Cinéma / UN DIVAN A TUNIS de Manele Labidi.

Psychanalyste Franco-Tunisienne, elle débarque de Paris pour installer son cabinet dans la banlieue de Tunis . Le Divan de Selma, se mue en défouloir comique, brossant  habilement  le portrait , au lendemain de la révolution , de toute une série d’individualités déboussolées. Les accents de la satire en bandoulière, un premier long métrage qui fait mouche …

Les femmes au rendez-vous du Divan Tunisien  – Crédit Photo – Diaphana Distribution-

Lorsque Freud débarque à Tunis , c’est comme une sorte d’anomalie dans un Pays où cette    « intrusion » est perçue comme une sorte de décalage culturel qui s’y invite en compagnie de Selma ( Goslhifteh Farahani ) qui l’est, elle aussi , par son indépendance affichée. Ayant quitté un pays et une famille qu’elle retrouve , mais déterminée à construire son propre chemin , quitte a affronter bien des obstacles, comme on le lui laisse entendre : «  ça ne marchera jamais, ici ! » . Mais, à l’image de cette veille automobile qui va lui servir de véhicule de déménagement , malgré son inconfort et les ratés du moteur , Selma est décidée a franchir les obstacles , pour imposer son cabinet de consultation  ! .Une détermination qui va en imposer à pas mal de réfractaires , faisant face à leurs moqueries par de jolis revers qui font mouche. C ‘est d’ailleurs ce que révèle , également , le traitement du récit dont la cinéaste a fait le choix du contre-pied,  de l’ habituelle approche dramatique sur le sujet , en choisissant le prisme du regard différent, sous influence de la   comédie à l’italienne des années 1950 / 60, et son approche des sujets politiques et sociaux : «… La comédie, ses codes, ses outils cinématographiques permettent de traiter de ces sujets complexes de manière élégante et distancée, ce qui m’a offert une très grande liberté. Par ailleurs, l’humour fait partie intégrante de la culture tunisienne et l’évacuer de ce film aurait trahi l’énergie du pays… », dit-elle . Poésie et humanité , en référence à sa culture «  Arabo-Médittéranéenne  », à laquelle fait écho , aussi , la bande sonore musicale , où, aux côtés des sonorités locales, s’insère le leitmotiv d’un morceau de la chanteuse Italienne Mina . Voilà donc , la cadre posé au cœur duquel le  «  divan » en question va se muer , par le biais des personnages hauts en couleurs qui vont venir y confier leurs problèmes . Comme constat radiographique d’un pays et des bouleversements apportés par la révolution : « elle a rendu le pays tout d’un coup « bavard » après des décennies de dictature et c’est cette effusion de parole intime et collective que j’avais envie de traiter. J’ai aussi compris que la révolution avait eu impact sur le psychisme de la population… », explique la cinéaste …

Selma ( Golshiftheh Farahani ) face àet Naïm ( l’inspecteur de Police – Crédit Photo: Diaphana Distribution-

C’est donc à la « captation » de tous ces troubles anxiogènes dont son « divan » va se  faire l’écho. Si la curiosité et l’étonnement se font jour sur l’utilité de cette « thérapie » sans médicaments soignée sur canapé  par Selma, celle-ci doit faire aussi  face aux réticences d’un certain voisinage hostile , et surtout d’une administration réticente à donner son aval multipliant les demandes de pièces , tandis que la police  intensifie , elle , la pression par ses contrôles et convocations . Ce qui n empêche pas , via  le poster de Freud Barbu que Selma affiche , d’attiser la curiosité des hommes, tandis que les femmes nombreuses font la queue pour accéder au lieu provisoire que la propriétaire du Hammam a accepté de céder à Selma pour exercer , en attendant le feu vert administratif . La comédie humaine s’y installe avec ses clins- d’oeil amusés à l’image de cette séquence où un jeune homme débarque en se déshabillant pour s’installer sur le divan aménagé pour  ce qu’il pense  être  destiné …à un rendez-vous sexuel tarifé,  sur lequel il invite Selma à la rejoindre !. Et la police qui s’en mêle faisant état… de plaintes  à ce sujet ! . La différence sexuelle y est également présente avec la belle scène du boulanger homosexuel . Les notations en petites touches  de ce type rythment le récit , faisant miroir et écho à d’autres,  révélatrices, liées aux traumatisme du passé ( la dictature ) et aux interrogations sur le présent et l’avenir. A cet égard ,en devient emblématique,  ce personnage hanté par les dictateurs d’hier , et qui l’est aujourd’hui… par  celui de Poutine, dont il n’arriva pas à se débarrasser !. En complément de l’évocation politique , l’aspect religieux  , au delà du   poster de Freud Barbu , y est évoqué par le beau personnage  de ce jeune Imam dont l’ouverture d’esprit  est stigmatisée , devenant objet d’incompréhension et de rejet . Comme l’est aussi le portrait du jeune policier au comportement ambigu , jouant tour à tour de son pouvoir … et de séduction envers Selma . Le fil -rouge des séquences    qui s’inscrivent au cœur du récit , décline habilement et subtilement , le joli  chasse-croisé , des deux personnalités ….

Olfa , la nièce (Aiche Ben MMiled ) et Selma ( Goshifteh Farahani – Crédit Photo : Diaphana Distribution- 

Puis, il y a ces beaux portraits multiples de femmes , complétant celui de Selma et sa détermination indépendante . A l’image , de la jeune nièce de Selma qui , elle aussi , veut construire son propre avenir en dehors d’une pression familiale dont elle cherche à fuir le poids …en voulant quitter le pays . Beau personnage révélateur , en miroir du poids étouffant de sa propre situation , de celle de sa mère qui y est enlisée …comme  d’autres auxquelles le «  divan » de Selma ,  va servir de thérapie . On peut y ajouter cette employée  trouvant , comme dérive à l’immobilisme et à l’ennui administratif , la nourriture et la passion de la lingerie . Cette fois-ci face à elle  , c’est Selma dont les démarches ne cessent de buter sur l’immobilisme …qui va finir par , péter les plombs ! . Au cours des sorties en ville de Selma, c’est aussi par petites touches , que la cinéaste fait entrer le quotidien de la vie de la ville et de sa banlieue  ,et son bouillonnement  qui secoue la classe moyenne dont elle  brosse , le  remarquable  portrait , des  tiraillements  qui s’y révèlent «  entre modernité et tradition » , secouant les mentalités et l’hypocrisie . « ..J’ai essayé de mettre en scène des personnages aux conflits « banals et quotidiens » : élever des enfants, lutter contre une addiction, questionner son identité sexuelle, vouloir quitter sa famille pour vivre l’aventure, la crise du couple…Ce qui m’intéresse, ce sont leurs contradictions, leurs petites lâchetés, leurs raisons, leur courage, leur morale. Les personnages de mon film sont tous à leur manière traversés par une forme de mélancolie et ce sont les ruptures de ton comiques qui les rendent complexes, humains et donc universels » , dit-elle . On a aimé ce regard attachant, et porteur d’espoir pour l’avenir , comme le laisse entrevoir , le joli final de son film  …

(Etienne Ballérini)

UN DIVAN A TUNIS de Manele Labidi – 2020 – durée : 1 H 28 .

AVEC : Golshifteh Farahani, Majd Mastoura, Hichem Jacoubi, Aïcha Ben Miled , Jamel Sassi, Najoua Zouhaïr, Ramla Ayari, Moncef Ajengui , Zied Mekki, Oussama Cochkar…

LIEN: Bande-Annonce du Film : Un divan à Tunis de Manele Labidi .

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