Le succès et la reconnaissance de Wadjda (2013), son premier long métrage de fiction, avait permis à la réalisatrice Saoudienne Haifaa Al-Mansour de prendre le chemin des studios hollywoodiens. Six années plus tard, elle est revenue dans son pays natal pour y tourner The Perfect Candidate dans lequel une jeune femme compte bien faire entendre sa voix…

Découvert en première mondiale et récompensé (Prix du Meilleur film Art & Essai) en septembre 2012 à la Mostra de Venise, avant d’être primé dans de nombreux festivals internationaux, Wadjda est le premier long métrage de fiction réalisé par Haifaa Al-Mansour. Mais il a été aussi considéré comme le premier film officiel produit et tourné en Arabie saoudite, où les salles de cinéma étaient proscrites et l’industrie cinématographique inexistante, et le premier long métrage d’une réalisatrice saoudienne. Sa reconnaissance internationale lui a valut des propositions aux Etats-Unis. Après Mary Shelley (2017), film de commande et biopic avec Elle Fanning sur la célèbre romancière, Une femme de tête (2018), une comédie romantique pour Netflix, et quelques épisodes d’une série télévisée (The Society), on pensait que la cinéaste avait définitivement succombé à l’appel des sirènes hollywoodiennes. Bien qu’installée en Californie (son mari étant Américain), Haifaa Al-Mansour effectue néanmoins un retour aux sources avec The Perfect Candidate, tourné en Arabie saoudite.

Maryam est une jeune médecin célibataire dans la clinique d’une petite ville. Malgré la discrimination et le manque de moyens, tant humain que matériel, elle ne ménage pas ses efforts. Cependant elle n’en peut plus de voir que la route qui conduit à l’établissement hospitalier n’est toujours pas goudronnée et se transforme très vite en bourbier. Aussi décide-t-elle de postuler pour un poste dans un grand hôpital de Riyad. Mais au moment de prendre l’avion afin d’assister à une conférence à Dubaï, le vol lui est interdit. Il lui faut une autorisation écrite de son père, lequel, musicien, est en tournée. Maryam tente de faire intervenir un cousin haut placé. Pour être reçue, elle doit s’inscrire comme candidate aux élections municipales. Ce qu’elle fait…
Wadjda (le nom de la jeune héroïne) suivait les péripéties d’une ado débrouillarde qui voulait acquérir un vélo pour faire la course avec son copain Abdallah. Mais au royaume wahhabite seuls les hommes ont le droit de faire de la bicyclette… Avec Wadjda, Haifaa Al-Mansour était proche du néo-réalisme (on pense au Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica). Cette fois, avec The Perfect Candidate, tout en gardant de petites touches d’humour, la réalisatrice opte pour une mise en scène plus conventionnelle et se focalise surtout sur la direction d’acteurs qui met en évidence la prestation de Mila Al Zahrani, étonnante et très convaincante dans le rôle d’une jeune femme qui tente de faire bouger les choses dans une société patriarcale.

Même si le nom des personnages et des interprètes sont différents, Maryam pourrait bien être Wadjda devenue adulte. L’une et l’autre font entendre leur voix, apparaissent déterminées et sont loin d’être des victimes résignées, soumises, malgré les contraintes que les conventions sociales imposes à leur condition. Maryam fait preuve d’une pugnacité qui semble à toute épreuve, au travail comme au cours de son aventure électorale. En dépit des bâtons qu’on lui met dans les roues, elle entend aller jusqu’au bout. Elle n’est d’ailleurs pas seule, puisque ses deux sœurs, l’aînée, qui a créé sa propre activité (filmer des mariages ou des cérémonies privées), et la cadette, accro aux réseaux sociaux, lui apportent un appui concret dans sa campagne.
Si le film se concentre sur la lutte pour l’émancipation que mène Maryam, The Perfect Candidate souligne également la place que la réalisatrice accorde à l’art dans l’évolution de la société, par le biais d’Abdulaziz, le père de Maryam, qui n’hésite pas un seul instant à partir en tournée avec son groupe de musique traditionnelle lorsque l’autorisation de se produire à l’occasion de concerts publics lui est enfin accordée. Cela, malgré les risques encourus (interdiction arbitraire, sécurisation en raison de menaces intégristes). «Des pans entiers de notre musique, de notre théâtre, de notre littérature et de bien d’autres formes d’expression artistique ont été presque entièrement effacés de notre culture, et j’ai eu le sentiment que l’histoire devait rappeler aux gens que nous avions un héritage artistique qui pouvait nous aider alors que nous nous dirigeons vers un avenir passionnant.»

Présenté lui aussi à Venise en 2019, The Perfect Candidate montre que les droits des femmes saoudiennes ont évolué depuis 2012 (et Wadjda). Toutefois, il indique également qu’il y a encore bien des obstacles à franchir avant que la femme ne soit considérée comme l’égale de l’homme dans un pays où le conservatisme, la tradition patriarcale, s’opposent toujours à la modernité. Ainsi, par exemple, un vieillard admis aux urgences dans un état grave refuse d’être soigné par une femme, un journaliste de la télévision pose des questions stupides à la candidate et ne l’écoute pas, ou encore des hommes venus à une réunion électorale lui coupent la parole et la chahutent. Haifaa Al-Mansour aurait pu choisir un ton pamphlétaire, mais elle a préféré la retenue et la finesse. Dès 2013, elle déclarait : « Notre culture est conservatrice et je ne veux pas offenser les gens. Mais si je veux qu’ils m’écoutent, il me faut travailler à l’intérieur du système. »Une démarche qui lui a ouvert les portes des cinémas d’Arabie Saoudite (qui ont fait leur réapparition en 2018 après une interdiction de 35 ans dans le royaume).
Le chemin est encore long pour les droits de la femme en Arabie saoudite (et les droits humains en général) et rien ne dit que les acquis ne seront pas remis en cause sous la pression des religieux. The Perfect Candidate est néanmoins un pas en avant.
The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour (Comédie dramatique – Arabie Saoudite/Allemagne – 2019 – 104 minutes). Avec Mila Al Zahrani, Dhay, Nourah Al Awad, Khalid Abdulrhim
Voir la bande-annonce (Le Pacte – 1mn40 – Vostf)
Philippe Descottes
[…] avec Wagner Moura, Gisela Chipe, Stephen W. Tenner, Penélope Cruz. OCS City à 20h40 – The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour (2019 – 1h40). Maryam est médecin dans la clinique d’une petite […]