Un butin caché à récupérer. Pour son Septième long métrage -sélectionné en compétition Cannoise 2019 -le cinéaste Roumain investi les codes du Polar. Jeux de rôles, humour décalé et clins- d’oeils cinématographiques y font écho à la brutalité et à l’inhumanité , thématique au centre du récit et familière à son œuvre. Jubilatoire …

Cristi ( Vlad Ivanov) , policier Roumain corrompu , débarque aux îles Canaries en charge d’y démêler l’affaire du butin du blanchissement de l’argent sale de la drogue, objet d’un trafic international en liaison avec la Mafia Vénézuélienne. Sa mission : aider un groupe mafieux à faire évader Zsolt ( Sabin Tambrea) , un de leurs membres emprisonné qui est le seul à connaître la « planque » du butin convoité. Mais on s’apercevra très vite que l’affaire n’est pas si simple que ça !. Le cinéaste s’il change ici de registre, , reste fidèle à la thématique de son œuvre sur les effets du pouvoir et de la Corruption. Celle dont il a exploré dès son premier long métrage: 12h 08 , à l’Est de Bucarest ( 2006) , le constat sur un pouvoir dominateur et répressif de l’ère Ceaucescu , et que prolongeait au sortir de celle-ci , dans Policier, adjectif ( 2009 ) , son flic idéaliste se battant pour « une justice juste, et contre la corruption ». Mais , les temps changent et ce qui était – hier – révélateur d’un espoir consécutif à une oppression trop longtemps subie, a désormais, laissé place à la désillusion. Et à un retour à une cette même « déshumanisation » dont les effets d’hier, se prolongent aujourd’hui au cœur d’un système mondialisé de rapports de forces et de pouvoir nouveau . Ce « jeu de pouvoir permanent », dans le quel son héros policier désabusé , Cristi, va se retrouver immergé . C’est » un personnage complexe, il pense au départ contrôler les choses mais il se trompe car très vite il est pris dans une tempête, un triangle, un vertige. Il n’est plus maître de son destin… », explique le cinéaste . L’idéalisme d’hier battu en brèche par la corruption généralisée, ayant laissé place à la confusion …et à une complicité avec celle-ci !. Entre gangsters mafieux et flics véreux , les frontières deviennent de plus en plus opaques et , au jeu de rôles et du « qui manipule qui ? », bien malin qui saura dénouer le fil . Le récit porté par la belle idée scénaristique d’un « code » de langage de tradition ancestrale , va devenir le « nec plus ultra » de l’enjeu permettant de brouiller les pistes et de défier les moyens modernes de surveillance et de communication , afin de s’emparer du butin tant convoité . Le « pied de nez « au technologies est jubilatoire , et la mise en abîme passionnante …

Ce langage, c’est le « silbo» , une forme de communication basée sur les sifflements semblables à des chants d’oiseaux et utilisée depuis des milliers d’années par la population de l’île de La Gomera, une des îles des Canaries . Elle reproduit par le sifflement, le langage parlé ancestral des habitants, leur servant « comme un outil pour les travaux des champs, afin de communiquer dune vallée à l’autre , entre les ravins ou les précipices…du paysage » . ici , il va être utilisé comme arme,afin de permettre de » déjouer » les plans des adversaires , auxquels Cristi va être confronté . Au sein des groupes concernés , où les rivalités sont incessantes et les jeux de dupes sont de mise , ce langage sera le moyen idéal pour contourner et « prévenir » du danger de ces outils modernes de surveillances tous azimuts qui prolifèrent, pour tenter de faire échec aux postulants de tous bords qui veulent s’accaparer, le butin caché du trafic de drogue international Au cœur de ce « détournement » , le cinéaste construit – lui – le sien , où , coups bas et trahisons se multiplient en toile de fond des codes du genre et autres clins- d’oeils cinématographiques saupoudrés au décalage de l’ironie et de l’humour. Dès lors, la dissimulation devient l’art suprême pour échapper à la surveillance et ne pas risquer d’ être suspecté !…d’autant qu’il faudra aussi être vigilants et savoir détecter , les subterfuges utilisés…. pour brouiller les pistes!. Comme l’illustre la belle séquence du commissariat de police, et de celui qui permettra de recueillir des confidences en se soustrayant aux moyens de surveillance … comme le permettra , aussi, plus tard ce langage sifflé dont Cristi apprendra la technique , afin de mettre tous les atouts de son côté pour tenter de démêler l’affaire dans laquelle la « sulfureuse » Gilda ( Catrinel Marlon, épatante ), l’a embarqué !. Cornéliu Porumboiu , nous entraînera lui , dès lors dans un voyage au cœur des codes … comme il l’explique « le langage parlé, un peu comme le cinéma, code la réalité. Alors je me suis mis à jouer avec les codes de genres très différents – du film policier ou film noir, au western en passant par la comédie. Je voulais raconter une histoire avec des personnages qui mentent, qui jouent un double jeu … », dit-il….

Et nous voilà emportés dans le tourbillon d’un récit dont on vous laissera découvrir les multiples surprises qui vous attendent, et que compliquent encore un peu plus la «déconstruction » voulue , qui vous contraindra à ajuster « les pièces d’un puzzle temporel » et avec ses retours en arrière , dans lesquels le cinéaste nous entraîne. Contraints à vôtre tour de remettre le « sifflement » des choses à l’endroit … avec les éléments nouveaux qui viennent modifier les enjeux ! . Le spectateur se retrouvant à son tour en position de Manipulé !. Alors , vous comprendrez le malaise qu’engendre celui-ci , sur les héros du récit qui s’y retrouvent piégés… et leur destin qui en dépend !. Au jeu des rapports de forces et des manipulations , ceux du pouvoir vont aussi y être redistribués , ainsi que les jeux de rôles …comme le sont les éléments d’un décor à la recherche duquel un cinéaste va venir frapper à la porte du hangar où son réunis quelques -uns des protagonistes de l’histoire. Les ficelles manipulant les marionnettes , qui les dirige ? . Les références aux codes des genres cinématographiques et à l’esthétique , le cinéaste les multiplie également, ainsi que celles musicales d’une bande- sonore , où Carl Orf et Iggy Pop, côtoient …Offenbach! . La mise en abîme des références est une réjouissance visuelle de tous les instants venant dynamiter le récit , et en même temps , lui ouvrir d’autres possibles . Au jeu des références filmiques , on y goûte celle du Gilda de Charles Vidor ( 1946) , prénom symbolique et image de la femme fatale qu’incarne ici , Catrinel Marlon lui offrant une interprétation superbe .Tandis que celui de la Procureure ( Magda Lazar ) en femme froide et forte fait référence « à Marlène Dietrich », dit le cinéaste . Ce dernier y bouscule aussi les clichés , comme celui du mafieux aristocrate ( Augusti Vilaronga) et du flic ( Cristi ) impassible face aux événements , en clin d’oeil à Buster Keaton . Le Psychose d’Hitchcock ( 1960) et les premiers plans de la scène de la douche… y figure aux côtés d’une scène d’un Polar Roumain s’inspirant des films noirs Américains . Tandis que les Siffleurs évoquent ceux du western de John Ford La prisonnière du désert ( 1956 ) ... et que , dans la dernière scène et son jeu de lumières en forme de bouquet final y distille encore d’autres ouverture possibles !. Comme ce flagrant délit sur un plateau de tournage désaffecté… qui pourrait être le » clap » d’une scène de répétition. Bref , on se prend au jeu , emportés par le tourbillon du récit et ses envolées trous azimuts qui nous entraînent dans la danse …
(Etienne Ballérini )
LES SIFFLEURS de Cornéliu Poromboiu – 2019- Durée : 1h 38 –
AVEC : Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar, Antonio Bull, Augusti Villaronga, Sabin Tambrea …
LIEN : Bande-annonce du film : Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu – Diaphana Distribution : durée : 1′ 43″ –
[…] doivent affronter le meilleur guerrier de la milice, Soji Okita… Ciné+Club à 17h20– Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu (2019 – 1h33).Cristi, un inspecteur de police de Bucarest, corrompu par des […]