Les funiculaires* niçois (Cimiez, Carabacel)

Ami lecteur, nous allons pour cette fois nous éloigner de notre cher Vieux Nice pour visiter un quartier pas très éloigné mais ô combien intéressant aussi, je veux parler du quartier de Carabacel situé non loin de là, un peu au nord avec le Paillon en limite inférieure et les premières pentes menant à Cimiez via le boulevard éponyme crée de toute pièce à la Belle Epoque par l’architecte éclectique Sébastien-Marcel Biasini dit «Sa Majesté» (!).

Le Boulevard Carabacel s’étend depuis la «Tête au Carré» œuvre de l’artiste Sosno avec le Palais Acropolis qui lui fait face (place Jean-Moulin) jusque, plus au nord, son intersection, à gauche avec le Boulevard Dubouchage.

Dans ce récit nous incorporons la partie terminale de l’avenue Désembrois jusqu’au Grand Palais, immeuble Belle Epoque, imposant, équipé autrefois d’un petit funiculaire privé, opérationnel jusqu’au début des années 1950, puis réformé pour non conformité de ses équipements (cabine, câbles, machinerie).

Tout d’abord «Carabacel» n’est pas un patronyme. Le préfixe «Car» est à rapprocher de la racine pré-indo-européenne «Kar»(éminence, rocher dominant) selon l’historien niçois André Compan. Effectivement, en remontant le boulevard, pour rejoindre l’avenue des Arènes de Cimiez, nous sommes amenés à grimper sur une colline via un lacis de rues pentues dont la plus connue est l’avenue Emile Bieckert, en souvenir d’un homme d’affaires enrichi dans le commerce de la bière et qui fut le véritable créateur du quartier avant 1913, date de son décès à Paris. Cette voirie qui porte son nom débute au niveau du Bd Carabacel (N°25) desservant à niveau le palais Langham (N°5), puis plus  haut l’hôtel Hermitage créé par la famille d’hôteliers Agid au début du 20ème siècle. Dès 1906, un funiculaire électrique permettait aux visiteurs d’atteindre commodément le vaste palace magnifiquement exposé, offrant à ses (très riches) clients des vues exceptionnelles sur Nice et le littoral de la Côte d’Azur.

Ce funiculaire électrique a connu deux époques. Un premier équipement fut installé par l’entreprise STIGLER, ascensoriste, et ne comportait qu’une seule cabine pouvant transporter 15 voyageurs sur une rampe de 168m de longueur avec un dénivelé de 45m et une pente pouvant atteindre 300mm/m. Plus tard, un autre équipement avec cette fois 2 cabines se croisant à mi-parcours, exploité sous le nom de funiculaire ARSAG (une société sise à Zurich) améliora le rendement des rotations.

L’exploitation de ces appareils cessera après la 2ème Guerre Mondiale (vers 1955) à cause des contraintes d’entretien coûteux des matériels roulants qui vieillissaient et des frais du personnel d’exploitation. Signalons au passage que l’Hôtel Hermitage, dès fin 1943 sera réquisitionné par les for- ces d’occupation allemandes qui vont y installer le Q.G. de leur sinistre Gestapo jusqu’en août 1944.

Un œil averti peut reconnaître encore la plateforme du funiculaire qui, peu après son départ de la station basse passe hardiment sous le palais Langham pour resurgir quelques mètres plus loin à l’air libre jusqu’à l’évitement à mi-parcours avant d’atteindre la station haute tout près de l’Hermitage.

La guerre sonnera le glas de l’activité des beaux palaces et de leur clientèle huppée de l’époque, des russes et des anglais en particulier. La clientèle de la Belle Epoque recherchait les hivers doux et le beau temps entre octobre et mai, puis fuyait les grosses chaleurs estivales. Les bains de mer et le bronzage jugé vulgaire, n’était pas de mise surtout pour les femmes qui, mode oblige, se devaient d’arborer un teint pâle. La 2eme Guerre Mondiale survient, la vie bascule surtout à partir de 1942 et 1943. En septembre 1943 l’occupation allemande, brutale, succède à celle plus modérée des italiens obligés de quitter les lieux en urgence («la débandade»-septembre 1943) suite à la chute de Benito Mussolini (juillet 1943).

Le palais Langham sera loti en appartements privés en 1941 et l’Hermitage connaîtra lui aussi le même sort après la Libération comme d’ailleurs les beaux établissements de Cimiez (ex: le Regina, le Majestic, l’Alhambra…). Sic transit gloria mundi!

Plus en amont, au pied du Bd de Cimiez, on découvre le Grand Palais vaste ensemble, hôtel à ses débuts en 1913, puis lui aussi morcelé en appartements après la guerre de 39-45.

L’architecte Charles Dalmas avait prévu pour sa construction (9 étages) une robuste ossature métalique sur laquelle était plaquée la maçonnerie, c’était de l’antisismique avant l’heure!

La publicité vantant les équipements modernes de cet établissement en dit plus qu’un long discours. On lit ainsi que les occupants pouvaient utiliser gratuitement un funiculaire dont la station basse était accessible au N°4 de l’avenue Désembrois. Le trajet jusqu’au sommet empruntait une tranchée latérale sur une voie de 70m de longueur et un dénivelé de 17m avec une cabine unique. La traction était assurée par un puissant moteur électrique accouplé à la machinerie (poulies, réducteur, roues dentées). La voie était constituée de rails plats (encore visibles) sur lesquels roulait la cabine.

En 1979, grâce à la compréhension de la concierge du bâtiment inférieur, j’ai pu visiter les vestiges de cette installation très vieillie, certes, mais encore complète, qui avait du arrêter son activité vers 1950. Sa rénovation pour la mettre aux normes aurait été beaucoup trop coûteuse en regard des services rendus à la vaste copropriété dont la plupart des occupants commençaient déjà d’ailleurs à être motorisés.

Aujourd’hui presque plus rien ne reste de tout cela: la cabine à disparu, enlevée paraît-il par la mairie pour éradiquer les rassemblements douteux (drogue), la tranchée a été murée par des parpaings au niveau de la station basse qui est devenue par abandon un dépotoir envahi par la végétation. La machinerie est maintenant inaccessible.

Amis lecteurs, nous reviendrons sur le Bd Carabacel lors d’une prochaine relation car je ne vous ai pas tout dit sur le sujet, il y a ici encore bien d’autres choses à décrire que les funiculaires mais tout aussi intéressantes.

A si revèire dounca!

Yann Duvivier

Décembre 2019 Sources:
Iconographies:
Gilletta (funiculaire Hermitage).
Yann Duvivier (funiculaire Grand Palais)
Cartes postales: collection Y. Duvivier
Documentation technique: Internet Wikipedia

*Ne pas confondre:
Un funiculaire est un «ascenseur incliné» c.à.d. une cabine voyageurs tractée par un câble et qui roule sur une voie ferrée pentue reliant une station dite «basse» à une station dite haute (et vice-versa). Le mouvement de la cabine est assuré par un moteur électrique auquel est assujetti le câble de traction.
Un téléphérique est une cabine voyageurs qui évolue en mode aérien d’une  station basse à une station haute (et vice-versa) grâce à un câble aérien de traction (et de soutien) assujetti à une machinerie électrique. Ce système de transport est la règle dans les stations de sport d’hiver.

 

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8 commentaires

  1. J’ai eu l’occasion gamin de voir et d’emprunter ce funiculaire.
    Un funiculaire n’est pas à confondre avec un ascenseur incliné, un funiculaire comporte 2 cabines reliées à un même câble, l’une faisant contrepoids à l’autre, lorsque l’une des cabine monte l’autre descend et à mi parcours la voie est dédoublée pour permettre le croisement.

    • Je connais trés bien le funiculaire du grand Palais, Mon père l »a conduit pendant de longues années. Lorsqu’il prenais des jours de repos je le remplaçais. j’étais jeune (18 ans) mais les clients propriètaires du grand Palais m’acceptaient volontiers
      Après je suis parti à l’armée et le funiculaire a cessé de fonctionner

      • Message pour M. Roger Gailleurd. Comme mon ami Yann Duvivier, auteur de cet article, je fais des recherches sur l’histoire des transports dans les Alpes-Maritimes. Vous avez connu et accompagné le funiculalre jusqu’à votre départ au service militaire, et à votre retour il ne fonctionnait plus. Serait-il possible de connaître en quelles années, cela donnerait une idée plus précise de l’arrêt du funiculaire. Merci ! José Banaudo.

  2. Superbe article
    Merci
    Je recherche toujours des renseignements sur la maison Milon de Verraillon, Avenue Milon de Verraillon et impasse quartier Saint Roch au pied du Mont Gros
    Cette propriété morcelée maintenant appartenait au Baron Milon. L’immeuble construit à l’angle s’appelle d’ailleurs Le Baron
    Je n’ai pas de photo de l’époque et aimerais connaître l’histoire
    Je pense que les Milon l’avait peut-être rachetée ????
    J’habite loin et suis l’arrière petite fille

  3. Concernant le grand palais vous dites qu il a été transformé en appartement après la guerre c est inexact en 1940 mes grands parents étaient concierge au bloc 4 et ma grande tante au bloc 2 c était déjà des appartements bourgeois de mémoire au grand palais il y avait 6 blocs soit 6 entrées avec une conciergerie à chaque bloc si le grand palais avait été un hôtel ou sont le restaurant la réception chose qu on peut trouver dans les autres hôtels du quartier

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