(partie I)
Ami lecteur, lors de notre dernière causerie, nous avons abordé un thème un peu particulier, celui des funiculaires niçois dont deux exemplaires existaient autrefois dans les quartiers Carabacel et Désembrois (son prolongement). Carabacel est un quartier un peu oublié, nous allons essayer de le décrire plus en détail, il le mérite bien. Les édiles niçois, au 19eme s, voulaient faire de cet endroit un ensemble de domaines fleuris occupé par le gotha d’une société européenne de très haut niveau, désireuse de passer l’hiver dans cet endroit alors enchanteur, éloigné de toutes les turpitudes de la ville, avec un bon air, un voisinage huppé composé de tout un panel de nationalités. En ce lieu, pas de magasins, pas d’ateliers, pas de boutiques, rien que de belles demeures. Les commerces étaient d’ailleurs inutiles ici puisque les riverains étaient résidents dans des hôtels où tout était organisé pour leur séjour, aucune «course» à faire, tout était sur place et les maisons de maître avaient des domestiques.Tout va débuter à partir de 1865 où, sur ces terres l’on chassait la bécasse il y a peu, va apparaître en premier lieu un large boulevard rectiligne très vite bordé de platanes, ceci dès 1865. Le boulevard Carabacel était né. Aujourd’hui, l’atmosphère n’est plus aussi idyllique malheureusement mais il reste tout de même encore quelques beaux témoins de cette Belle Epoque à jamais révolue.
En abordant le boulevard depuis la place Jean-Moulin on remarque immédiatement sur la colline à droite, à mi-hauteur, un vaste bâtiment surmonté d’un clocher effilé et, plus haut l’imposante silhouette de l’ancien hôtel Hermitage dont nous avons déjà parlé lors de la relation précédente.
Le «vaste bâtiment» est l’ancien couvent des religieuses du Saint-Sacrement dont la maison mère est à Valence actuellement. Cette congrégation (implantée à Nice en 1864) étaient dédiée autrefois à l’éducation des jeunes filles «de qualité», fonctionnait en pensionnat ou demi-pensionnat. Elle a souffert des lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat dès 1903, et a cessé sa mission juste après 1905. L’entrée du bâtiment se trouvait sur le chemin St Charles. Elle est toujours visible de nos jours mais toute activité a cessé depuis quelques années. L’établissement avait été transformé en maison de retraite vers 1950 puis en EPHAD lequel a finalement été fermé récemment (2 ans environ) lui aussi.Le coût des rénovations obligatoires était bien trop prohibitif. Il existait aussi une annexe de la congrégation à Gairaut (l’école à la campagne!) et une autre au Cannet.
Au dessus de cet ancien couvent, sur la colline, le grand bâtiment, ancien hôtel de l’Hermitage devenu luxueuse copropriété après la guerre de 39/45 accroche le regard. Cet hôtel avait été crée par Alexandre Agid, d’origine polonaise, vers 1904 et construit sur l’emplacement et à partir d’un couvent de religieuses Ursulines (arrivées à Nice en 1868 et qui partiront en 1905 à San Remo puis Bordighera). Après une remise à niveau par l’architecte Ch.Dalmas, l’établissement ouvre en 1906 avec 140 chambres toutes pourvues de salles de bain, un luxe pour l’époque! Comme beaucoup d’autres hôtels niçois il a servi d’hôpital militaire pendant la Grande Guerre. On y accédait commodément avec un funiculaire à deux cabines, actif jusque vers 1955 et accessible au N°22 du boulevard (cf article précédent).
Revenons justement sur le bd Carabacel et nous noterons sur sa rive sud la présence des établissements Véran & Costamagna spécialisés en matériaux de construction.
Curieux me direz-vous! Cette nouvelle voie ne devait-elle pas être exempte de tout site industriel polluant afin de lui conserver intact son côté campagnard (de luxe!)?
En fait tout vient d’un certain Antoine Véran, cultivateur à Cimiez à la fin du 19eme s qui décide d’abandonner la terre pour s’orienter vers la vente de matériaux de construction, activité bien plus lucrative à l’époque vu le «boom» immobilier sur la Côte d’Azur d’alors. Il fonde un dépôt rue Penchiennati puis sur le quai St Jean-Baptiste. Les travaux du Pont Barla vont l’amener à quitter ce site et, en compensation, il est exceptionnellement autorisé à se transférer au tout début du Bd Carabacel. Antoine a un fils Charles qui lui succède à la tête de l’entreprise et lui donne son nom inscrit sur la façade.Vers 1926, Caroline, la fille de Charles Véran, épouse Barthélémy Costamagna, dirigeant d’une briquetterie dans le Var et cela conduit tout naturellement à l’association des deux familles qui vont gérer avec talent l’enseigne bien connue partout de nos jours. Une annexe «Bricolage» complète l’activité du site.
Toujours sur la même rive existait autrefois au niveau des N°27-29 de la voirie un oratoire de franciscains, la chapelle St Joseph, aujourd’hui disparue, remplacée par un immeuble d’habitation sans caractère. Cet oratoire était, jusqu’aux années 1980 l’antenne urbaine des moines franciscains Observantins de Cimiez. Il fut précédé par un autre lieu de culte situé en vieille ville, dans la rue St Joseph, près de la chapelle de la Ste Croix (niche-oratoire encore visible). Ce sanctuaire primitif très dégradé en 1870, fut démoli et remplacé par celui de Carabacel, disparu à son tour vers 1980. Il a connu lui aussi pas mal de vicissitudes, en particulier au début du 20ème s avec la crise religieuse due à la séparation houleuse de l’Eglise et de l’Etat (en mai 1903: apposition de scellés sur le bâtiment et 3 arrestations!).
Sur le même trottoir, un peu plus loin, au N°35, un immeuble cossu Belle Epoque affiche deux plaques commémoratives sur son entrée surmontée d’une belle marquise. Elles rappellent le souvenir de Pierre Dévoluy (1862-1932), polytechnicien, officier du Génie, il finit sa carrière comme colonel. Il intègre dès 1894 le Felibrige fondé – entre autres- par F.Mistral et J.Roumanille devient majoral en 1900 puis capoulié jusqu’en 1909. Il le réorganise en 1905 dans le but d’en faire un vaste mouvement d’éducation aux valeurs de la langue et de l’histoire occitane. Ecrivain, il publie une trilogie «La Cevenne embrasée», se faisant romancier au service de la cause protestante. Il prendra sa retraite à Nice après avoir exercé plusieurs fonctions dont celle d’adjoint au maire Jean Médecin, de collaborateur au journal l’Eclaireur de Nice. Il a aussi participé à la création du CentreUniversitaire Méditérranéen (C.U.M.) et a plusieurs journaux et revues d’expression provençale. Il a écrit un petit livre «La nationalité de Nice», édité en 1939 après son décès, qui démontre indubitablement que Nice n’a jamais été italienne quoiqu’en puisse dire certains.
Ami lecteur, le sujet abordé aujourd’hui, vous le voyez, est suffisamment consistant pour que je vous donne rendez-vous une prochaine fois pour achever de le développer en décrivant quelques beaux aspects de ce boulevard chargé d’histoire.
Yann Duvivier
Mars. 2020
Sources:
- «Nice quartiers», Carabacel, avril 2002.
- Internet Wikipedia.
- Photos et CPA: Yann Duvivier.
- Bibliothèque de Cessole.