2019 aura été l’année du centenaire des Studios de la Victorine…
Je me souviens que le 28 février 1896, deux mois après la séance au Grand Café à Paris, Nice a découvert le cinéma. Après les frères Lumière, venus filmer le Carnaval, les Niçois ont vu débarquer, quelques années plus tard, les pionniers de ce nouvel art magique, réalisateurs et techniciens, à la recherche d’un soleil qui manquait à Paris. La Côte d’Azur offrait de multiples avantages : climat, luminosité, longues périodes de beau temps, sites variés… Pathé a installé ses studios en 1908, Gaumont en fait de même en 1914.
Je me souviens que la Victorine était au départ un domaine près de Saint-Augustin, à l’ouest de Nice, appartenant à Victor Masséna, Duc de Rivoli et Prince d’Essling, descendant du maréchal Masséna. Il a baptisé sa propriété La Victorine d’après le prénom de sa nièce, Victoire.
Je me souviens également que Victor Masséna fit également édifier en 1899 une villa par l’architecte d’origine danoise Hans Georg Tersling et l’architecte Niçois Aaron Messiah. En 1919, son fils André a vendu la villa à la ville de Nice, qui en fera un musée, et la Victorine à Louis Nalpas et Serge Sandberg.
Je me souviens que Louis Nalpas a été directeur du Film d’Art à partir de 1912. Après avoir complété sa formation chez Pathé, il est devenu producteur de cinéma et s’est installé à Nice où il créa les Films Louis Nalpas. Il est devenu célèbre grâce au succès d’un film qu’il fait réaliser sur place, par René Le Somptier et Charles Burguet, sur la colline de Cimiez à la Villa Liserb (… Brésil), au nord-est de Nice, La Sultane de l’Amour. Déterminé à faire de Nice la capitale européenne du cinéma, il s’associa avec Serge Sandberg, collaborateur de Charles Pathé et producteur. Ils jetèrent leur dévolu sur le domaine de la Victorine.
D’importants travaux de terrassement furent entrepris, comme le nivellement du sol, le tracé de routes carrossables, le construction des studios et des laboratoires, soit quatre plateaux de prise de vues (deux théâtres couverts et deux de plein air), leur atelier de construction de décors et leur magasin de pellicule. Louis Nalpas fit venir à Nice acteurs et réalisateurs en vue comme Jean Durand, Germaine Dulac, Gaby Morlay ou Gaston Modot.
Je me souviens que furent tournés à cette époque La Fête espagnole (Germaine Dulac) et Mathias Sandorf (Henri Fescourt).
Mais la construction des studios engloutirent peu à peu les bénéfices des productions « Films Louis Nalpas » et «Ciné Studio ». Louis Nalpas finit par jeter l’éponge en 1921, cédant ses parts à Serge Sandberg, lequel se retira à son tour en 1923.
Les studios Franco Film vers la fin des années 1920 – Crédit photo : D.R.
« Les Etablissements «Ciné Studio » de Nice ont été conçus pour donner à la technique cinégraphique toute l’ampleur opportunément nécessaire pour satisfaire les exigences des metteurs en scène les plus difficiles » Alice Guy, première réalisatrice (Rapport sur les studios de la Victorine – 1922)
Après une période d’incertitude et plusieurs propriétaires, c’est des Etats-Unis qu’est venu le salut pour les studios de la Victorine.
Je me souviens que Rex Ingram, dont le nom est étroitement associé à l’une des vedettes du moment : Rudolphe Valentino, est venu à Nice en 1924 pour tourner les extérieurs de Mare Nostrum. Il a eu immédiatement le coup de foudre pour la « French Riviera » et acheta les studios qui prirent alors une dimension hollywoodienne. De 1926 à 1928, il réalisa trois films, Le Magicien, Le Jardin d’Allah et Les Trois Passions. Il loua également techniciens et matériel à d’autres productions dont celle du drame Le passé ne meurt pas (Easy Virtue) d’un certain Alfred Hitchcock à qui Ingram aurait conseillé de changer de nom s’il voulait devenir réalisateur (le vrai nom de Rex Ingram étant Reginald Ingram Montgomery… Hitchcock) !
Rex Ingram (dans son fauteuil de metteur en scène) en plein tournage – Crédit photo : IFI – Collection Liam O’Leary
Comme il ne parvenait plus à concilier réalisation et direction des studios, Rex Ingram cèda en partie les rènes à la Franco-Film dont le directeur artistique fut Léonce Perret, comédien, metteur en scène devenu producteur.
« On est si bien à Nice pour travailler !… On vit dans une atmosphère de paix et de silence face à l’immensité bleue… » Léonce Perret (Comédien, réalisateur et producteur – 1926)
Je me souviens que la Victorine avait anticipé l’avènement du parlant. L’équipement des studios et la sonorisation,envisagés dès 1929, fut effectif en 1930. Mais avec le son, les cadres de la production et de l’exploitation, ainsi que les habitudes de tournages prises pendant le muet devaient être modifiés. Les studios parisiens et européens sont désormais dotés d’un perfectionnement technique qui ne empêchent à la Victorine de rivaliser. Les « sunlights », de plus en plus employés, permettent de se dispenser de la lumière naturelle et méditerranéenne.
Après la prospérité des années Ingram, la Victorine amorce son déclin. Les journaux locaux mènent pourtant une importante campagne de presse qui met l’accent sur la primauté de l’activité cinématographique pour la vie de la région, comme en témoigne « L’Eclaireur » : « Nice ville de fêtes… mais il y a le cinéma. Le cinéma n’a pas besoin d’usines, sinon de quelques studios. Il ne dévore pas des wagons de matière première, ne peut embouteiller un port ni une gare. Il fait marcher tous les métiers. Il est propre et silencieux bien que n’étant plus muet. Et chaque film tourné à Nice y laisse pas mal de centaines de mille francs, sinon quelques millions ».
Cependant, rien n’y fait. L’activité va en s’amenuisant, tant au niveau de la quantité que de la qualité.
Je me souviens malgré tout de quelques exceptions, comme Daïnah la métisse de Jean Grémillon, Don Quichotte de G-W Pabst et des Pirates du rail de Christian-Jaque.
Don Quichotte de G-W Pabst – Crédit photo : Tamasa Diffusion
Je me souviens encore que Rex Ingram a fait renaître l’espoir quand, excédé par les conditions de tournage au Maroc de Baroud ou les hommes bleus, son 1er film parlant (mais le dernier de sa carrière de réalisateur), il décida de le terminer à Nice (1932). Mais il était déjà trop tard. La Victorine, Nice et la région n’exerçaient plus le même attrait pour les professionnels.
La crise amena les propriétaires des studios à les céder. C’est la société Studios Centrazur qui les reprend. Son directeur général, Pierre Cuvier, entreprend à son tour d’importants travaux de modernisation. Nous sommes en 1939…
(à suivre)
Voir également :
Les 100 ans des studios de la Victorine (1919/1930) – Gérard Camy & René Prédal, Historiens du Cinéma (France 3 PACA – mars 2019 – 3mn13)
Les 100 ans des studios de la Victorine (1930/1945) – Gérard Camy & René Prédal, Historiens du Cinéma (France 3 PACA – mars 2019 – 3mn13)
Historique de la Victorine – René Prédal/Claude Villers (Ciné Parade/ France Régions 33/INA – 1982 – 3mn52)
Philippe Descottes
Passionnante épopée de studios dont je ne connaissais que le nom. Vivement la suite…
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