Théâtre / Candide

Au fond, c’est quoi, le théâtre ? Des vivants qui viennent voir d’autres vivants leur raconter des histoires. C’est tout. Oui. Cela fait 5000 ans que ça dure. Le maître-mot, c’est  « vivant ». Et j’ai eu, très vivace, cette sensation, mercredi 5 février au TNN. A la manœuvre, Arnaud Meunier, directeur du CDN de La Comédie de St Etienne, l’auteur, Voltaire – excusez du peu- le texte, Candide.


Arnaud Meunier, Arnaud Meunier… Bon sang mais c’est bien sûr ! On le connait, à Nice ! Notamment avec deux superbes pièces, Chapitres de la Chute [saga de Lehman Brothers] et Je crois en  un seul Dieu, qui ont en commun d’avoir été écrit par le même dramaturge, Stéfano Massinni.
En deux mots comme en quatre, Arnaud Meunier est donc actuellement le directeur de La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national ainsi que de son École supérieure d’art dramatique. Le dialogue des esthétiques et des générations, le renouvellement des écritures scéniques, la découverte de nouveaux auteurs, la présence au quotidien des artistes, l’ouverture et le partage du Théâtre aux populations les plus larges et les plus variées sont les axes forts du projet qu’il met en œuvre.
Candide ou l’Optimisme est un conte philosophique de Voltaire paru en 1759.Il a été réédité vingt fois du vivant de l’auteur, ce qui en fait l’un des plus grands succès littéraires francophones. Prétendument traduit du docteur Ralph (qui, en réalité, n’est que le pseudonyme utilisé par Voltaire), avec les « additions qu’on a trouvées dans la poche du docteur », cette œuvre, ironique dès les premières lignes, ne laisse aucun doute sur l’origine de l’auteur, qui ne pouvait qu’être du parti des philosophes. Candide est également un récit de formation, récit d’un voyage qui transformera son héros éponyme en philosophe, un Télémaque d’un genre nouveau.
Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder−ten−tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide.  C’est le début du premier des 30 chapitres de ce conte qui se termine ainsi : Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de Mlle Cunégonde »…Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

Il faut cultiver notre jardin… Quid ?  « Il faut cultiver notre jardin » est une métaphore qui signifie : laissons de côté les problèmes métaphysiques (critiqués tout au long de Candide à travers l’image du philosophe Pangloss), et occupons-nous au contraire des choses que l’on peut changer, améliorer. En d’autres termes, cela signifie qu’il faut s’appliquer à faire évoluer la société et à la rendre meilleure. Enfin, moi j’dis ça, j’dis rien.
Comment mettre en scène un conte philosophique ? Justement en portant sur la scène la « vertu intrinsèque » du conte. Candide est un récit, c’est-à-dire une forme littéraire consistant en la mise dans un ordre arbitraire et spécifique des faits d’une histoire, ce que D. Herman désigne avec les termes « narrativehood » (narrativité intrinsèque du récit) et « narrativity » (jugement de narrativité par un interprète).
Est apparu au tournant des années 2000 le théâtre-récit ou théâtre de narration est un courant de la nouvelle dramaturgie italienne. Le théâtre-récit est une forme dramaturgique simple, portée par un acteur-auteur venu raconter une histoire. Décors et costumes y sont neutralisés: la scène et les vêtements sont sombres, c’est à dire sobres, l’éclairage réduit à l’essentiel. Une chaise est parfois le seul accessoire présent. L’attention du spectateur, si elle doit être, est portée sur l’acteur, sa parole et son jeu.
Si je devais considérer le travail des comédiens – dont certains faisaient partie de la distribution de Chapitres de la Chute – je parlerai volontiers de « joyeuse troupe », c’est à dire qu’ils se lovent dans ce sentiment de gaîté consistant à nous prendre par la main et nous conduire dans les arcanes de ce récit. Et c’est véritablement un récit choral que met en scène Arnaud Meunier, ses huit comédiens et ses deux musiciens -également comédiens- ils nous font entendre le rire et la rage de Voltaire, de ce texte qui a cherché à populariser, auprès du plus grand nombre, les idées humanistes des Lumières. Ce récit initiatique du XVIIIe siècle plongeant un faux naïf à l’assaut du monde comme des idées reçues, tournant en dérision les puissants comme la religion, est toujours d’une furieuse actualité.
Cette dérision, cette humour se lit dans le « décalé » des costumes d’ Aurélien Guettard et de l’univers scénique qui nous renvoie immanquablement à l’univers de la BD. Au demeurant, Arnaud Meunier s’est inspiré des illustrations du dessinateur Joann Sfar et sa Petite bibliothèque philosophique.


Le dépouillé de la scénographie (
Matthieu Naulleau), son absence de tout superfétatoire mais en même temps -comme dirait l’autre – sa prégnance, renforce l’attention que  nous conférons au texte. L’attention du spectateur, si elle doit être, est portée sur l’acteur, sa parole et son jeu, écrivais-je à propos du théâtre-récit.
« Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo.– Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand tout est mal. »
Chassé du château de Thunder−ten−tronckh, enrôlé de force par les troupes bulgares, arrivé à Lisbonne le jour du grand tremblement de terre – qui avait profondément marqué Voltaire- fuyant Buenos Ayres, se retrouvant dans les galères de Constantinople… quel est cet optimisme qui pousse Candide, ce meilleur des mondes possibles de son précepteur Pangloss?  Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.
Cette mise en scène développe notre acuité, elle est à l’écoute constante du texte et nous convainc… oui, d’ être optimiste. Malgré tout. Candide a été créé à la Comédie de St Etienne le 2 octobre 2019. Sa tournée à débuté avec les représentations au TNN. Monsieur Meunier, pour Nice, c’est quand vous voulez!

Jacques Barbarin

Candide – Voltaire – mise en scène Arnaud Meunier
avec Tamara Al Saadi, Cécile Bournay*, Philippe Durand, Gabriel F., Romain Fauroux*, Nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Frederico Semedo les musiciens Matthieu Desbordes, Matthieu Naulleau participation vidéo Emmanuel Vérité
collaboration artistique Elsa Imbert version scénique, dramaturgie et assistante à la mise en scène Parelle Gervasoni composition musicale Matthieu Desbordes, Matthieu Naulleau scénographie & vidéo Pierre Nouvel lumière Aurélien Guettard costumes Anne Autran perruques & maquillage Cécile Kretschmar stagiaire perruques & maquillage Enrique Medrano Feliu regard chorégraphique Jean-Charles Di Zazzo régie générale Thomas Chazalon accessoires Hubert Blanchet construction décor & costumes Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne
* issus de l’école de la Comédie

Photo : Sonia Barcet

Tournée :
12 au 14 février, Théâtre d’Angoulême, scène nationale
18 au 20 février Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges
6 mars Théâtre Jean Vilar Vitry sur Seine
11 et 12 mars Les Scènes du Jura, Scène Nationale, Lons le Saunier
18 au 20 mars, La Comédie de l’Est, CDN d’Alsace, Colmar
24 au 26 mars, Théâtre du Gymnase, Marseille
1er et 2 avril, Théâtre du Beauvaisis, Scène Nationale, Beauvais
8 et 9 avril, Théâtre de Villefranche, Scène Conventionnée, Villefranche sur Saône
16 avril, Théâtre de Montbéliard
21 avril au 7 mai, Théâtre de la Ville, Paris

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