Lady Paname s’en est allée…

Suzy Delair (de son vrai nom Suzanne Pierrette Delaire) est décédée dimanche 15 mars, à 102 ans, dans la maison de retraite où elle s’était retirée.
Fille d’une couturière et d’un artisan, elle est née à Paris, dans le XVIIIe arrondissement, le 31 décembre 1917.
Je me souviens que, d’abord arpette (apprentie modiste) dès l’âge de 13 ans, elle réalise rapidement son rêve de jouer la comédie. Adolescente, elle fait de la figuration au cinéma et au théâtre, mais elle a une autre corde à son arc : elle chante également. Aussi, c’est au music-hall sur la scène des Bouffes-parisiens, de Bobino, de l’Européen, des Folies bergères et au cabaret qu’elle connaît le succès.
Sa carrière au cinéma a pris une autre dimension au début des années 40 avec la rencontre de Henri-Georges Clouzot, dont elle devient la compagne. En 1941, elle est Mila Malou l’encombrante petite-amie de l’inspecteur Wens, joué par Pierre Fresnay, dans Le Dernier des six de Georges Lacombe sur un scénario de Henri-Georges Clouzot. Ce dernier passe à la réalisation, Suzy Delair reprend alors le personnage de Mila Malou et fait de nouveau équipe avec Pierre Fresnay dans L’Assassin habite au 21 en 1942.

Je me souviens que cette même année son parcours a été marqué par une ombre. A la demande d’Alfred Greven, directeur de la Continental Films, société de production française mise en place par les Allemands durant l’Occupation, avec d’autres artistes, forcés ou consentants, Junie Astor, Danielle Darrieux, René Dary, Albert Préjean et Viviane Romance, elle entreprend un voyage en Allemagne et en Autriche (Berlin, Munich, Vienne) pour visiter les studios cinématographiques de la UFA. A la Libération, malgré ses déclarations pro-allemandes, elle n’écopera que de trois mois de suspension par les comités d’épuration. Arletty et Albert Préjean en prendront six et Charles Trenet, dix. D’autres passeront au travers…

Je me souviens qu’en 1947 elle est Jenny Lamour, une petite chanteuse de cabaret, dans Quai des Orfèvres, réalisé par Henri-Georges Clouzot. Elle a pour partenaire Louis Jouvet et Bernard Blier. Le film lui apporte la consécration et, pour le public, son nom va être associé à tout jamais à cette chanson :
« Avec son tra-la-la
Son petit tra-la-la
Elle faisait tourner toutes les têtes… » .
Je me souviens que c’est à Nice, en février 1948, que s’est tenu le premier festival de jazz au monde. Lors de la soirée de clôture, au Negresco, Suzy Delair chanta « C’est si bon » devant Louis Amstrong, vedette incontestée de cette première édition. « Satchmo » reprit la chanson peu de temps après pour en faire un succès mondial…
En 1950, le scénariste Henri Jeanson, lui donnera un très beau rôle dans son unique film en tant que réalisateur, Lady Paname. dans lequel elle retrouve Louis Jouvet.
Cette année-là, elle commence le tournage d’Atoll K de Leo Joannon. Elle tient le rôle féminin principal face au duo burlesque Laurel et Hardy dont ce sera le dernier film ensemble.
Je me souviens que le cinéma l’a pratiquement oublié dans les années 1960. Mais Suzy Delair se produit beaucoup au théâtre. Elle interprétera notamment, à plusieurs reprises, La Vie parisienne de Jacques Offenbach, livret Henri Meilhac et Ludovic Halévy, mise en scène par Jean-Louis Barrault.

Elle fera son retour au cinéma en 1973 sous la direction de Gérard Oury qui lui confie le rôle de la dentiste Germaine Pivert, l’épouse de Victor Pivert, joué par Louis de Funès, dans Les Aventures de Rabbi Jacob.
Au début des années 1980 Suzy Delair déclarait :« On me fait trop rarement travailler. Sans doute me fait-on payer à la fois de ne pas appartenir à des chapelles, les aventures masculines auxquelles j’ai parfois sacrifié ma carrière et, surtout, mon refus de flirter quand il aurait fallu le faire. » (**)
C’est au cours de cette décennie que la télévision se souvient d’elle et lui offrira quelques rôles dans des séries (Le Mythomane, L’Age vermeil, Traquenards).
Je me souviens que le romancier, essayiste et critique musical et littéraire Benoît Duteurtre, qui était un ami, a écrit dans Le Point (*) : « Quant à tous ceux qui la connaissaient, ils ne sont pas près d’oublier le tempérament de cette Parisienne à l’esprit rapide, aux mots bien trouvés, à l’amitié exigeante et fidèle, et à la mémoire extraordinaire qui résumait un siècle d’histoire du spectacle. Peut-être était-elle (…) la dernière représentante d’un type de Parisienne populaire, piquante, insolente, vivant pour la scène mais aussi pour l’amour, comme l’avaient été Mistinguett ou Yvonne Printemps. »

Dans le portrait qu’il dressait d’elle dans Le Point (**), Jean-Noël Mirande soulignait : « C’est une artiste curieuse, exigeante, intransigeante parfois, qui n’opte pas pour le compromis. Ce qui fit dire à certains qu’elle avait mauvais caractère. Peut-être a-t-elle tout simplement du caractère. »
Je me souviens qu’elle avait été agacée en voyant le titre d’un article qui lui était consacré après la disparition de Danielle Darrieux et intitulé « La doyenne ». A juste titre, car la doyenne des comédiennes françaises se nomme Renée-Jeanne Deneuve, connue également sous le nom de Renée Simonot, la mère de Françoise Dorléac et de Catherine Deneuve, aujourd’hui âgée de 108 ans.
(*) Le Point du 16 mars 2020
(**) Le Point du 31 mars 2012
Voir également :
Extrait du Dernier des six de Georges Lacombe (1mn48)
Extrait de L’Assassin habite au 21 d’Henri-Georges Clouzot
Extrait de Lady Paname de Henri Janson (2mn05)
Suzy Delair invitée d’Antenne 2 Midi (15 février 1981 – A2/Ina – 6mn45)
Philippe Descottes
Quel dommage sue cette légende n’ait pas ecrit ses mémoires qui eussent été passionnants et emplis de verve et quand on sait sa phénoménale mémoire, on ne peut que le regretter. N’y a-t- elle jamais songé ?
C’était une « oseille » comme on disait à l’époque, une petite voix minuscule. Quand HGC la vit lors d’une revue de l’ABC, il fit une croix sous nom sur son programme.
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