Le hasard fait bien mal les choses… Jean-Loup Dabadie est décédé dimanche, à 81 ans, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le jour même où la télévision rediffusait Les Choses de la Vie de Claude Sautet en Hommage à Michel Piccoli. Il en a écrit le scénario, ainsi que les paroles de La Chanson d’Hélène qui accompagne le film.

Je me souviens que pour Jean-Loup Dabadie Les Choses de la Vie a marqué le début d’une étroite collaboration avec Claude Sautet. Il a été par la suite le scénariste de Max et les Ferrailleurs, César et Rosalie, Vincent, François, Paul… et les autres, Une histoire simple, Garçons ! Gilles Jacob (ancien critique, président du Festival de Cannes et proche) l’a souligné : «Dabadie a comblé le public du cinéma français des années 70/80: les femmes (Romy), les mecs, les bistrots, les bagnoles, les week-ends. Jean-Loup adoucissait le pessimisme de Claude par un moelleux d’écriture et le charme délicieux d’un homme doué pour le bonheur.»
Je me souviens que Jean-Loup Dabadie, fils de parolier (son père, Marcel Dabadie fut lui-même parolier pour Maurice Chevalier et Les Frères Jacques), est né à Paris en 1938. Il a poursuivi ses études à Paris, au Lycée Janson de Sailly, au Lycée Louis-Le-Grand, puis en fac des Lettres. Passionné par l’écriture, il écrit un premier roman à 19 ans, Les Yeux secs, qui est publié en 1957, puis un second, Les dieux du foyer, qui paraît un an plus tard. En parallèle, il semble s’orienter vers une carrière de journaliste, encouragé par Pierre Lazareff, patron de presse, lequel lui suggère un jour d’écrire pour le théâtre…
Je me souviens que cette idée a fait son chemin dans l’esprit de Jean-Louis Dabadie. Exit le journalisme. Dans un premier temps, il écrit des sketches pour la télévision où il fait équipe avec le trublion Jean-Christophe Averty. En 1962, il envoie deux sketches à Guy Bedos qu’il a vu à la télévision : Bonne Fête, Paulette et Le Boxeur. C’est le commencement d’une longue collaboration. En 1967, sa première pièce, La Famille écarlate est mise en scène par Gérard Vergez au Théâtre de Paris, quand Serge Reggiani lui demande d’écrire une chanson pour lui. Ce sera Le Petit Garçon. « C’est la chanson que j’ai écrite le plus rapidement de ma vie dira Jean-Loup Dabadie. Comme j’avais une formation de dramaturge, je n’ai eu que le réflexe de me raccrocher à l’image que j’avais de ce grand acteur. J’ai écrit cette chanson en forme de scénario et j’ai toujours fait ça après dans ma vie. »

Je me souviens qu’il va devenir dès lors un « touche-à tout des lettres », un «alchimiste des mots qui dansent» (selon la formule de l »ancien Ministre de la Culture, Jack Lang), écrivant des sketches, des paroles de chanson, des pièces de théâtre, des adaptations théâtrales, des dialogues, des scénarios de film, et qui a fait sienne ses deux phrases d’écrivains célèbres : « On n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, une opiniâtreté fanatique et dévouée » (Gustave Flaubert) et « Ecrire, c’est l’horreur. Ne pas écrire c’est la terreur »(Arthur Adamov).
Je me souviens que Jean-Loup Dabadie, parolier, a continué à écrire pour Serge Reggiani, mais aussi pour Michel Polnareff (Tous les bateaux, tous les oiseaux, On ira tous au paradis), Barbara (Marie Chenevance), Juliette Greco (Ta jalousie), Marie Laforêt (La Ballade de Clérambard), Jacques Dutronc (Mais surtout sentimentale), Nicole Croisille (Au revoir et merci), Julien Clerc (L’Assassin assassiné, Femmes je vous aime), Robert Charlebois (Nuage n°9), Nicoletta (Un Homme) et bien d’Autres.
Je me souviens également qu’il a écrit les dernières chansons d’Yves Montand (dont L’Addition) et qu’il a prêté sa plume à Jean Gabin pour Maintenant Je sais.
Je me souviens de Jean-Loup Dabadie homme de théâtre. Il a travaillé à de nombreuses adaptations de pièces de théâtre et, Après La Famille écarlate, il a écrit également le texte de D’Artagnan, d’après Alexandre Dumas, pour Jérôme Savary, une autre pièce, Je ne suis pas un homme facile, avant de participer à Fans, je vous aime ! avec Pierre Palmade, Henri Mitton et Sylvie Joly.

Je me souviens de Jean-Loup Dabadie, scénariste et dialoguiste, écrivain du cinéma. Outre la complicité et l’amitié qui le liaient à Claude Sautet, il faut ajouter celles qu’il entretenait avec Yves Robert (Clérambard, Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis, Courage fuyons, Le Bal des casse-pieds). Par ailleurs, il a travaillé avec Philippe de Broca (La Poudre d’escampette), Jean-Paul Rappeneau (Le Sauvage), Claude Pinoteau (La Gifle), François Truffaut (Une belle fille comme moi) ou Francis Girod (Descente aux enfers).
Je me souviens que Jean-Loup Dabadie était un passionné de rugby et surtout de tennis. Habitué de Roland-Garros, il le pratiquait également… ce qui n’a pas manqué de l’inspirer dans deux scènes mémorables de Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis.
Toujours pour le cinéma, il venait de terminer l’adaptation d’un roman de Georges Simenon, Les volets verts, dont le premier rôle devait être tenu par Gérard Depardieu.
Malgré les récompenses, le Grand prix Vincent-Scotto en 1972, le Grand prix de la Sacem en 1984, le Grand prix de la chanson française en 2000 et une Victoire de la musique d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2009, je me souviens qu’il n’a jamais reçu le César du meilleur scénario original ou adaptation malgré trois nominations…
Aussi, son élection à l’Académie Français en avril 2018, est une forme de reconnaissance (…tardive) et une (mini) révolution pour la vénérable institution, puisque la dernière personnalité du monde du cinéma reçue était René Clair en 1962 !
Quelques jours avant son élection, un hebdomadaire allait même jusqu’à se poser la « les immortels étaient-ils prêts à accueillir un saltimbanque ? »
Je me souviens de la réponse de Michèle Stouvenot dans « Le Journal du Dimanche » :« (…) que les pisse-vinaigre se rassurent. Ce n’est pas l' »amuseur », le charmeur aux yeux bleus, à l’écharpe blanche, aux polos Lacoste, l’auteur et le parolier comblé, le scénariste de comédies, pièces ou sketches à succès, qu’ont élu les académiciens. Non, c’est le dandy de l’accent circonflexe, le Mozart des guillemets, à qui Hervé Bazin, son premier Salieri, reprochait « trop de virgules », le défenseur de l’apostrophe, la Jeanne d’Arc boutant les anglicismes, qu’ils ont récompensé » (« Un immortel au paradis » – 8 mars 2009).
Je me souviens de cet extrait du discours prononcé par Frédéric Vitoux (écrivain et critique littéraire) lors de la réception de Jean-Loup Dabadie à l’Académie française le 12 mars 2009 : « La tendresse, la nostalgie, l’élégie, les amours déçues ou perdues, la beauté des femmes, elles ont été par vous mises en vers avant d’être traduites en musique. Dans vos films, en revanche, règne le plus souvent un monde d’hommes. D’hommes au pluriel, des amis, des copains, des complices, qui plaisantent, qui s’affrontent, se défient, se jalousent, se quittent, se retrouvent, s’entraident et évitent avec plus ou moins de bonheur les écueils de la vie ou les pièges de l’amour. »
Je me souviens que Guy Bedos avait cette formule : «Les textes de Dabadie ne sentent jamais le papier», que Jane Birkin commentait : « Il a su se glisser dans tous nos personnages et faire croire que c’était nous », que Pascal Jardin, romancier (Grand Prix de l’Académie française avec Le Nain Jaune) mais aussi scénariste prolifique (les Angélique, Classe tous risques, La Horse, Le Chat, Le Vieux Fusil, Borsalino & co…), soulignait :« Prenez les histoires et les dialogues que Jean-Loup écrit pour Claude Sautet, mettez-les dans un shaker, agitez puis versez : vous avez les films d’Yves Robert, tout le monde éclate de rire », que Michel Piccoli l’appelait le « mélancomique » et que Michel Audiard a dit de lui : « Le môme Dabadie, il est bien le seul à ne m’avoir jamais fait les poches ».
« On ira tous au paradis même moi »… nous en étions convaincu Monsieur Dabadie et il est certain que l’on vous dira, comme à l’Académie Française le 12 mars 2009 : « Soyez le bienvenu parmi nous ! ». Pour notre part, nous savions déjà que vous étiez immortel, bien avant d’avoir endossé l’habit vert. Merci à Vous.
A voir également
Jean-Loup Dabadie au micro de Jacques Chancel (Radioscopie – Archive INA – Audio -12 février 1971 – 46mn)
Jean-Loup Dabadie, Les chansons de ma vie (L’Invité de Patrick Simonin – TV5 Monde – 2 avril 2015 – 28 mn)
Jean-Loup Dabadie, Journée internationale de la francophonie (RFI – 20 mars 2017 – 35mn)
Philippe Descottes
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