Je vous avais parlé la semaine dernière d’une création en coproduction avec le TNN, J’ai rêvé d’un cafard, de et par Sonia Belskaya. Je n’ai pas rêvé lorsque je suis allé voir cette création le vendredi 13 – chuis pas superstitieux, ça porte malheur – quoique… Une représentation théâtrale, n’est-ce pas un rêve partagé entre le plateau et la salle ? Mais assez philosophé, comme on dit chez Tchékhov.
Sonia Belskaya est comédienne, auteure et metteuse en scène d’origine russe. Elle a travaillé avec les metteurs en scène Richard Brunel, Laurent Pelly, Julien Gosselin ou encore Marion Guerrero. Elle a créé sa compagnie Zlata en 2019 pour la création de son premier spectacle J’ai rêvé d’un cafard… Donc, elle porte son premier texte au plateau. Et rien que cela, voir une œuvre qui débute, devant nos yeux, mérite le détour. Et vous avez encore deux séances de rattrapage. Tout cela est émouvant, attachant, vrai, ces qualificatifs s’adressant aussi bien au texte qu’à l’interprétation.
Le texte se construit comme un voyage. Démarrant à l’histoire du père, il navigue d’humanités en humanités croisées au hasard du chemin, plongeant dans certaines et en effleurant d’autres. Le père… Quelque part, c’est l’histoire originelle. Chez Kafka –La lettre au père- c’est le trauma. Et ici, c’est le récit d’une agression, son père, qui un jour, en rentrant de son travail se fait agresser dans la rue, tout près de son immeuble, par plusieurs hommes qui le frappent et l’insultent, le traitent de « cafard ». Cafard ? Et cela en France, pays qu’il a choisi parce que c’est le pays de la liberté, de l’égalité, de la fraternité … et de l’espoir, surtout de l’espoir. De quoi vous donner le cafard.
Et cette histoire qui en quelque sorte est devenu la sienne, Sonia Belskaya nous la délivre avec simplicité, avec naturel. Nous sommes dans l’ordre du récit où, pour une même histoire, différents récits sont possibles. Le récit se délivre sans explications, son interprétation est laissée à la liberté de chaque auditeur, qui peut le reprendre comme il le souhaite.
Et ce récit se met à courir, à s’emballer, à tournoyer, s’arrêtant un temps à une terrasse de café, un coin de rue, entrant par la fenêtre d’un appartement, s’attardant dans une cour. Il entrouvre les portes d’autres histoires, d’autres gens, rêvant d’amour, d’espoir et de liberté. Comme une déambulation, une flânerie. Peut-être un peu comme dans les Tableaux d’une exposition, de Moussorgski, on passe d’un tableau à un autre avec comme seul « agent de liaison » le thème de la promenade.
Ces récits, fragments d’histoires, Sonia Belskaya les installent, par la scénographie, dans l’intime d’un appartement, signifié par un fragment de mur, sans doute une cuisine : le signe pour la chose : des ustensiles de cuisine, des conserves, un bocal avec poisson rouge posé sur un tabouret… bref, de la vie de tous les jours, dans le lieu le plus discret, le plus réservé, le plus confidentiel, le plus personnel d’un appartement : la cuisine.
C’est de cette matrice que s’envolent ces récits, et y reviennent. Sonia Belskaya se joue des codes vestimentaires – et joue avec : elle commence avec la modernité d’un blue-jeans et d’un tee-shirt, enfile une robe à fleurs imprimées, revêt un couvre-chef en fourrure. Elle « lit » son texte, elle y avance dedans en même temps – comme dirait l’autre – avec sureté mais aussi dans un sentiment de découverte de l’historicité. On se demande tout le temps : mais où va-t-elle ?
Cette suite apparemment illogique d’événements est en fait d’une construction rigoureuse, cela peut apparaître comme une suite de rêves, comme si la réalité n’était peut-être pas un vaste songe. La vie est un songe, comme l’écrivait Caldéron de la Barca. Cela nous renvoie peut-être à l’énigmatique du titre, J’ai rêvé d’un cafard. Le rêve comme métaphore du réel ?
Et c’est du réel, de l’intangible du mur de la cuisine que viennent naître ce qui ne pourraient être qu’illusions. Le jeu – le parcours – à la fois ferme, tenu, et en délicatesse de Sonia Belskaya nous fait entrer de plain-pied dans son texte. S’l vous plaît : ne ratez pas l’une des deux dernières. On a si peu l’occasion d’assister à un début…
J’ai rêvé d’un cafard Texte et jeu Sonia Belskaya TNN Mardi 17, mercredi 18 décembre 20h30 salle Michel Simon Réservations : 04 93 13 90 00
Jacques Barbarin
Photos : Romane Métaireau