Cinéma / LE MIRACLE DU SAINT INCONNU de Alaa Eddine Aljem.

Un jeune braqueur qui a planqué son butin dans le désert revient à sa sortie de prison pour essayer de remettre la main sur le pactole. Ce ne sera pas si simple.

Premier long-métrage d’un jeune réalisateur marocain, Alaa Eddine Aljem, « Le miracle du saint inconnu » ( Sélection Semaine de la Critique , cannes 2019 ) réussit le pari de toute bonne comédie, à savoir nous faire rire tout en touchant à des sujets graves qui sont traités avec légèreté, mais pas à la légère.

En effet, le film aborde les questions liées à la foi, à la croyance, à la spiritualité et à la superstition, et tire habilement parti du flou qui entoure toutes ces notions où l’on glisse facilement de l’une à l’autre sans toujours s’en rendre compte. Au passage, le film explore tranquillement les rapports entre argent et religiosité, mais sans jamais passer par la dénonciation violente.

Une scène du Film – Crédit Photo : Condor Distribution-

Un des mérites essentiels du film, c’est précisément de ne pas appuyer lourdement, mais de jouer sciemment des différents types de comique qui sont à sa disposition. Comique de mots, avec des répliques savoureuses, voire carrément désopilantes, comique de situation dans absolument toutes les saynètes qui s’enchaînent avec des allers -retours entre les différents protagonistes ( les personnages sont suffisamment nombreux pour garantir une grande variété de points de vue, ou plutôt de points de fixation devrait -on dire ) et bien sûr, le comique de répétition qui ne manque jamais sa cible.

Le film allie de plus une certaine économie de moyens dans la phase d’exposition des personnages , rapide et efficace, et un art de la broderie dans sa manière de revenir sur le motif pour compléter et affiner sa galerie de portraits.

Ainsi dans la scène d’ouverture, nous avons en quelques plans l’arrivée de la vieille guimbarde dans le champ, dont nous nous doutons bien qu’elle va rendre l’âme, le repérage de la colline où Ahmin va creuser sa « fausse tombe « pour planquer le fric, l’arrivée des flics et l’arrestation du héros. Plan suivant : la sortie de prison et dans la foulée le retour sur le lieu stratégique. Le tout aura duré peut-être 3 minutes.

Malgré cette apparente rapidité d’action, le film ne se départit pas d’une certaine nonchalance qui colle très exactement au rythme tranquille de la vie dans ce bled perdu du Sud marocain où la routine est telle que la moindre nouveauté fait nécessairement événement (cf par exemple, l’arrivée du nouveau médecin accueilli par son infirmier flegmatique).

De plus, le réalisateur s’amuse à jouer des codes de plusieurs genres canoniques du cinéma : le film de gangsters (minables, ça va de soi), le films de potes ou « buddy film» à l’américaine, avec le tandem formé par Amine et son acolyte qui n’est pas sans rappeler le couple Laurel et Hardy ( le cerveau et les muscles) ou encore le duo médecin/infirmier mentionné plus haut, sans parler de l’inénarrable association entre le gardien et son chien. Un petit clin d’œil au western de temps en temps, avec la démarche- reconnaissable entre mille- du « poor and lonesome cowboy » qui s’éloigne dans le désert.

Bref, on sent que le metteur en scène a pris beaucoup de plaisir à faire exister son petit monde et à l’inscrire à sa manière dans la grande histoire du cinéma. Le film fourmille de trouvailles qui nous font rebondir d’une scène à l’autre, qui arrivent à nous surprendre précisément lorsque nous pensions avoir cerné tel ou tel personnage et surtout à nous faire rire. Loin d’enfiler les différentes séquences comme autant de courts-métrages- défaut fréquent de pas mal de films à vocation comique- la mise en scène et le montage se renforcent mutuellement pour créer une réelle progression dramatique en menant de front plusieurs mini-intrigues, sans perdre de vue le fil principal, à savoir la récupération du magot.

L’image elle-même reste sobre, ce qui n’est pas évident avec les paysages désertiques, toujours si photogéniques et le film évite sans difficulté l’écueil de l’image-carte postale, tout en donnant du sens à cette immensité aride, propice à tous les mysticismes. Le personnage de père est à cet égard particulièrement touchant (et très bien joué) dans sa sincérité émaciée par rapport aux bigots du village.

Une scène du film : Crédit Photo : Condor Distribution-

D’ailleurs, tous les acteurs sont bons, très présents à l’écran, même les seconds rôles comme le coiffeur ou le réceptionniste de l’hôtel. Une belle brochette de gueules. Tous des hommes, comme il se doit dans une société rurale complètement patriarcale. Les femmes, quant à elles, sont reléguées au rôle de collectif indifférencié. Là aussi, le réalisateur nous dit quelque chose chose d’essentiel, toujours sur le mode du comique et de l’exploitation des clichés.

À l’heure où la Croisette, comme l’ensemble de la planète Cinéma, essaie de tirer la leçon du mouvement « Me too », « Le miracle du saint inconnu » nous invite modestement , mais sûrement, à ne pas oublier de regarder aussi de l’autre côté de la Méditerranée.

( Josiane Scoleri )

LE MIRACLE DU SAINT INCONNU de Alaa  Eddine Aljem -2019- Durée :

AVEC : Younes Bouab, Salah Bensallah, Bouchaïb  Essamak, Mohamed Naimane, Ana El Baz, Hassan ben Bdida, Abdelghani Kitab, Ahmed Yarziz…

LIEN : Bande-Annonce du film : Le Miracle du Saint Inconnu de Alla Eddine Aljem.      ( Condor Distribution :  Durée 2′ 16 secondes )

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