Théâtre/ Polis comme des galets

Je crois que l’une des compagnies les plus intéressantes « de par ici » est la compagnie BAL, acronyme de Bal d’Arts Légers. Quoi de plus léger qu’un bal ? Ladite compagnie prend le léger très au sérieux,  moins que cela ne soit l’inverse. Les lecteurs de ciaovivalaculture connaissent bien cette compagnie, que cela soit pour « Tombés du ciel », « Azerty ou les mots perdus », « Le petit chaperon voit rouge »…
Et l’art de la cie BAL, c’est l’art de l’adresse, à qui s’adresse t-on? Le texte de théâtre se caractérise par la double énonciation : les personnages dialoguent entre eux comme si le public était absent, mais à travers leurs paroles, l’auteur s’adresse aux spectateurs.
On pourrait dire – de manière légère- que l’adresse de la compagnie BAL cela serait le théâtre « jeune public ». Mais, subtilement, si Thierry Vincent – le lider maximo du BAL- parle, on va dire formellement, au « jeune public », le narré, c’est à nous qu’il s’adresse. « De te fabula narratur ». Les champs qu’abordent les récits « baliens » tous nous sollicitent, à travers des cheminements perceptifs différents, certes, mais ils nous atteignent. Le « jeune public » de la compagnie BAL, c’est nous, de 7 à 77 ans. Thierry Vincent ne fait pas une suite de spectacle, il tisse une œuvre.
De quoi donc est tissé Polis comme des galets, que présentait le TNN ? C’est par la scénographie (Philippe Maurin) qu’il faut aborder des éléments de réponse. Par la scénographie mais aussi par les costumes (Gigi Cazes) quoique je serai tenté de croire que l’art des costumes est élément de l’art de la scénographie. Si l’on regarde l’espace scénographique, il nous vient l’idée de la représentation d’un jeu de go,  un jeu de plateau originaire de Chine. Il oppose deux adversaires qui placent à tour de rôle des pierres, respectivement noires et blanches.
Apparaît donc l’idée d’une stratégie à mener. D’autant plus que les deux personnages – l’un en bleu et  l’autre en rouge – disposent des galets noirs et blancs sur les intersections de la table de jeu. Nous apprendrons rapidement que les galets blancs sont polis, c’est-à-dire lisses, unis, alors que les noirs sont abrupts, empreints d’aspérité.
Concernant les costumes, celui du personnage qui fait « avancer » la narration, le fait fondre avec le décor, il devient une sorte de « passe-muraille » : il nous permet d’entrer dans ce qui se joue entre les deux protagonistes mais en même temps- comme dirait l’autre – sa vêture le désigne comme celui qui doit s’effacer.
Des deux protagonistes, une fois dépassée l’opposition rouge – bleu, m’intéresse l’attitude du personnage « bleu ». Bleu de peur ? Pendant tout le début, il cherche à se tenir invisible de nous, avec ses cheveux sur son visage, ne veut-il pas voir ? Il ne veut pas répondre à l’autre protagoniste qui le questionne, serait – il sourd ? De quoi a t – il peur ?


Peur. Il me fait appeler le personnage de l’opéra-rock du groupe, Who, Tommy, qui raconte l’histoire d’un enfant victime d’un traumatisme qui l’a rendu sourd, muet et aveugle. A quelle scène ce personnage qui se masque a-t-il assisté ?
You didn’t hear it/You didn’t see it/You won’t say nothing to no-one/Never in your life/You never heard it/Oh, how absurd it all seems/Without any proof
Vous ne l’avez pas entendu / Vous ne l’avez pas vu / Vous ne dites rien à personne / Jamais dans votre vie / Vous ne l’avez jamais entendu / Oh, comme tout cela semble absurde / Sans aucune preuve.
Mais ou donc va-t-il chercher tout ça (il, c’est l’auteur de cet article) ? L’histoire racontée renvoie, comme à n’importe quel spectateur, à des éléments de notre propre histoire culturelle.
Il était une fois, donc, deux enfants qui auraient à bien des égards pu être les frères et sœurs du Petit Poucet. Ils s’en allaient, fuyant le monde des grands en semant leur chemin de cailloux. Blancs pour l’un, noirs pour l’autre. L’un doux, l’autre coupant. Tous deux préoccupés. Polis comme des galets trace le chemin que se fraie un enfant dans les lacets de notre monde alambiqué. Thésée rencontre Sémélé, identités imaginaires d’un jeune être qui joue en solitaire dans le labyrinthe.
Thésée : Tu as vu comme ils sont doux. Ce sont des galets.
Sémélé : Moi, j’ai choisi des cailloux pointus. Pour la même raison que tu les as choisis doux.
Thésée : Si tu les as choisis pointus, c’est parce que tu as mal ?
Sémélé : Oui.
Vers quoi nous renvoie ce titre, Polis comme des galets ? La politesse, du latin politus qui signifie uni, lisse – comme le galet poli- regroupe un ensemble de comportements sociaux entre individus visant à exprimer la reconnaissance d’autrui. . Chaque culture a des différentes règles de politesse.
La politesse est un mode de communication : elle ne concerne que la forme employée. Le respect concerne le fond du message communiqué et n’a aucun rapport avec la forme.
Le galet noir, aux formes abruptes, ne renvoie pas à l’impolitesse, mais à la méfiance, au déni de soi.
Ce spectacle ne cherche pas à opposer l’un à l’autre mais, en traçant le chemin que se fraie un enfant dans les lacets de notre monde alambiqué, il nous dit la complexité justement de ce monde, que rien n’est noir ou blanc et qu’il faut écouter pour comprendre, c’est à dire prendre avec. Comment briser le miroir ?
Dans chaque œuvre de la compagnie BAL se trouve des thématiques communes aux précédentes. Ainsi, dans les deux précédentes créations, le personnage principal partait à la recherche d’un élément vital (l’eau, le langage). Polis comme des galets se dirige vers plusieurs sujets forts : la solitude, l’identité et l’image de soi à restaurer.  Vraiment, Thierry Vincent ne fait pas une suite de spectacles, il tisse une œuvre. Salut et fraternité.

Jacques Barbarin

Polis comme des galets Texte et mise en scène Thierry Vincent
avec Élise Clary, Élodie Tampon-Lajarriette, Thierry Vincent
scénographie Philippe Maurin lumière Alexandre Toscani costumes Gigi Cazes vidéo Benjamin Walter couturière Madame Fée / Dabrilany Couture regard extérieur Laurent Prevot photographies Claude Valenti

Photos : Claude Vallenti

 

 

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