Puisque dans cette période nous ne pouvons aller au théâtre, lisons du théâtre !
En quelque sorte, c’est le Théâtre dans un fauteuil dont rêvait Musset.
Le 9 juin, c’était L’Etat de Siege, d’Albert Camus, aujourd’hui c’est
Le rapport dont vous êtes l’objet, de Václav Havel
Bien sûr, vous savez qui est Václav Havel, mais un petit rafraichissement ne sera pas de trop. Né en 1936 est décédé en 2011, Havel est un dramaturge, essayiste et homme d’Etat tchécoslovaque puis tchèque. D’abord, mes respects à une nation qui élit comme président de la République un auteur de théâtre : cela vaut quand même mieux qu’un fondé de pouvoir ou qu’un militaire.
Durant la période communiste, il est une des figures de l’opposition à la République socialiste tchécoslovaque en tant que membre de la Charte 77 1. En 1989, il est une des figures de proue de la Révolution de Velours. Il est ensuite président de la république thèque et slovaque de 1989 à 1992 puis président de la république tchèque puis président de la république tchèque de 1993 à 2003. Politicien atypique, généralement estimé comme une « personnalité extraordinaire » dans son pays, il est souvent appelé le « président-philosophe » et sa vie a été qualifiée d’« œuvre d’art » par l’écrivain Milan Kundéra.
Václav Havel fut proche de Frank Zappa, qui soutint dès le début la dissidence tchèque. Havel était également un très grand admirateur du groupe Velvet Underground, et est toujours resté culturellement proche du rock.
En 2010, il est lauréat du prix Franz Kafka de littérature, délivré par la Société Franz Kafka de Prague
Pendant son service militaire, Václav monte avec deux de ses amis, Andrej Krob et Karel Brynda (plus tard dramaturge principal du théâtre d’Ostrava), l’ensemble théâtral de son régiment, avec une pièce attribuée à Pavel Kohout intitulée Les nuits de septembre, dans laquelle Havel joue le rôle d’un brigadier négatif. Cela permet à leur groupe d’amis de fuir la monotonie du service militaire, et d’aller dans des festivals, où ils rencontrent un certain succès. La pièce est jugée trop dangereuse pour l’esprit de l’armée, et le groupe doit renoncer aux médailles et aux prix.
Václav Havel est d’abord inspiré par le théâtre de l’absurde et l’héritage kafkaïen, puis sa parole dissidente prend le dessus. Le grand nom qu’il s’est fait dans les années 60, grâce à son œuvre dramatique, et à la censure que lui impose le régime politique, font que, dans les années 70, Havel entre résolument dans la dissidence, pour rédiger un vibrant plaidoyer politique en faveur des droits de l’homme : le manifeste de la Charte 77.
C’est au festival off d’Avignon que j’ai « pris langue » avec le théâtre d’Havel : Vernissage, 1975. Ferdinand, un intellectuel forcé de travailler dans une brasserie, est invité chez des amis, Vera et Michael. Ceux-ci lui montrent leur bel appartement, se vantent de leur réussite et veulent lui donner des conseils pour réussir lui aussi. Mais Ferdinand refuse de les écouter. Ferdinand, c’est bien sûr Havel, mais c’est aussi un personnage récurrent dans deux autres pièces, Audience (1975) et Pétition (1978). Dans ces 3 pièces, Havel montre un reflet de la société répressive qu’était alors la Tchécoslovaquie et le quotidien des intellectuels dissidents. Ces trois courtes pièces en un actes sont édités dans un même recueil, et, au demeurant, je les avais vu jouées par la même compagnie il y a quelques années toujours dans le off.
Mais revenons à notre rapport. Celui-ci, écrit dans un langage créé pour répondre aux normes de précision exigées par l’administration, dont est l’objet le directeur Gross, lui permet de constater que sa position, qu’il croyait solide, est menacée par son sous-directeur. Pour la sauvegarder, il cède aux pressions, au chantage. En vain. Grâce à une dactylo qui lui traduit ce fameux rapport, que d’ailleurs personne n’avait pu lire, il revient en place. Pour combien de temps ? Déjà un autre langage est créé tout aussi hermétique, tout aussi indispensable à connaître si l’on veut rester bien en cour. La dactylo sera renvoyée sans que le directeur lui vienne en aide, pour des raisons d’Etat qu’il lui expose. Elle en reste éblouie : personne ne lui avait jamais parlé de cette manière…
La pièce de Vaclav Havel est profondément pessimiste, mais le ton est celui d’une comédie ironique, rapide, constamment drôle. Les leçons de pydetypède (le nouveau langage) sont d’un beau comique burlesque. Les rapports entre le directeur et le sous-directeur éternellement flanqué d’un double, jeune silencieux ambigu, plus espion qu’ami sont posés en traits justes, aigus. Les deux hommes sont interchangeables dans la mesure où ils se sont dépersonnalisés pour accéder au pouvoir, avec la même ambition dérisoire.
Le spectacle est une caricature acerbe de la mesquinerie. Certes, Havel est Tchèque, mais à l’ère de l’informatique, de son langage et de ses lois, de la fascination du » jeune cadre » et de la promotion sociale rendue miraculeusement possible en trois mois grâce à des cours accélérés, la pièce ne nous est vraiment pas étrangère !
Outre la lecture de cette pièce, je vous recommande celle des Lettres à Olga, préfacées par Marcel Maréchal et Edgard Morin Paris, Editions de l’Aube. En vous rappelant que les livres s’achètent dans une librairie. Et nulle part ailleurs.
Jacques Barbarin
1 La Charte 77 est une pétition des dissidents opposés au processus de «Normalisation » de la société tchécoslovaque, sous le régime de la République socialiste tchécoslovaque
Illustration :
Vaclav Havel et les Rolling Stones
Couverture du Rapport dont vous êtes l’objet
Festival off d’Avignon 2016 : Le rapport dont vous êtes l’objet Compagnie Libre d’Esprit Photo DR