Après le remarquable Black Coal (2014) , le nouveau et sombre Polar du cinéaste Chinois dynamise par ses audaces formelles les codes du genre et insuffle au cœur de son univers nocturne, les accents surréalistes. Au coeur d’un Jeu de dupes où monde de la marge, de la pègre et policiers en civil deviennent inter-changeables, et les destinées des héros traqués empreintes de romantisme. Compétition officielle, Cannes 2018.

La nuit, la pluie, une petite gare de banlieue , la rencontre d’un homme et d’une femme et le mystère du rendez-vous qu’elle propose comme un « deal » , en lieu et place de sa femme afin de le sortir du piège dans lequel il se débat. Le mystère qui entoure cette rencontre introduit un récit dont la construction éclatée en flash-back, va nous entraîner dans le dédale une tortueuse traque aux multiples rebondissements. Celle au cœur de laquelle se retrouveront liées les destinées de l’homme et de la femme de cette première séquences. Lui, ( Hu Ge ) le gangster en cavale et en quête de rédemption , et elle (Zhou Zenong ) la prostituée prête à tous les compromis pour conquérir sa liberté. Le cinéaste qui souhaitait inscrire son récit au cœur d’une réalité sociale, s’est inspiré d’un fait divers qui a défrayé la chronique , lui permettant d’y donner sens et profondeur à l’images des films noirs occidentaux des années 1940 / 50 dont il est admirateur. C’est au cœur de celui-ci que nous immerge la scène incroyable d’une « assemblée de voleurs de motos » se répartissant les différents territoires de la la ville. La querelle sur l’attribution des ces derniers ,va attiser les jalousies et s’envenimer en combat au cœur duquel notre héros est impliqué, blessant mortellement un des membres. Ses amis qui veulent le venger , les truand appelés en renfort, et la police dépassée qui troque ses uniformes pour des habits en civil , cherchant à tirer profit de la confusion d’une traque au sein de laquelle compromis , diversions, changements de stratégies et d’alliances, modifient constamment la donne. Au cœur de celle-ci, la grosse somme en jeu promise par la police à ceux qui permettront d’arrêter le fugitif . Voilà de quoi attiser convoitises et trahisons en série. Seul campera sur sa position, le fugitif prêt à se sacrifier pour que cet argent revienne à son fils et à sa femme. La prostituée s’engage à lui permettre d’y parvenir et va prendre les contacts nécessaire et , prévenir sa femme. Sauf que… les dés vont être pipés , et la confusion qui règne désormais attisée par l’appât du gain prenant le dessus sur les promesses de loyauté. C’est au rendez-vous du Lac , que désormais la confusion extrême des enjeux et la violence qui les accompagne va se cristalliser , portée par la dextérité d ‘une mise en scène époustouflante qui en traduira superbement , la dimension de la tragédie qui va s’y jouer …

Au centre de celle-ci, à la prostituée et à l’homme traqué portés par leurs destins , peurs et faiblesses, le cinéaste leur offre la dimension romantique des héros des films noirs occidentaux, et ( ou ) et de cape et d’épée chinois : « l’homme en fuite pourrait être le « chevalier errant » d’aujourd’hui , et la baigneuse une « courtisane » de l’ancien temps », dit-il . L’ampleur des enjeux leur faisant acquérir une forme d’exigence intérieure . Il y a également au cœur du récit d’autres références sur lesquelles s’appuie la construction de son récit , et sa dynamique des flash-backs sur laquelle il est conduit , lui permettant d’ y inscrire des poses narratives incitant la réflexion, dans le sens de le « distanciation » Brechtienne qui dit-il « permet de ramener à la raison ». Et au coeur du chaos de la violence déchaînée , celle -ci n’est pas superflue !. Un cadre qui s’ouvre dès lors à l’immersion dans le monde et l’univers des marges et de la pègre occupant les territoires des périphéries des villes , dont ici , le cadre du Lac aux oies sauvages devient l’exemple emblématique. Celui d’un territoire de non- droit et de tous les possibles qui y cohabitent, et trafics de toute sortes qui y prospèrent . En toile de fond , les rapports de force et la violence des armes, la prostitution et les compromissions. La gangrène du mal et la misère qui se répand , accompagnée de son décor des poubelles du capitalisme . Le ciel bleu et le lac, l’évasion sur l’eau comme une échappée pour un moment de respiration et de répit. Puis la frénésie du réel qui reprend son tourbillon, et le jour qui décline laissant place à la nuit , aux ténèbres propices pour envelopper de leur noirceur et cacher le fugitif poursuivi par ses ennemis … ou la police. Tous aux abois . Car ces ténèbres invitant parfois à la rêverie et à l’attrait du mystère , sont aussi porteuses de dangers surgissant du noir et du silence, apportant la mort. Les séquences nocturnes sont magnifiques avec les échappée surréalistes qui s’y invitent , à l’image de celle plus réelle et dangereuse d’une course-poursuite en moto et du piège invisible dans lequel elle prendra fin….

Le cinéaste habille son récit et sa mise en scène de magnifiques fulgurances aux multiples accents où s’invitent tour à tour, au cœur de la traque et de la partie de cache-cache mortel : allégorie, lyrisme , poésie, accents surréalistes, couleurs et sonorités ouvrant à la dimension expressionniste et à la flamboyance d’un ballet ouvrant à celle d’un opéra tragique de la violence. A laquelle , Sam Peckinpah dans son film La Horde sauvage ( 1975 ) , l’avait élevé à la dimension pessimiste d’un constat d’échec du progrès engendrant, la violence destructrice des valeurs . A la perte de celles-ci, Diao Yinan y fait écho, évoquant : « la course à la modernisation et l’angoisse générée par celle-ci ont fait oublier la noblesse d’âme présente dans la philosophie et la littérature chinoise ( …) aujourd’hui dans le monde globalisé aucune en société ne peut éliminer le tragique de l’existence humaine … » , souligne-t-il . Son hommage aux maître inspirateurs ( des films noirs occidentaux et du cinéma asiatique ) évoqués plus ci-dessus, dont il prolonge les influences intégrées et suscitant ,ses propres audaces et flamboyances visuelles . A l’image des courses -poursuites aussi surprenantes qu’inventives , et surtout, de cette scène surréaliste bluffante du parapluie « tueur » , que n’aurait pas renié le Luis Bunuel du Chien Andalou ( 1929) . A celle-ci s’ajoute son beau regard sur les personnages , et l’écho que renvoie le suspense du « twist final » (qu’on vous laisse découvrir) , à sa toile de fond en forme de constat social sur la désespérance et la souffrance des « humiliés » de ce monde. On vous laisse savourer -en attendant-cette belle phrase du cinéaste , sur son approche filmique : « Sous les projecteurs, le monde prend une dimension surréelle, l’homme rôde comme un animal à la frontière mouvante entre rêve et réalité. J’adore les ombres qui naissent entre lumière et obscurité et je les filme obstinément… » .
(Etienne Ballérini)
LE LAC AUX OIES SAUVAGES de Diao Yinan – 2019- Durée : 1h 50.
AVEC : Hu Ge, GweiLun-Mei, Wan Quian, Qi Diao, Liao Fan , Huang Jue, Zhang Yikong, Chen Honghong…
LIEN: Bande -Annonce du film : Le lac aux oies sauvages de Diao Yinan-( durée: 1′ 52″, Memento Distribution)
[…] 7 – Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan (2019 -1h50). Un chef de gang dont la tête est mise à prix s’allie à une […]
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