L’un des événements de la 72e édition du Festival de Cannes en mai dernier aura été le retour d’Elia Suleiman. Le cinéaste y présentait, dans la compétition de la Sélection officielle, It Must Be Heaven. Le film, une comédie poétique douce-amère, a obtenu la Mention spéciale du Jury.

En dehors de Diary of a Beginner, court métrage du film collectif 7 Jours à La Havane sorti en 2012, Elia Suleiman n’avait plus tourné depuis 2009, date de la présentation à Cannes de son long métrage, Le Temps qu’il reste, lequel faisait suite à Chronique d’une disparition (1996)et Intervention Divine (2002 – Prix du Jury à Cannes, Prix du meilleur film étranger aux European Awards) trois réalisations dont il est également le scénariste et l’interprète principal et qui ont pour thème la Palestine. Né à Nazareth en 1960, Eila Suleiman est arable-israélien mais se considère comme Palestinien, malgré son passeport israélien.

Avec It Must Be Heaven, le cinéaste semble emprunter un chemin différent. A Nazareth, ES, alter ego d’Elia Suleiman, observe son voisin en train de cueillir sans vergogne les citrons de son jardin, avant de tailler les citronniers. Une cavalcade d’homme armés dans une rue déserte. Des soldats israéliens ont arrêté une Palestinienne. Réalisateur, ES fuit sa terre natale histoire de voir « si l’herbe est plus verte ailleurs ». Lorsqu’il arrive à Paris, c’est peut-être le paradis, comme le suggère le titre… Mais ce paradis sera-t-il Paris ? New-York ?Ailleurs ?
Dans sa note d’intention, Elia Suleiman indique : « It Must Be Heaven donne à voir des situations ordinaires de la vie quotidienne d’individus vivant à travers le monde dans un climat de tensions géopolitiques planétaires. La violence qui surgit en un point est tout à fait comparable à celle qui s’observe ailleurs. Les images et les sons qui véhiculent cette violence ou cette tension imprègnent tous les centres du monde, et non plus seulement, comme autrefois, quelques coins reculés du monde. Les checkpoints se retrouvent dans les aéroports et les centres commerciaux de tous les pays. Les sirènes de police et les alarmes de sécurité ne sont plus intermittentes mais constantes… »

ES (et Elia Suleiman) aurait-il quitté la Palestine pour de bon ? Si le parcours du personnage ES fait écho à celui du réalisateur (qui a grandi à Nazareth, vécu à New-York et Jérusalem avant de s’installer à Paris), ce dernier précise : « (…) dans mes précédents films, la Palestine pouvait s’apparenter à un microcosme du monde, mon nouveau film (…) tente de présenter le monde comme un microcosme de la Palestine. » Les Palestiniens sont confrontés à la violence et connaissent des conditions de vie précaires depuis longtemps. Mais désormais celles-ci se sont répandues dans un monde, gagné par l’obsession du tout sécuritaire, où les tensions sont constantes, et les discriminations sociales courantes. Le 14 juillet, dans un Paris vide de ses habitants et de ses badauds, des chars défilent devant la Banque de France tandis que la Patrouille de France vole dans le ciel. A un autre moment, un groupe de policiers prend soigneusement les dimensions de la terrasse d’un café pour savoir si elle est en conformité avec la réglementation. A New-York, on fait ses courses et on circule sans quitter sa kalachnikov ou son lance-roquettes. Dans un parc, des policiers pourchassent une femme ailée portant sur la poitrine un drapeau palestinien.

La vision qu’Elia Suleiman nous propose du monde (occidental) d’aujourd’hui est pessimiste. Son message est politique, mais sa démarche n’est ni militante ni didactique. Il dénonce la violence mais celle-ci n’apparaît pas à l’écran. Il préfère la comédie au drame où à l’horreur. Comme dans ses précédents longs métrages, le réalisateur se met à nouveau en scène et joue le rôle d’observateur, presque sans voix (il ne dit qu’une seule phrase), d’une époque. Les situations dans lesquelles il se trouve et son regard, au sens propre, qui peut être, rêveur, émerveillé, incrédule ou interloqué, en disent long. Avec Elia Suleiman on plonge dans l’absurde et le burlesque qui font penser au cinéma muet de Buster Keaton, Charlie Chaplin ou Mack Sennett, mais aussi à celui de Jacques Tati, avec une succession de saynètes, dont la grande majorité sont minutieusement chorégraphiées, lesquelles, a priori n’ont rien à voir entre elles, mais qui forment cependant un tout cohérent. C’est à la fois drôle, poétique, parfois mélancolique et toujours engagé. La bande-annonce ci-dessous vous en donnera un (très) bref aperçu.
It Must Be Heaven de Elia Suleiman (France/Canada/Palestine/Allemagne/Qatar – Comédie dramatique – 2019 – 1h42). Avec Elia Suleiman, Tarik Kopty, Kareem Ghneim, Vincent Marval, Grégoire Colin, Gael Garcia Bernal
A voir :
La bande-annonce du film (Le Pacte – 1mn52)
Entretien avec Olivier Père/Virginie Apiou ( Arte – 25 mai 2019 – Vostf – 4mn)
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Entretien d’Elia Suleiman avec Sabine Prokhoris et Christophe Wavelet (Vacarme n°8/1999 – Cairn info)
Philippe Descottes
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