Le Rwanda en 1973, Au cœur de l’institut catholique formant l’élite de la Nation, la subtile et superbe plongée aux origines de la haine et au cœur des mécanismes qui aboutiront au Génocide qui, en 1994, fera un million de victimes. Magnifique adaptation, du roman de Scholastique Mukasonga ( Prix Renaudot 2012 ) par le cinéaste Afghan qui a vécu le même drame dans son pays. A ne pas manquer …

La scène d’ouverture , de toute beauté, nous immerge au cœur d’une nature paisible et dans les eaux dans lesquelles se baigne une femme noire accompagnée d’une voix -off évoquant le passé colonial et la façon, dont celui-ci, a marqué son empreinte en « déstabilisant » l’harmonie et en créant les antagonisme sociaux , qui se répercuteront et seront à l’origine du génocide entre ,Tutsi et Hutu. Son aboutissement, ce sera , en effet , toute l’histoire d’un peuple et d’une civilisation millénaire que l’on tentera d’effacer des mémoires… et qui finira par détruire tout le tissu social , culturel et religieux qui la composait et la réunissait , se muant en un double argument … de haine de classe et raciale !. C’est l’une des belles idées du récit que de s’appuyer et faire référence à cette « insidieuse » domination attisant les antagonismes , comme l’illustrent ces séquences où les différences ethniques serviront de prétexte à l’occupation Allemande puis Belge, pour s’implanter sur le sol Rwandais. Pour y mettre en place les rapports de forces qui lui permettront de se servir -et d’attiser les différences de classe- pour se maintenir au pouvoir , en favorisant la mise en place d’une « élite » locale qui leur sera favorable . La perversité du procédé consistant à mettre en place … toute une série d’éléments de reconnaissance , le permettant . A cet égard , la scène au cours de laquelle , le vieux colon nostalgique , Monsieur de Fontenelle ( Pascal Gréggory) l’évoque lors de la visite des jeunes filles du couvent, en leur montrant des vestiges des origines de leur culture ( et liens avec l’Egypte) , ou photographies ( de la période coloniale et celles faisant état …de la mesure du nez et du faciès …Hutu ! ) à l’appui . Le tissu social désormais gangrené par ces méthodes du passé , et resurgissant ici , lors de cette période qui conduira au génocide . Le parti de la République ayant chassé les colons et accédé au pouvoir , qui n’hésitant pas , pour s’y maintenir … à l’ utiliser à son tour ! . Atiq Rahimi écrivain et cinéaste qui a vécu la même guerre fratricide dans son pays (1979-84) au cours de laquelle il perdra son frère, et sur laquelle il a écrit deux romans dont il en a fait deux admirables films: Terre et cendres ( 2004) et Pierre de Patience ( 2012 ) , ne pouvait qu’être le cinéaste idéal pour en retranscrire , par le prisme de son cinéma sensible , les mécanismes de la violence qui s’y inscrivent ….

Et de ce qui se révélera être,un véritable génocide populaire organisé, dit-il « comme l’Afghanistan le Rwanda , est un pays dominé par un pouvoir absolu. Ce n’est pas le peuple qui décide et choisit(… )mais des élites, des technocrates et des chefs.Tout a commencé à partir de 1959 avec le renversement de la monarchie par le clan Hutu. Puis, en 1973, avec la chasse des élites et des intellectuels afin de préparer ce que l’on appelle « Le Génocide populaire ». Il leur fallait d’abord chasser… puis anéantir la conscience rwandaise » . C’est donc , ici au cœur de cet institut catholique où l’on prépare ce qui est destiné à devenir l’élite future de la nation , que le récit et le film nous immergent, après la scène d’ouverture évoquée ci-dessus . Pour y découvrir au fil des jours , justement l’insidieuse pénétration de la violence et ses mécanismes qui vont s’inscrire au cœur de ce pensionnat où règne une atmosphère studieuse et amicale entre les jeunes filles que la différence de classe, réunit pourtant dans les même ambitions . Les rituels, et la discipline y règne sous l’autorité religieuse stricte …qui se rattrape avec le monument dédie à la Vierge noire où l’on se rend en procession. Le cinéaste y intègre, lui subtilement , le poids de l’héritage colonial dont l’enseignement des jeunes filles se ressent. Lors de la scène du prêtre citant la Bible et Noé , le cinéaste y fait écho par l’intervention de la jeune fille qui l’interpelle , permettant, dit-il de souligner que « Certains colonialistes et racistes interprètent ce texte en liant le sort de Canaan à celui de tous les descendants de Cham, pour justifier l’esclavage des noirs », explique-t-il . Le cadre de l’institution et du lieu clos de celle-ci censé être imperméable aux éléments extérieurs , le cinéaste va en traduire alors admirablement et justement , le poids de ces « influences » multiples en héritage , qui comme le bouillonnement de l’eau de la marmite sous le feu , va finir par faire sauter le couvercle !. Atiq Rahimi , en décrit subtilement le lent processus qui va faire y faire sourdre la violence , rendu d’autant plus efficace que celui-ci n’est jamais appuyé par le spectaculaire de sa mise en scène , lui renvoyant l’indicible du cauchemar dans lequel sont plonges les jeunes filles , pour le rendre encore plus perceptible par le spectateur. C’est tout l’art de ce poète-cinéaste que d’offrir , en orfèvre à la violence , le contrepoint de la sérénité et de la beauté, que l’on y détruit ….

Formidable travail, à cet égard , et très bel habillage photographique de l’opérateur Thierry Arbogast , à la fois, sur les espaces et sur les lumières. Aux magnifiques images de paysages et d’ouverture du début , des sorties des jeunes filles d’une unité de groupe , dont rend compte par les jeux , rêves et autres échanges, le récit. C’est ensuite la fracture qui s’y installe . Celle des lieux et des paysages , qui , sous les coups de la violence qui s’y insinue , finissent par perdre cette sérénité lumineuse qui les habitait et qui s’atténue petit à petit , sous un voile imperceptible qui se transformera en nuage noir d’un orage qui va gronder , et finir par dévaster les lieux et les individus emportés par le tourbillon d’une tempête ensevelissant de son courroux , les victimes innocentes ! . C’est ce ressenti là, que la mise en scène d’Atiq Rahimi , avec ses belles envolées , nous donne à voir et comprendre de l’insupportable , de toute cette beauté sacrifiée par l’impureté de l’innommable, dont sont faits les génocides . Alors, au cœur de cette institution où va finir par entrer le cauchemar, il nous fait vivre, avec celles qui y seront confrontées ( les : Virginia, Gloriosa, Frida, Véronica, immaculée ..) , les ressentis intimes, mais aussi les peurs qui viendront perturber leur quiétude adolescente … à laquelle , le recours aux secours de la vieilles sorcière et ses rituels devenant : « refuges imaginaires , comme héritière et représentante de l’archétype de la croyance du peuple Rwandais » , et qui ne pourront rien, contre le déversement de la haine qui précipitera , la communauté comme tout le pays , dans la tragédie. Les quatre chapitres ( l’innocence, le sacré, le sacrilège et le sacrifice ) qui la racontent, en traduisent l’engrenage, celui dans lequel les jeunes filles seront sacrifiées. Au cœur du groupe émergent les trois belles figures : celle de Virginia ( Amanda Mugabekasi) , accompagnée par les deux autres : Gloriosa , la Hutu ( Albina Sydney Kirenga ) et Modesta ( Belinda Rubango Simbi) moitié Hutu, Moitié Tutsi . Toutes trois nous offrant des interprétations admirablement incarnées. Tout en nuances et en force évocatrice , le film décrypte admirablement les mécanismes de la haine, de la violence et de la folie des hommes . Un film nécessaire , qui devrait être montré aux jeunes des écoles…
( Etienne Ballérini)
NOTRE DAME DU NIL d’Atiq Rahimi – 2020- Drurée : 1h 34
AVEC : Amanda Mugabekazi , Albina Sydney Kirenga, Angel Uwamahoro, Clariella Bizimana, Belinda Rubango Simbi, Ange Elsie Ineza , Kelly Umuganwa Teta , Pascal Grggory, Carole Trevoux …
LIEN : Bande -Annonce du film : Notre Dame du Nil, d’Atiq Rahimi. Bac films-
[…] une belle femme blonde. Avec Jeanne Moreau, Claude Mann, Paul Guers. Ciné+Classic à 20h50 – Notre Dame du Nil d’Atiq Rahimi (2019 – 1h30).Drame avec Pascal Greggory, Clariella Bizimana, Amanda […]