Tonie Marshall s’est éteinte jeudi 12 mars, à 68 ans, emportée par la maladie.

Je me souviens qu’elle est née à Neuilly-sur-Seine le 29 novembre 1951. Franco-américaine elle est la fille de la comédienne Micheline Presle et de l’acteur et réalisateur William Marshall.
Je me souviens qu’elle a grandi à côté du Studio des Ursulines, salle de cinéma historique du Quartier Latin à Paris. Dans un entretien accordé à Télérama en 1994, Tonie Marshall racontait : « Quand j’étais petite, ma mère m’emmenait voir des films, pas forcément de mon âge d’ailleurs. En plus, j’habitais dans la maison qui jouxtait le studio des Ursulines. J’étais copine avec l’ouvreuse donc après l’école elle me faisait entrer. Et je voyais des Bergman, des Godard, des Mizoguchi, des Eisenstein. J’avais 10 ans : je ne comprenais rien, mais je regardais. J’écoutais, aussi : ma chambre donnait sur une cour très étroite. Avec les beaux jours, le projectionniste des Ursulines ouvrait la porte et me faisait entendre le film.»(1) Après des cours de danse elle suit ceux d’art dramatique de Jean-Laurent Cochet.
Je me souviens qu’elle a débuté au cinéma dans les années 70. Avec What a Flash ! de Jean-Michel Barjol (1972), suivie de L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973). Dans sa filmographie d’actrice, qui comporte une vingtaine de titres, elle a souvent travaillé sous la direction de cinéastes qui malmenaient les règles du cinéma traditionnel, comme Gérard Frot-Coutaz (Beau Temps mais orageux en fin de journée, 1986), Jacques Davila (Qui trop embrasse, 1986, et La Campagne de Cicéron, 1990) ou encore, Jean-Claude Biette (Le Champignon des Carpathes, 1988, Chasse gardée, 1993).
Je me souviens également qu’elle a été « coach sportive » et Tante Aline dans Merci Bernard une mémorable série humoristique de Jean-Michel Ribes, diffusée sur… FR3 (!) dans les années 80. Jean-Michel Ribes qu’elle retrouvera dans Palace (1988/89 – C+), mais aussi sur les planches où elle joue dans Batailles de Roland Topor et Jean-Michel Ribes, mais aussi au cinéma (Rien ne va plus, Musée haut, musée bas).
Pourtant, « Je savais que je ne serais jamais une star, se confiait-elle. Ce n’était pas mon objectif, au demeurant. J’adore jouer, mais je n’aime pas donner des autographes, je déteste qu’on me reconnaisse dans la rue, j’ai horreur des séances de photos… »

Aussi, je me souviens qu’en 1989 elle passe derrière la caméra et réalise Pentimento, une comédie qui permet de révéler un certain Antoine de Caunes. Tonie Marshall aura réalisé 14 films (courts, longs, fictions, documentaires) dont deux avec son amie d’adolescence Anémone (Pas très catholique, Enfant de salaud). En 1998, elle tourne Vénus Beauté (Institut) . Le film, son plus grand succès, porté par Nathalie Baye, Audrey Tautou, Bulle Ogier, Emmanuelle Seigner, sans oublier Micheline Presle, Claire Nebout, Hélène Fillières, Brigitte Rouan, Claire Denis et Emmanuelle Riva, remportera quatre César en 2000, dont celui de la meilleur réalisation. Elle a été la première femme à décrocher le César du… Meilleur Réalisateur et demeure toujours la seule à ce jour. Lorsqu’on lui a fait remarquer, Tonie Marshall a répondu : « … le cinéma reste un cas à part selon moi. Je n’ai jamais entendu dire qu’un film ne se montait pas parce qu’il était fait par une femme. Je me souviens que Daniel Toscan du Plantier disait que deux mouvements avaient été prépondérants dans le cinéma français : la Nouvelle Vague et l’arrivée en masse des femmes dans le cinéma français à la fin des années 80. Je ne peux pas dire le contraire… Cela bouge aussi au niveau de la technique, avec des filles chef opératrices, machinos…La France est le pays où il y a le plus de réalisatrices femmes. Plus il y en aura, mieux ce sera même si je ne suis pas pour autant d’accord avec l’appellation « films de femmes ». Si tu es cinéaste, peu importe que tu sois homme ou femme… Ce qui importe surtout, ce sont les sensibilités, et la diversité ».

Habituée à la comédie, Tonie Marshall est venue au drame avec son dernier film Numéro Une (2017) dans lequel elle évoque la bataille d’une ingénieure, interprétée par Emmanuelle Devos, pour prendre la tête d’une entreprise du CAC 40. « Tout ce qui est dans le film est très réaliste », confiait-elle au moment de la sortie. « Ce que le film montre se déroule dans tous les milieux, ce sont les même réflexes et la même misogynie que l’on retrouve partout. Aussi bien la misogynie frontale, mais aussi, et cela me semble encore pire car plus insidieux, la misogynie paternaliste, « bienveillante », qui relève d’avantage de l’inconscient et de l’envie de bien faire. Mais elle est nettement plus forte dans ce milieu, et le symbole y est encore plus lisible dans ce secteur où les femmes sont sous représentées. Là, on ne peut pas dire qu’une femme ingénieure a couché pour réussir, elle a forcément travaillé cent fois plus pour en arriver là » (2).

Engagée, la scénariste et réalisatrice était membre du collectif 50/50 en faveur de l’égalité entre hommes et femmes dans le cinéma. Elle a été à l’initiative du port du ruban blanc lors de la cérémonie des César en 2018 pour lutter contre les violences faites aux femmes, en association avec la Fondation des Femmes.
Je me souviens que Tonie Marshall attendait du cinéma: « des films ni morts ni mornes. (…) des films qui vous permettent, en sortant de la salle, d’aller un tout petit peu moins mal, de vivre un tout petit mieux ».
Une Grande Dame s’en est allée 😦
Quelques hommages :
Nathalie Baye : « Très chère Tonie, ma tristesse est bien grande. Tu vas nous manquer cruellement. Toi qui jusqu’au bout n’a pas manqué une projection de film, qui a gardé sa passion pour le cinéma intacte, avec qui j’ai tourné trois films. Oui, ne plus te voir, t’entendre, va m’être bien douloureux. Bravo pour ton travail, bravo pour tout ce que tu as fait, bravo pour avoir été la seule femme à avoir reçu le César de la meilleure réalisatrice pour Venus Beauté. Bravo pour la femme, la mère, l’amie que tu as été. Tendrement. Nathalie »
Julie Gayet : « Tonie, tu vas terriblement me manquer. Toi… qui nous as toutes accompagnées dans l’ombre, qui avais aussi à cœur de rassembler, de fédérer, tu étais un pilier. On savait qu’on pouvait compter sur toi. Tu seras toujours à nos côtés. Mes pensées vont vers les tiens. »
Antoine de Caunes : « Bye bye, ma vieille copine… RIP »
Gilles Jacob, Président honoraire du Festival de Cannes : « Quelle tristesse! Elle était vive, rieuse, chaleureuse, folle de cinéma et de la vie. Une belle et bonne personne. Toute mon affection à Micheline Presle, sa mère« .
Jean-Michel Ribes : « Elle ne m’a jamais rendu triste. Elle était très courageuse, batailleuse et très drôle. Très engagée et légère et toujours bienveillante, jamais donneuse de leçons avec des idées, un vrai point de vue. »
Arte lui rendra hommage ce lundi 16 mars à 20h55 en diffusant Vénus Beauté (Institut)
(1) Entretien avec Tonie Marshall (Télérama – 02/03/2018)
(2) Entretien avec Tonie Marshall (Rolling Stones – 2017)
Cérémonie des César 2000 – Académie des César – 3mn40)
La bande annonce de Vénus Beauté (Institut) (2mn41)
La bande annonce de Numéro Une (Pyramide/Mme Figaro – 1mn43)
Rencontre avec Tonie Marshall (Hub Forum – 18/10/2017 – 9mn19).
Philippe Descottes
[…] qui a permis à Jean-Claude Biette, Marie-Claude Treilhou, Claudine Bories, Gérard Frot-Coutaz ou Tonie Marshall de passer à la réalisation. Après avoir arrêté le cinéma en 1999, il est revenu sur sa […]
[…] Burton, Geneviève Bujold et Irène Papas. OCS Géants à 20h40– Vénus beauté (Institut) de Tonie Marshall (Comédie dramatique – 1999 – 1h45). Patronne d’un institut de beauté d’un […]
[…] son choix très rapidement après avoir vu Audrey Tautou sur l’affiche de Venus Beauté de Tonie Marshall, « son visage de petit elfe avec ses grands yeux […]