Simone Veil (1927 – 2017). Née à Nice. Déportée à l’âge de 16 ans. Elle est envoyée à Auschwitz Birkenau par le convoi 71 du 13 avril 1944, dans le même convoi que Marceline Loridan-Ivens, qui deviendra sa meilleure amie.

En 1974, elle est nommée ministre de la santé. Elle fera adopter la loi dépénalisant le recours par une femme à l’IVG. Les plus grands opposants à ce texte sont dans sa majorité parlementaire (elle est alors ministre sous la présidence de Giscard d’Estaing) avec un argumentaire parfois peu ragoûtant. La loi passe grâce aux parlementaires de gauche, mais Simone Veil ne nous tire ni à droite ni à gauche, mais vers le haut.
Elle est la première personne à accéder à la présidence du parlement européen une fonction qu’elle occupe de 1979 à 1982. Elle siège au Conseil Constitutionnel de 1998 à 2007, avant d’être élue à l’Académie Française en 2008. Elle fait son entrée au Panthéon avec son époux le 1er juillet 2018.
Pourquoi ces quelques notes sur l’une des personnalités françaises les plus prestigieuses ? Parce que vient de sortir un livre passionnant constitué d’entretiens avec Simone Veil par le réalisateur David Teboul, Simone Veil – L’aube à Birkenau. David Teboul, a réalisé entre 1999 et 2015 8 films pour la télévision dont en 2004 Simone Veil, une histoire française. Avec Marceline Loridan-Ivens, elle évoque les souvenirs de sa déportation à Auschwitz- Birkenau. À celle qui a vécu l’enfer à ses côtés, elle parle de sa mère et de sa sœur, elle raconte son désespoir de les retrouver avec elle en camp de concentration, son combat quotidien pour survivre, le typhus de celle qu’elle aimait plus que tout au monde, sa mort inéluctable. Simone Veil à Auschwitz aujourd’hui. Elle marche dans ce camp où elle a passé treize mois de sa vie.
Quand il était enfant, David Teboul a été frappé par une apparition de Simone Veil à la télévision. C’était en 1979. Plus de vingt ans plus tard, il rencontre cette grande dame, puis devient son ami et son confident. La première fois que je rencontre Simone Veil, c’est pour lui proposer un documentaire sur sa vie. « Qui est ce qui vous intéresse chez moi ? » – « Votre chignon, madame ». Des ses entretiens avec David Teboul vont naître le film documentaire, puis le livre Simone Veil, l’aube à Birkenau.
Ce document est passionnant, émouvant, saisissant. Il est en trois temps. Le temps de Simone Veil, où elle raconte, se raconte. Le temps des entretiens, avec sa sœur Denise, avec sa grande amie Marceline Loridan-Ivens, avec Paul Schaffer, écrivain. Le temps de la photo, qui, à lui seul, est un ouvrage.
Lorsque Simone Veil, raconte, au cinéaste David Teboul, se raconte, nous raconte, c’est d’une clarté, d’une limpidité. On a comme cette impression d’entendre une voix calme, qui narre les faits, avec ce sentiment de se tenir sur la ligne de démarcation entre ressenti et analyse. Et il y a ce point très important : Aujourd’hui on entend monter ce refrain : « Arrêtez de parler de la Shoah. D’autres horreurs ont eu lieu depuis. Chaque époque apporte son lot de tragédies »… Le temps n’efface rien. En France, on parle encore de la St Barthélémy et des guerres de religion, sans parler de la révolution française ! … J’ai souhaité la réconciliation avec l’Allemagne. J’ai souhaité que l’Europe se fasse. Mais à condition de ne pas oublier.

A la lire on entend sa voix calme mais inflexible. Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a/L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Avec sa sœur, Denise, Simone parle de leurs souvenirs de jeunesse, avec des photos sous les yeux, des photos qui retraçaient leur enfance à Nice, des souvenirs qui leur remontent, l’Histoire vue par ce que narrent ces bribes d’une histoire, le solennel raconté par l’intime.
Concernant Marceline Loridan-Ivens, David Teboul dit Je savais les liens entre Marceline Loridan-Ivens et Simone Veil ; je ne connaissais pas Marceline. Il me semblait important qu’il y ait un échange décousu sur leurs souvenirs d’adolescentes. J’avais l’intuition qu’il y avait chez ces deux femmes quelque chose de leur jeunesse au camp.
On sent la complicité entre ces deux filles de Birkenau, comme le dit Marceline. On dirait presque deux conversations « anodines », remplies de connivences, ramenant des souvenirs du transport en train jusqu’au camp, des conditions de vie, du travail, finalement une conversation entre deux copines autour d’un verre. C’est peut-être ce ton de leur conservation qui la rend si émouvante : ce n’est ni un plaidoyer, ni une plaidoirie, ni une charge, ni une incrimination, une simple conversation qui, l’air de ne pas y toucher, pénètre l’une des pages dont notre humanité n’a vraiment pas à être fière.
Paul Schaffer est né en 1924 et a grandi à Vienne, en Autriche. Après la Nuit de cristal (10 novembre 1938) ses parents s’installent en Belgique. Suite à l’attaque allemande sur la Belgique, ils viennent en France, dans le Sud-ouest. Paul est arrêté en aout 1942, il est déporté à Auschwitz le 4 septembre. Lorsque Simone Veil le rencontre, il n’a pas vingt ans. Les conversations entre Simone ont un ton plus grave, notamment avec cette réflexion de Paul Schaffer : A l’époque, ceux qui libéraient les camps ne comprenaient pas l’ampleur de ce qu’ils découvraient. Que ce soit à Bergen-Belsen ou à Auschwitz, c’était effectivement inimaginable. Le même phénomène d’incompréhension à joué à notre retour, avec la difficulté de témoigner, de transmettre.
Quant à l’iconographie, elle n’est pas un complément mais à soit seule un roman. Photos de la jeunesse à Nice, des vacances à la Ciotat, photos de « l’époque des nattes », mais aussi photos pendant la déportation, et aussi – voire surtout- ces gros plans très certainement issus du film, Simone revenant à Auschwitz, de très gros plans d’elle, la complicité lisible avec Marceline, ces documents sont rares.
Ils n’ont pu vous éradiquer, Simone et Marceline. Et c’est tant mieux pour l’humanité.

Il me revient ce qu’écrivait Etty Hillesum dans Une vie bouleversée, 1941-1943 : Moi, je continue de trouver que vivre est un privilège merveilleux… Je ne peux plus marcher sur le trottoir, mes amis ont été arrêtés, mon père et ma mère, que sont-ils devenus… et tiens, je viens de voir un géranium à la fenêtre, ça me suffit pour la journée. Etty Hillesum est morte le 30 novembre 1943 à Auschwitz.
Simone Veil, L’aube à Birkenau nous rend plus fort, nous élève.
Salut et fraternité, Simone
Simone Veil, L’aube à Birkenau Récit recueilli par David Teboul. Editions Les Arènes
Jacques Barbarin