Théâtre : L’Etat de Siège Albert Camus

On a beaucoup parlé, en ces temps de virus, de « La Peste » de Camus. Or une pièce de théâtre de Camus me semble je dirais plus « pertinente » : L’Etat de Siège.

Il y a de cela une bonne quinzaine d’années, début juin, le TNN organisait chaque année la « Quinzaine des compagnies » dont le but était de présenter au public des travaux de jeunes compagnies de la région Paca, choisies après sélection et discussions homériques.
Pourquoi vous parlé-je de cela ? Parce que, je ne me rappelle plus l’année, la Compagnie Act’Libre, compagnie du comédien et metteur en scène Emilien Urbach, jouait, dans le cadre de cette quinzaine, cet Etat de Siège … aux Arènes de Cimiez.
Dans une interview donnée à Paris-Théâtre, en 1958, Camus disait « J’aimerai voir L’Etat de siège en plein air ». Le critique de théâtre Morvan Levesque appelait aussi de ses vœux une représentation en plein air. Le choix scénique de la compagnie Act’Libre apparaissait donc comme pertinent. Etait-ce dû au choix de ce lieu, le travail d’Act’Libre était impressionnant d’inventivité et de recherche.
En relisant L’état de siège, je m’aperçois avec stupeur qu’elle colle pile poil avec la situation et l’état que nous venons de vivre, à la situation et au mot prés. Je donnerai des exemples.
Mais quid de cette pièce ? Une ville apparemment paisible, où tout semble figé est soudain plongée dans la terreur avec l’arrivée de la peste. Incarnée par un homme ambitieux, cette peste oblige à instaurer l’état de siège, ce qui apporte l’ordre, le contrôle et la surveillance.  L’état de siège proclamé, la terreur s’installe. Jusqu’à ce que la révolte, incarnée par Diego,  s’organise…
Malgré son sujet grave, L’État de siège est une pièce légère car les traits des personnages sont exagérés, voire tournés en dérision. Elle pose la question suivante : que se passe-t-il quand la peste, personnifiée sous les traits d’un jeune opportuniste, prend le pouvoir dans un pays où rien ne bouge ?
Écrite au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la pièce dénonce le fonctionnement des régimes totalitaires en démontant le mécanisme de soumission de la peur. Le discours de Camus est universel. Il veut avant tout prévenir contre un éventuel retour de ce type de régime. Il aborde ainsi les thèmes de la résistance, de la révolte et de la liberté  comme garde-fou contre la manipulation, la résignation, la soumission, la passivité… Repousser ce danger suppose des concessions politiques, sociales, ou même — semble-il — privées.
La pièce n’a pas été très bien accueillie au départ par la critique, qui s’attendait à une adaptation du roman La peste. Camus en était pourtant fier, d’autant qu’il a pu considérer cette œuvre comme « un des écrits qui [lui] ressemble le plus ». Il déclarait à son propos : Mon but avoué était d’arracher le théâtre aux spéculations psychologiques et de faire retentir sur nos scènes murmurantes les grands cris qui courbent ou libèrent aujourd’hui des foules d’hommes.
Voilà ce qu’en dit Laurent Chollet, écrivain et éditeur né à Nice en 1965, auquel on doit  L’Insurrection situationniste, Dagorno, 2000, que je recommande chaudement.
Annoncée par des phénomènes cosmiques, La Peste fait son entrée dans la ville, jusque là paisible, sous les traits d’un dictateur, ayant conquis – avec son accord – le pouvoir du gouverneur, accompagné de sa secrétaire la Mort. Il impose des mesures comminatoires et interdictions diverses pour combattre le fléau, instaurant un climat de peur avec de nouvelles lois que “ personne ne comprend plus ”. Une situation qui étouffe, blesse, divise, les habitants appelés à la soumission par le nouveau pouvoir, mais suscite aussi la résistance et la révolte… A travers, les expressions et contours de ses différents personnages, Camus tisse une allégorie en forme de réquisitoire contre les effets du fascisme et du totalitarisme, avec la volonté de créer “ un spectacle dont l’ambition avouée est de mêler toutes les formes d’expression dramatique depuis le monologue lyrique jusqu’au théâtre collectif, en passant par le jeu muet, le simple dialogue, la farce et le chœur ”.
Je crois que c’est l’écriture même de la pièce qui a du surprendre les spectateurs de 1948, écriture qui est en pleine « modernité. » On est loin de la règle des trois unités : «Qu’en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli».  L’écriture de L’état de siège  se caractérise par : le mélange des genres; une utilisation de tous les registres, du «grotesque» au «sublime»; une multitude des personnages de conditions variées; une grande liberté de langage des personnages, en accord avec leur rang social; une action foisonnante. Il y a presque une forme de théâtre différent pour chaque scène : les codes qui déterminent les genres sont contestés, ainsi que les notions de personnages et d’action théâtrale. Après Alfred Jarry et Antonin Artaud, Beckett, Ionesco et Genet bouleversent le jeu dramatique traditionnel.
On rattache le théâtre de Camus au théâtre de l’absurde, style de théâtre apparu au xxe siècle,  qui se caractérise par une rupture totale avec des genres plus classiques, rupture qui se traduit par exemple par un manque total de continuité dans les actions. C’est un genre traitant fréquemment de l’absurdité de l’Homme et de la vie. L’essai de Martin Esslin publié en 1961, où l’expression théâtre de l’absurde devient célèbre, définit ce type de dramaturgie en l’analysant à la lumière des écrits d’Albert Camus, et notamment du Mythe de Sisyphe qui portent sur l’absurdité de l’être.
Quant à l’absurde, je le lis dans l’organisation bureaucratique tatillonne (si tant est que cela ne soit pas une redondance, c’est un ancien fonctionnaire qui vous parle. Dans Le théâtre et la peste, in Le théâtre et son double, Antonin Artaud écrit : La peste établie dans une cité, les cadres réguliers s’effondrent, il n’y a plus de voirie, d’armée, de police, de municipalité. Dans la pièce de Camus, bien au contraire, voirie, armée, police et municipalité instaure à l’excès un nouvel  ordre. Mais est-il si nouveau que ça ? N’est-il pas une exagération de l’ancien.
Les quartiers sont plus contaminés qu’on ne le croit, ce qui m’incline à penser qu’il faut dissimuler la situation et ne dire la vérité au peuple à aucun prix.
-Un certificat d’existence ? Pourquoi faire ? …
-… Le grand principe de notre gouvernement, c’est qu’on a toujours besoin d’un certificat…. Une attestation en règle, et qui certifie n’importe quoi, voilà ce dont on ne saurait se priver !
S’il y a une œuvre comparable, c’est Rhinocéros, d’Ionesco créé à Paris à l’Odéon le 20 janvier 1960 dans une mise en scène de Jean Louis Barrault.(Comme L’Etat de siège) Œuvre emblématique du théâtre de l’absurde, la pièce dépeint une épidémie imaginaire de « rhinocérite », maladie qui effraie tous les habitants d’une ville et les transforme bientôt  en rhinocéros, Elle aborde les thèmes du conformisme et de la résistance au pouvoir politique.
Jean Grenier, ancien professeur de philosophie et amis de Camus, n’a pu assister aux représentations. Camus lui envoies la pièce. … Elle est écrite dans une langue très pleine, dans un style très direct et qui porte, et l’émotion doit se communiquer au spectateur et à l’acteur. Peut-être est on un peu dérouté par le chevauchement des fléaux : épidémie, bureaucratie, collaboration. – A la lecture cela paraît naturel. Jean Grenier
A la lecture. Cette pièce se lit, se délecte, s’enthousiasme à la science de l’écriture et du passage d’un théâtre à l’autre. Et le lecteur peut se mettre à rêver à sa mise en scène  idéale. Il faut imaginer Sisyphe et le lecteur heureux. Je ne saurais que vous en recommander la lecture : L’Etat de Siège, d’Albert Camus, collection Folio Théâtre.
L’État de siège date de 1948. En 1949, sort 1984, d’Orwell. Les créateurs nous envoie des « messages in a bottle ». Savons-nous les déchiffrer ? Quel théâtre se risquera, se hasardera, prendra son courage à deux mains pour lancer au public L’État de Siège ? La réponse est dans  la programmation d’Anthéa, à Antibes! L’État de Siège est programmé du 17 au 19 novembre.

Je vous rappelle qu’un livre s’achète dans une librairie, et  nulle part ailleurs. Au demeurant,  la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite loi Lang, instaure le prix unique du livre en France.  Vous achèterez donc au même prix cet ouvrage dans une librairie, ce que je vous recommande vertement, que sur la plateforme d’une entreprise de commerce électronique dont je ne veux pas me souvenir du nom.

 

Jacques Barbarin

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