Je me souviens… d’Alan Parker

De nouveau la « longue maladie » aura pris le dessus… Vendredi 31 juillet, elle a emporté Alan Parker. Le réalisateur britannique était âgé de 76 ans.

01 - CiaoViva - Credit photo Alan-Parker-photo-by-jonathan-glynn-smith - BFI
Alan Parker – Crédit photo :  Jonathan Glynn Smith/BFI

Je me souviens qu’Alan Parker, né le 14 février 1944 à Islington (Londres), a fait ses classes dans la publicité dans les années 1960 et 1970, comme Ridley et Tony Scott, Hugh Hudson et Adrian Lyne. D’ailleurs, ils se connaissaient et tous passeront à la réalisation cinématographique. Comme eux, il s’écartera du cinéma social anglais de deux autres de leurs compatriotes, Ken Loach et Tony Richardson, et prendra également le chemin d’Hollywood, malgré ses racines et attaches anglaises. Dans un entretien accordé au magazine Studio,(n°2, avril 1987) il a déclaré : « (…) j’aime beaucoup ce pays, mais je n’ai pas choisi de faire des films ici… Ce que je sais, c’est que je suis né ici et que j’habite ici mais que l’influence que j’ai subie a été avant tout américaine, un peu européenne, française et italienne, mais jamais anglaise, jamais anglaise… (…) quand j’étais enfant, je voulais voir des films américains. J’ai grandi pendant les années cinquante, avant la révolution des années soixante, quand la plupart des choses qui se passaient en Angleterre étaient médiocres : on ne peut pas être influencé par la médiocrité ! En revanche, des choses arrivaient des Etats-Unis, de France, d’Italie qui étaient intéressantes… C’est ça qui m’a influencé. Quand, après, tout a changé en Angleterre, la politique, la musique, la mode, la peinture, le cinéma, et que j’ai eu la chance de pouvoir faire des films, je n’avais pas envie de parler de la vie anglaise ou même européenne. Pourquoi ? Je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Pas vraiment. J’ai été tellement influencé par les films américains que je connais aussi bien la culture américaine que la culture anglaise. »

01 -CiaoViva - Alan Parker - Bugsy Malone - Crédit photo DR
Bugsy Malone – Crédit photo Droits réservés

Cependant, il optera pour une voie plus engagée et proche de celle empruntée par son aîné Ken Russell (né en 1927), marquée par l’originalité et la place accordée à la musique, l’un des éléments majeurs de son œuvre.
Je me souviens d’ailleurs que son premier long métrage,
Bugsy Malone (rebaptisé Du rififi chez les mômes), réalisé en 1975, est un pastiche musical (avec des chansons du chanteur Paul Williams, auteur compositeur mais aussi acteur dans Phantom of the Paradise) des films de gangsters, dans l’Amérique de la Prohibition, entièrement interprété par des enfants et des adolescents. Le film, sélectionné en compétition au Festival de Cannes, avait révélé une jeune comédienne… Jodie Foster.

C’est avec son second long métrage, dans un registre différent, qu’il acquiert la renommée internationale en 1978 : Midnight Express, inspiré de l’histoire de William Hayes, jeune Américain condamné à 30 ans de réclusion dans une prison turque pour trafic de haschisch. Le scénario est signé d’un inconnu : Oliver Stone. Sélectionné au Festival de Cannes, le film remportera deux Oscars, celui du Meilleur scénario et celui de la Meilleure B.O. Pour son compositeur, Giorgio Moroder, ce sera un tremplin. Mais Midnight Express fait aussi l’objet des polémiques en raison de sa violence et de l’image raciste qu’il donnerait des Turcs… (En 1971 puis en 1980 la Turquie a connu deux coups d’Etat militaires qui ont intensifié la répression contres les partis de gauche et les mouvements Kurdes).
De musique, il est toujours question dans
Fame (1980) qui suit le parcours d’un groupe d’élèves, artistes en devenir, admis à la prestigieuse New York City High School for the Performing Arts
Et puis, deux ans plus tard, il y a l’aboutissement de sa collaboration avec le groupe rock
Pink Floyd et la sortie sur les écrans de The Wall (1982), l’adaptation cinématographique de leur double album.
Si, aujourd’hui encore, le nom d’Alan Parker semble indissociable du groupe et de leur album, je me souviens que l’entente ne fut pas « cordiale » et le film a été l’un de ses plus mauvais souvenirs : «  (…)
je n’ai pas aimé le faire a-t-il déclaré. Je n’ai pas aimé les gens avec qui je l’ai fait. La collaboration avec Roger Waters, des Pink Floyd, qui l’avait écrit, et avec Gerald Scarfe, qui faisait l’animation n’était pas facile. Je crois que si je les croisais dans la rue aujourd’hui, ils feraient comme s’ils ne me voyaient pas. Ce fut une expérience très désagréable. Et c’est un film qui transpire la colère. Techniquement, il est vraiment bien mais il est tellement tendu, tellement plein de colère (…).Quand vous voyez « Pink Floyd The Wall’, vous vous dites que, c’est l’œuvre d’un fou, pas de quelqu’un de sensé. (…) je ne peux pas condamner les autres, condamner Roger Waters, Gerald Scarfe, Bob Geldof parce que, finalement, c’est moi qui étais enragé ». Pour Roger Waters, le film est comme une « attaque des sens, qui ne m’a pas donné, de toute façon, en tant que spectateur, la chance de m’impliquer. » Quelques années plus tard, en 2016, le cinéaste reviendra néanmoins sur ses propos : « Quand je vais aux festivals de cinéma et qu’ils montrent mes films, ils incluent ‘The Wall’ et c’est toujours plein à craquer. Il semble donc lâche de dire que j’ai détesté le faire. Je me suis un peu assagi et je me dit aujourd’hui que c’était une période ‘torturée mais très créative’. A ne pas répéter. »…
Fait rarissime à Cannes, en 1982, The Wall est projeté au Festival, hors compétition, et Shoot the Moon (avec Albert Finney et Diane Keaton) est présenté en compétition officielle.

01 - CiaoViva - Alan Parker 04 - The committments
The Commitments – Crédit photo : Droits réservés

C’est encore la musique qui est au cœur de The Commitments, l’histoire de jeunes ouvriers qui veulent créer leur groupe de soul et pour lequel le réalisateur, habitué à travailler aux Etats-Unis est revenu en Europe, en Irlande, à Dublin plus précisément, et d’Evita, l’adaptation de la comédie musicale écrite par Tim Rice et Andrew Lloyd Webber (une nouvelle fois sur un scénario d’Oliver Stone) avec Madonna et Antonio Banderas dans les rôles principaux,
Je me souviens qu’Alan Parker n’est pas resté prisonnier d’un genre. Il a ainsi tourné
Angel Heart (1987), un film noir teinté de fantastique et d’horreur (…classé X aux Etats-Unis !), qui réunit Mickey Rourke et Robert De Niro, et n’a pas manqué de traiter et de s’engager sur des sujets sensibles ou dérangeants. Birdy (1985 – Grand Prix Spécial du Jury à Cannes), avec Matthew Modine et Nicolas Cage, aborde les traumatismes des soldats revenus du Vietnam. Mississippi Burning (1988), inspiré d’une histoire vraie, prend place dans le Sud profond des États-Unis des années 1960, dominé par l’idéologie raciste du Ku Klux Klan. Deux agents du FBI (Willem Dafoe et Gene Hackman) enquêtent sur la disparition de trois militants des droits civiques. Bienvenu au Paradis (1990) évoque l’arrestation arbitraire et la déportation dans un camp aux Etats-Unis d’Américains d’origine japonaise au lendemain de Pearl Harbour. Son dernier film, en 2003, La vie de David Gale, est un plaidoyer contre la peine de mort.

01 - CiaoViva - Alan Parker 03 Evita - Crédit photo DR
Antonio Banderas et Madonna – Evita – Crédit photo : Droits réservés

Depuis cette date, Alan Parker n’a plus tourné. En désaccord avec l’évolution d’Hollywood, il estimait également : « Les réalisateurs ne s’améliorent pas avec l’âge : ils se répètent, et s’il y a des exceptions, leur travail ne s’améliore généralement pas, a-t-il déclaré au Festival de Bari en 2015. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de ne plus faire de films. » Un commentaire qui éclaire l’une de ses citations: « Un réalisateur de film doit avoir la sensibilité d’un poète et l’énergie d’un ouvrier du BTP. Le drame, c’est que pour beaucoup d’entre nous, c’est l’inverse ».
Anobli en Angleterre en 2002 (et Officier des Arts et Lettres en France) Sir Alan Parker s’est néanmoins beaucoup investi pour la défense du cinéma britannique. Président du British Film Institute, il a été l’un des membres fondateurs de la Directors Guild of Great Britain, et président, pendant cinq ans, du UK Film Council.
Auteur de dessins et de collages humoristiques et satiriques, il s’est consacré à la peinture ces dernières années.

En plus de 25 ans de carrière Alan Parker aura eu six longs métrages sélectionnés à Cannes (Bugsy Malone, Midnight Express, The Wall, Shoot the Moon, Birdy, Bienvenue au Paradis). Il aura été récompensé par 19 Baftas (César britanniques), 10 Golden Globes et 10 Oscars. Avec (« seulement ») 14 films à son actif, il laisse pourtant une impressionnante série de succès, lesquels ont déjà traversé les décennies. Les ressorties récentes d’Angel Heart et de Mississippi Burning en témoignent.

Un Grand Merci, Sir Alan Parker!

Le site officiel d’Alan Parker (en anglais)
Alan Parker (Tracks Arte – 9mn58 – Vostf)
Angel Heart – Bande annonce (Carlotta Film – 1mn28 – Vostf)
Bugsy Malone – Bande annonce (1mn29 – Vo)
Mississippi Burning – Bande annonce (Acacias – 1mn33 – Vostf)
Pink Floyd – The Wall – Bande annonce (2m07 – Vo)
The Commitments – Bande annonce (2mn 23 – Vo)

Philippe Descottes

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Un commentaire

  1. Merci pour cette évocation richement documentée sur un réalisateur qui n’a pas toujours eu les faveurs de la critique. Sans reverra-t-on ses films maintenant d’un nouvel œil.

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