Le Voyage du Prince de Jean-François Laguionie et Xavier Picard reprend l’un des personnages du Château des Singes, autre film d’animation de Jean-François Laguionie (sorti il y a 20 ans), sans pour autant être une suite. Cette invitation au voyage est un conte philosophique et poétique à ne pas manquer

2019 aura été une excellente année pour le cinéma d’animation français et/ou européen. Outre les trois films des sélections cannoises (J’ai perdu mon corps, Les Hirondelles de Kaboul, La fameuse invasion des ours en Sicile) sont également sortis dans les salles, entre autres, Funan, Buñuel après l’âge d’or et Wardi. Des films qui ont en presque tous en commun de s’adresser à un large public et non plus seulement aux « tout-petits ». Le Voyage du Prince de Jean-François Laguionie et Xavier Picard en fait également partie. Le réalisateur de Louise en hiver ,auquel s’est associé Xavier Picard (réalisateur des Moomins sur la Riviera), présente ainsi son nouveau long métrage : « C’est une forme de fable, de petit conte comme j’en écris toujours avant de faire mes films. (…) Celui-ci est quand même un petit peu inspiré par certains drames de la migration. Le film commence sur ce malheureux prince à moitié noyé et échoué sur une plage d’un rivage inconnu… »

Ce prince en question n’est pas n’importe qui puisqu’il s’agit de celui du Château des Singes, autre film d’animation du cinéaste, sorti en 1999. A la tête de son armée, le vieux souverain était parti à la découverte d’un autre monde et s’était aventuré en plein brouillard sur la glace gelée. Sous le poids des chevaux, des armures et du lourd matériel, celle-ci a rompu. Cette scène extraite du Château des Singes est reprise dans Le Voyage du Prince qui peut donc être perçu comme une suite, mais pas nécessairement. On parlera plutôt de miroir… Cependant, le fait de ne pas avoir vu le premier n’est pas un obstacle à la bonne compréhension de l’histoire racontée dans le second. D’ailleurs, l’action se déroule à deux époques différentes, le monde médiéval a fait place à celui de l’industrialisation.
Dans un univers où les singes (Nioukos et Laankos) parlent et vivent comme des humains, le prince est recueilli et soigné en secret par le jeune Tom et le professeur Abervrach, un anthropologue, et sa compagne Elisabeth, une biologiste, ses parents adoptifs. Pour le professeur, cette arrivée inattendue est une occasion inespérée d’obtenir sa réhabilitation auprès de la puissante Académie des Sciences Modernes qui l’a banni et n’a jamais cru à sa thèse de l’existence d’autres peuples ou civilisations. Selon ses membres, la science est parvenue à un sommet ultime de connaissance, aussi, malheur aux chercheurs qui oseraient contredire cet axiome.Grâce à Tom, la seule personne en qui il a confiance bien qu’ils ne parlent pas le même langage, le Prince découvre un nouveau monde. D’abord admiratif, ce seigneur, esprit éclairé, érudit et épicurien, venu d’un autre temps (probablement celui de la Renaissance italienne) mais observé, puis étudié comme une bête sauvage, se montre bientôt très critique envers cette société repliée sur elle-même.

Sur le plan visuel, Jean-François Laguioni a choisi la fin du XIXe siècle : « (…) une époque où jamais dans l’histoire, l’Homme ne s’est senti aussi supérieur à la nature et à ceux qui n’étaient pas parvenus, selon eux, au même degré d’évolution. C’est le règne du progrès, des découvertes industrielles, de l’électricité rayonnante et des expositions coloniales où l’on présentait les « sauvages » dans des cages analogues à celles du Jardin des Plantes. ». A l’écran, cette Cité qui semble « plus belle que partout ailleurs » a des accents haussmanniens, tandis que les séances de l’Académie avec ses « sages » donnent l’impression d’être des dessins et caricatures animés de Gustave Doré ou d’Honoré Daumier. Chez les Nioukos on travaille à la chaîne, on ne se parle pas et si on célèbre la Peur lors d’une fête bien encadrée, la crainte d’autrui est omniprésente. En parallèle, l’intrusion de la végétation dans les rues de la ville s’accélère. Le lien avec les préoccupations contemporaines (peur de l’étranger, société déshumanisée, catastrophes naturelles) est évident.

Mais comme l’indique malicieusement le réalisateur : « Toute ressemblance entre les hommes et les singes de mon film serait purement fortuite », et de souligner lors d’une présentation en avant-première : « Le cinéma n’est pas fait pour donner des leçons. (…) (il doit donner) de la délicatesse, un brin de poésie. Afin de toucher, d’imprégner les spectateurs. »
Mission accomplie. Le Voyage du Prince « reste » un superbe conte poétique (notamment par ses magnifiques images et le soin apporté aux couleurs et tons, différents selon que l’on passe d’un univers à l’autre ) et philosophique qui associe habilement 2D et 3D. Si l’outil de base demeure le crayon (et la main de Jean-François Laguionie !), les équipes de dessinateurs ont également eu recours à la technologique numérique 3D. Elle a permis d’obtenir des finesses de mouvement difficiles à réaliser manuellement. De la 3D avec un rendu de 2D. Un apport qui reste néanmoins invisible aux yeux du spectateur.
Le Voyage du Prince est un petit bijou à voir sans tarder !
Le Voyage du Prince de Jean-François Laguionie et Xavier Picard (France/Luxembourg/Canada – Animation -2019 – 1h18). A partir de 7 ans
A voir :
La bande annonce du film (Gebeka Films – 1mn51)
Extrait du Château des Singes (2mn12)
La bande annonce des Moomins sur la Riviera
Lire :
Entretien avec Jean-François Laguionie et Xavier Picard réalisé par Cédric Lépine (« Benshi, Le guide du cinéma pour les enfants » – 2019)
Voir également :
Le site de l’Association Française du Cinéma d’Animation
Philippe Descottes
Quelle tristesse : alors que les fêtes approchent et les congés avec, il va quitter l’affiche du seul cinéma qui le programme dans les environs. 😕
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