4 février 1900. Ya pas qu’Sarko à Neuilly sur Seine. Ce 4 février 1900, donc y a 120 ans tout pile, y naissait Jacques Prévert. Petit texte en forme d’hommage. Ca pourrait s’appeler : « Jacquot d’Paname ».
Nous sommes dans les années 50. Un homme à tête d’homme allume une cibiche, et sur le boulevard du Temple, croise Jacques Prévert, qu’il a connu du temps du groupe « Octobre ».
Hé Jacquot ! Ben alors, tu t’rappelles pas de moi ! Albert ! J’suis des Batignolles ! Mais si, on s’était connu du temps du groupe Octobre ! J’étais machino ! Tu voulais m’faire jouer, mais moi, macache ! Quoique, si ça avait duré un peu plus longtemps…Ca y est ? Sûr que je m’rappellerai toujours des Enfants du Paradis ! C’est du nanan ! Tiens, à propos d’cinoche, tut t’souviens de ce que tu nous avais raconté, tiens, c’était juste avant qu’on parte chez les russkoffs : J’en rigole encore !
Un jour d’l’été 35 Jean Renoir te propose de réécrire un scénar qu’il veut mettre en scène, Le crime de Monsieur Lange. Amédée Lange est employé dans la société d’édition de Batala, patron véreux et sans scrupules. Mais y t’connais, le bougre ! Pour être sûr que tu vas bosser, y t’enferme pendant un mois avec machine à écrire, feuille, tabac, carafe et hardi petit ! Au turf ! Comme tu protestes, il te dira : Je vous sens pas très motivé, Jacques, c’est la seule solution.
Au fur et à mesure, tu glisse les feuillets sous la porte. On te laisse sortir aux heures des repas. Au moment du tournage, le père Renoir tient à ce que tu sois là en permanence, pour ciseler les dialogues. Et tes dialogues, c’est du velours. Comme quand Arletty sort « Quand t’auras fini de parler avec des guillemets, tu nous l’diras ». C’est dans Le jour se lève de Carné. Mazette ! Carné, Renoir, Autan-Lara, ton frangin Pierre, Grémillon, Cayatte, Paul Grimaut, c’est d’la première bourre !
Dis donc, j’sais pas, toi, mais moi j’ai la dalle en pente. Tiens, v’là un rade, on s’y pointe, c’est moi qui rince. Patron ! Deux communards ! Ca t’vas, Jacquot ? Patron pour ma pomme, léger sur l’cassis, et l’pinard, vas-y franco ! Hé Jacquot, t’as les crocs qu’tu prends un œuf dur sur le comptoir ? Ah, qu’il est terrible…
Bon, d’quoi qu’on causait ? Ah oui, l’cinoche. Ya pas, t’étais doué pour la formule. Comment c’était, déjà… Ah oui…Vous êtes riche et vous voudriez être aimé… Zut, c’te mémoire… comme un pauvre. Et les pauvres … Et les pauvres… Ca y est, ça m’reviens… et les pauvres, on ne peut quand même pas tout leur prendre, aux pauvres ! Les bourgeois du parterre, y s’ pâmaient : ouvrez les guill’mets « Aaah ! Cette écriture ! » Fermez les guill ‘mets, et au paradis l’populo il envoie : Et toc ! Prends-toi ca dans les gencives ! Chacun d’tes dialogues c’est un scénar à lui tout seul !
Faut dire que les mots, y t’connaissent ! Quand y t’voient arriver, y essaient bien de s’carapater, mais macache ! Tu les gobes comme des œufs ! Un jour de pluie chez les surréalos, pardon les surréalistes y s’emmerdent à 100 sous l’heure. Tu leur donne une feuille de papier, chacun écrit un mot, replie, et passe à l’autre. Mais attention : le premier écrit un nom, le deuxième écrit un verbe, le troisième un adjectif, et paf ! « Le cadavre exquis boira le vin nouveau » T’as inventé c’qu’ils appellent « le cadavre exquis. » Et pif ! on t’colle l’étiquette surréaliste. V’là t’y pas qu’un peu plus tard, tu deviens symboliste, comme le dira la criticature ! Moi j’crois plutôt qu’t’étais préverististe. T’en fait qu’à ta tête, mon Jacquot. Ou plutôt qu’à ton cœur. Faut qu’tu aimes, que tu prennes du plaisir. Sinon, macache ! Et dès qu’ils t’amusent plus, les surréalos, bye bye !

T’es un dilettante, un gourmet, t’es l’chaland qui passe, qui s’arrête, prend son temps… et puis ah ! V’là aut’chose…Tiens, par exemple en 24, tu rappelle ce tract avec lequel ru avais découvert le surréalisme, « Mort d’un cadavre »… quatre ans après ce pamphlet portant le même nom est publié contre « le pape », qui apparait en couverture avec une couronne d’épines christiques, avec ton texte, « Mort d’un monsieur ». Comment tu disais, déjà ? … Ah oui ! « Hélas je ne reverrai plus… celui qui me faisait rire. »
Un jour que tu faisais de la figu dans un film où André Batcheff faisait le rôle principal, il te remarque en train de griffonner un carnet. « Tu écrit quoi ? » – « Rien des trucs qui viennent de me passer par la tête ». Ouais. Ceux qui pieusement, ceux qui copieusement…
Et puis ce 12 avril 32, à la villa Duthy, dans l’quatorzième, où tu crèches. Raymond Bussières viens te voir pour te proposer de venir travailler avec lui pour le théâtre populaire ouvrier. Il semble pas très à son aise et dit : « Nous aimons beaucoup vos poèmes, et… » Tu le coupes « Venez, on va discuter. Et j’écris pas des poèmes. » T’aimais pas qu’on te dise « poète ». C’est pas moi qui t’jet ‘rais la pierre, Jacques ! Pour moi, l’mot poète ça fait un peu littérature ouvrez les guillemets. Un truc de bourges, quoi ! Toi, les mots, tu leur lançais un couteau à l’intérieur. Tu les vandalisais ! Mais en même temps, comme dirait l’autre, tu les portais au pinacle !
Et pus tard, pendant que tu installe le rideau de scène de ce théâtre ouvrier, prémices du groupe Octobre – tu t’rappelles ? J’tais là, j’tais machino- on vient t’interviewer. Quand il te demande : Dans quelle salle jouerez-vous ? » tu répond : « on interprète dans les usines, dans la rue. La culture est confisque par les bourgeois ? On se l’approprie. « Tu rajoutes : « On a peur de rien, vu qu’on a rien. On va le faire psser, le message.’ Ton modèle, c’es l’agit-prop russe. A la fin, je journaleux te dit : « Merci. L’article devrait paraître la semaine prochaine. » – « D’accord, camarade journaliste ! C’est qui votre nom ? » – « Marcel Carné. »
Ah ! Tonton Marcel ! Toi et lui, c’est les plus beaux moments du cinéma, sans charre ! Les enfants du Paradis, bien sûr, mais Les Visiteurs du soir ! Drôle de drame ! Les portes de la nuit ! Les portes de la nuit… Rien que ce titre, on se demande ce qu’il y a derrière ces foutues portes !
Hé oui… Qu’y avait-il derrière ces foutues portes ? Des paroles ? Des enfants qui s’aiment ? Des histoires ? La pluie et le beau temps ? Un diner de tête ? Va savoir…
Jacques Barbarin