les remplir de cette humanité qui y vit et déborde d’intensité et désirs , retenus. La brutalité comme la poésie y éclatent, avec la même intensité que le mystère de situations qui s’y révèlent , chorégraphiées par la lumière , du jour , du coucher de soleil , des nuages nuages et ( ou ) des ombres de la nuit. Le récit est porté par tous ces éléments admirablement maîtrisés afin d’en faire surgir ce « réalisme brut», auquel le cinéaste est attaché , et y explorer en osmose ces choses de « la vie , la mort, et l’amour », dans cette immensité de la steppe où le langage est superfu , pour les exprimer et les envelopper par le regard et ressenti de l’image. C’est la belle et superbe idée de mise en scène qui nous y invite à s’y laisser porter , avec la drolerie et les décalages qui s’y inscrivent , via le personnage de la bergère , et s’y révèlent d’autant plus stimulants et percutant ,par son son assurance… à toute épreuve ! . Celle-ci, en femme des steppes indépendante et libre , sachant aussi bien initier le jeune policier à l’apprentissage de la vie, à qui ses collègues imposent le « bizutage du bleu » et la corvée de garder le cadavre. Et que celle-ci ‘elle complètera par la belle scène de la « séduction » , comme écho libérateur aux soumissions et contraintes . De la même manière qu’elle saura, à son tour , l’ utiliser envers son ex-amoureux pour le demander de l’aider dans les travaux difficiles et l’entretien de son troupeau … tout en le remettant en place, lorsqu’il revient à la charge lui demandant de renouer avec elle ! Son désir, ses souhaits, c’est elle qui veut en détenir la clé : » si j’ai besoin d’un mec , je te ferais signe!..’ …

Beau personnage féminin au cœur de cette immensité où dans sa quête d’indépendance de vie, elle se révèle surprenante en femme à piugne, qui y vit seule dans sa yourte – domicile, avec son chameau et son troupeau …et l’héritage des traditions qui y participe ( la mise à mort rituelle du mouton …), éloignée a plus de cent kilomètres de toute présence de vie humaine . Sachant se protéger des loups ( les vrais ) ….et aussi , ceux plus humains…. tout aussi prédateurs, dont les signes extérieurs de présence ( le meurtre , commis par qui?) viennent perturber la quiétude quotidienne . Cette quête là , le cinéaste en fait le centre de son récit via cette bergère symbolisant d’une certaine manière son parcours de cinéaste dont la liberté créatrice s’est retrouvée , perturbée , bridée . Cinéaste chinois de la célèbre sixième génération qui fit , avec ceux de sa génération, la renommée du cinéma de son pays ( avec Zia Zangké , Zhang Yuan , Lu Chuan …), par leurs films contestataires . Wang Quanan, comme d’autres cinéastes s’est vu soumis depuis une dizaine d’années à une censure de plus en plus forte par le régime , contraint notamment d’apporter de nombreuses coupes à son film White Dear Plain (2012) , adaptation d’un roman célèbre de Chen Zongshi ( Au Pays du cerf blanc ). Ces coupes, défigurant son film-épopée de 5 heures contraint à le réduire à trois heures ! : « ce fut pour moi une expérience traumatisante …j’y avait mis toute ma motivation … je n’avais plus envie de penser à un autre projet », dit-il , envisageant même , de ne plus tourner !. Le combattant qu’il est – dont les films ont décrit « une chine rurale secouée par la modernisation » , en ses six longs métrages réalisés qui l’ont imposé sur la scène internationale ( en 2007 son film Le mariage de Tuya , a obtenu l’Ours d’or au Festival de Berlin , et a connu un succès international . Après le choc , il est heureusement revenu sur sa décision et choisi, afin d’éviter d’autres déboires ,d’inscrire le récit de son septième film en Mongolie extérieure , état indépendant où il sera plus libre . Pour son retour à la vie créative , en même temps que le dépaysement dans cette région afin d’ y développer une belle fable méditative en forme de retour aux sources , sur la problématique et les thématiques de la vie sociale, de la solitude , de l’espace et des distances. Le réalisme qui lui est cher , empreint de poésie en bandoulière, il s’est imprégné au fil des repérages, de ces espaces et de personnages qui y vivent , comme ce fut la cas pour la recherche de celui de la Bergère ( Dulamjav Enkhtaivan) , qu’elle est dans la vie réelle . Vivant , seule avec ses quatre enfants , sa sagesse , son indépendance, et sa forte personnalité ont à l’évidence , apporté ce « plus » au personnage souhaité par le cinéaste . Elle illumine le film de sa présence , en même temps que le cinéaste l’éclaire d’un regard empreint de tendresse que lui renvoient , justement les choix de mise en scène évoqués ci-dessus. Alors , avec l’oeuf des dinosaures en héritage ( dont on vous laisse découvrir les dessous …) , le récit s’élève avec ses séquences de toute beauté , au rang des grandes œuvres que le cinéma nous offre de temps en temps, et qui restent à jamais gravées dans nos mémoires !. Ne manquez surtout pas ce grand plaisir de cinéma que Wang Quanan, nous offre . La génération de cinéastes chinois dont il a fait partie , est celle qui est apparue et tourna dans la clandestinité , après la répression de Tian’anmen . Aujourd’hui, avec ce magnifique film – poème, sur ce que reflète cette fable sur « l’oeuf originel » – il en prolonge superbement , l’héritage !. Un voyage poétique, une ballade enchantée , un film « sublimissime » !!!
(Etienne Ballérini)
LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC, ET L’OEUF de Wang Quanan -2020- durée : 1h32
AVEC : Dulamjav Enkhtaivan ( La bergère ), Aorigeletu ( le berger), Norovsambuu Batmunkh ( le policier) , Gangtemuer Arild ( le chef de la police ) , Sillenge ( le docteur),…
LIEN / Bande -Annonce du Film : LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF de Wang Quanan – Distribution : Diaphana Films .